Homme visible
Tout comme ses prédécesseurs plus ou moins illustres, L’homme invisible était un exercice de mise en scène particulièrement périlleux. Contre toute attente, Leigh Whannell l’a largement maîtrisé. Loin des excès gerbotroniques de Scieil distillait les longs mouvements de caméra afin de scruter ses décors vides… ou pas. Il a définitivement démontré qu’il est un excellent réalisateurcapable de filmer l’invisible, et surtout de le rendre terrifiant.
La séquence introductive de Homme-loup le prouve encore une fois. Dès le départ, le voyage de chasse d’un père et de son fils implique un participant supplémentaire, caché quelque part dans la nature. Le réalisateur mise sur l’ironie dramatique : lorsqu’il surplombe une vallée, ce n’est pas pour s’extasier devant son personnage devant la vue, mais pour invoquer une présence invisiblequelque part dans ce gigantesque tableau. Le spectateur – et c’est ça le cinéma « de genre » – est bien conscient qu’il regarde un film de loup-garou, et que la bête peut apparaître à tout moment.
Durant ces premières minutes, il ne cessera de parcourir cette nature, tant visuellement qu’audio (le mixage sonore spatialisé est efficace), suggérant à chaque panoramique une menace omnisciente et entrant donc en synergie avec l’état mental de ce personnage. petit garçon effrayé par son père. Rien de bien original ni dans le traitement de l’horreur ni dans les thèmes abordés, mais l’efficacité de la production est une fois de plus suffisante pour donner toute sa viscéralité à la scènecomme dans tout bon film d’horreur.
Une ouverture glauque qui prolonge donc le concept deL’homme invisible. Sauf que le loup-garou, contrairement à l’Homme Invisible, est très… visible. Parmi tous les Monstres Universels, c’est même un de ceux qui nécessitent une démonstration : celle de la transformation, au cœur du folklore associé et généralement une prouesse stylistique et technique attendue dans un tel film. Après l’exercice de style inaugural, le réalisateur sera contraint de dévoiler un monstre, palpable, en mutation, poilu et affamé.
Psycho-pattes
Et c’est là que la chauve-souris fait mal, voire dévore. Homme-loup est une déception, une vraie. Car ses promesses sont toutes plus alléchantes les unes que les autres, et ses idées et sa radicalité séduisent vite. Mais quand il est temps de se lancer dans le plus dur, quand il est temps de sortir ses griffes et d’écraser la chair… il ralentit avec ses quatre fers. La déshydratation est si progressive qu’elle mérite d’être décrite étape par étape.
Après la séquence d’introduction, le scénario passe à une exposition des plus classiques : Blake (Christopher Abbott) est très proche de sa fille, mais traverse une période difficile avec sa femme Charlotte (Julia Garner). Lorsque son père est officiellement déclaré mort, la petite famille part dehors dans l’Oregon. Tout commence réellement lorsqu’un personnage les précipite sur le bord de la route, puis les traque, blessant ainsi le père.
Toujours aussi respectueux et amoureux des classiques des années 30 et 40, Leigh Whannell déploie donc une esthétique archi-darkfrisant parfois le noir et blanc, ce qui rendra fous les amateurs de hacking et de visionnage en pleine après-midi sur un écran d’ordinateur. Il ne s’en éloignera jamais, puisqu’il a le très bon goût derépartir l’action sur une seule nuit. Les choses empirent encore lorsque le gentil papa commence à développer un odorat plus que précis.
Déjà, l’approche est unique. Grâce à cette unité de temps, qui fluctuera selon la perception des personnages, le long-métrage assume une vision intime, parfois littéralement subjective de la lycanthropie : Blake va en effet se transformer et ses symptômes évoquent autant La mouche que le Loup-garou de Londres. Encore plus fort, la mise en scène compte couler avec luitraduisant la transformation de ses sens (quitte à tomber dans le psychédélisme !) jusqu’à un brillant mouvement de caméra, recentrant l’histoire sur sa femme.
Et un loup
En jonglant entre les points de vue, en utilisant son prodigieux conception sonore pour marquer des ruptures, le film semble proposer une interprétation résolument singulière du mythe et imposer à son public vivez en temps réel une transformation douloureuse en monstre. Un choix qui permet aussi au film de se compléter L’homme invisibleen traitant les violences intrafamiliales héréditaires à travers le prisme tantôt des victimes, tantôt du patriarche. Le tout en développant une horreur différente, cachée et progressive.
Et puis, à mi-chemin de l’histoire… c’est le bordel. Le scénario abandonne tout : la transformation influencée par l’horreur corporelle, l’ambiguïté des relations entre les personnages et même ses idées les plus dures. Comme si Leigh Whannell et son co-scénariste Corbett Tuck avaient décidé en pleine écriture de partir en vacances… et de ne jamais revenir.
Après une bonne demi-heure de projection, on se rend compte que l’étape terminale tant attendue de la transformation, pourtant point d’orgue des meilleurs films du genre, n’arrivera jamais. Un manque de générosité qui n’évoque ni La mouche dans Le loup-garou de Londreset contamine chaque couche d’une histoire se transformant progressivement en une production typique de Blumhouse, à part quelques détails de mise en scène. Toujours aussi talentueux derrière la caméra, Leigh Whannell ne peut pas sauver ce banal jeu de piège-piège nocturne.
Cet abandon artistique aurait-il un rapport avec la version précédente du long métrage, issue d’une idée de Ryan Gosling, qui devait jouer le rôle principal ? C’est peu probable, mais l’incohérence de la chose pose question. A la vision de ce qui est finalement l’ébauche d’un excellent film d’horreur, qui aurait pu se former avec L’homme invisible un diptyque exemplaire, il ne reste que la frustration. Existe-t-il un sentiment plus inapproprié dans un film de loup-garou ?