Le photographe de choc Oliviero Toscani est décédé à 82 ans

Italie

Le photographe de choc Oliviero Toscani est décédé à 82 ans

L’homme a secoué les années 1990 avec ses affiches choc pour les vêtements Benetton. Ce serait impossible aujourd’hui.

Publié aujourd’hui à 10h22

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Oliviero Toscani est mort. Je viens de l’apprendre. L’homme était malade et il le savait. Il n’a d’ailleurs pas caché son mauvais état de santé. L’exposition spectaculaire du Museum für Gestaltung de Zurich, qui s’est terminée le 5 janvier (https://www.bilan.ch/story/ed-toscani-741511189482), fait ainsi office de testament en même temps qu’il boucle une boucle. C’est dans cette école muséale que le photographe italien s’est formé, après avoir postulé sans même connaître un mot d’allemand. Il avait de son côté son brillant palmarès et quelques publications. Le Milanais n’avait que 14 ans lorsque sa première image parut en 1956 dans le « Corriere della Sera », où son père Fedele était photoreporter.

La jeune génération a du mal à mesurer la gloire qu’a connue Toscani, qui était à la fois un homme de terrain et un portraitiste d’atelier. Tout semblait bien se passer pour lui. Alors qu’il étudiait encore à Zurich, Oliviero a remporté le concours international pour devenir photographe interne de Panamerican Airlines. Il découvre ainsi New York en 1964, où le débutant ressent immédiatement des élans artistiques et sociaux que l’Europe n’avait pas encore mesuré. Toscani aura ainsi un pied dans la culture « noire » et un autre dans la « Factory » d’Andy Warhol. Il mitraillait avec son appareil photo, fixant ce qui allait devenir l’histoire d’une métamorphose. Puis vinrent les commandes, surtout pour la mode. Il y aura Chanel, Fiorucci, Valentino et Prénatal. Le tout apparaissant dans « Vogue », « Harper’s Bazaar », « Stern », « Queen », « Libération » ou encore « Esquire ». Ses photos ont été trouvées de manière œcuménique partout. Luxe et populaire.

Deux personnes souriantes portant des casques et des vestes en jean, le visage couvert de suie, posant amicalement ensemble.

Cependant, ce sont ses campagnes publicitaires pour Benetton qui assureront sa (parfois mauvaise) réputation. La maison créée par les Benetton, originaires de Trévise, était alors à son apogée. Les jeunes s’habillaient relativement bon marché chez ces fabricants de vêtements, qui manquaient cependant d’image de marque. Oliviero Toscani le leur fournira en lançant un magazine, « Colors », en 1991, en imaginant une école, « La Fabrica », en 1994, et surtout en créant des affiches. Beaucoup d’affiches. L’idée était au départ de rassembler des jeunes du monde entier, même si cela n’était pas encore le cas. Nous étions aussi divers que possible (mais toujours minces et beaux !) sur des armoires qui auraient tout aussi bien pu être utilisées pour l’Unicef. Les ventes de la maison dirigée par Luciano Benetton ont donc explosé. L’entreprise avait acquis un caractère antiraciste et progressiste.

Deux enfants se tenant par les épaules, l'un blond et l'autre brun, illustrant la diversité culturelle. Texte « United Colors of Benetton » en vert.

Au fil des années, Oliviero Toscani a cependant souhaité se mettre à l’écart face aux drames qui ont secoué le monde. Abandonnant son appareil photo, il utilise des images d’agence destinées à choquer. Le cadavre d’une victime de la mafia. Un patient mourant du SIDA. Les migrants. Anorexie. Et ainsi de suite… Chacune des affiches créait désormais la polémique, tout en sensibilisant le public à certaines horreurs qu’il ne voulait pas voir. Mais l’objectif restait aussi de vendre des vêtements milieu de gamme annonçant la « fast fashion ». D’où d’interminables controverses politiques et morales. Un jour, un sujet a été interdit de publication. Le lendemain, la presse rend compte de l’affaire, reproductions à l’appui. On ne savait plus vraiment où finissait la perspective politique et où commençait la juteuse affaire. Benetton a bénéficié mois après mois d’une immense publicité gratuite.

Trois cœurs de cochon en série avec les mots « BLANC », « NOIR » et « JAUNE » écrits dessus, sur fond blanc.

Des différends ont fini par éclater entre Toscani, qui acceptait en même temps d’autres commandes, et les Benetton. Ils se sont terminés par une rupture. Il faut dire que les entrepreneurs extrêmement fortunés se tournaient vers d’autres domaines comme la construction d’autoroutes (1). Dans les années 2000 on assistera en effet à une brève reprise d’activité commune, de type vieux couple. Mais c’était fini, alors que le monde et surtout les mentalités changeaient. Libertaire, ouvert à la discussion et « mal-pensant », le photographe ne trouve plus sa place dans un univers politiquement correct, puis « éveillé ». Alors qu’il se voyait rétrospectivement primé partout, ce qui ne s’avère jamais bon signe, le « hasbeen » s’est tourné vers l’écriture, la photographie personnelle et sans doute un peu d’enseignement. Sa grande époque était derrière lui. Il l’avait tellement marquée qu’il s’était retrouvé marqué par elle en retour. Une nouvelle génération a voulu l’oublier. D’ailleurs, j’ai été très surpris au printemps dernier lorsque le Museum für Gestaltung a « osé » faire une rétrospective… Les musées ne brillent généralement ni par l’audace ni par le courage.

(1) Le pont Morandi de Gênes, qui s’est effondré en 2018, c’était indirectement eux.

Exposition d'art moderne avec divers portraits aux murs et une table avec des affiches colorées au premier plan.
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Né en 1948, Etienne Dumont étudié à Genève qui lui furent de peu d’utilité. Latin, grec, droit. Avocat raté, il se tourne vers le journalisme. Le plus souvent dans les sections culturelles, il travaille de mars 1974 à mai 2013 à la Tribune de Genève, commençant par parler de cinéma. Viennent ensuite les beaux-arts et les livres. A part ça, comme vous pouvez le constater, rien à signaler.Plus d’informations

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