FIGAROVOX/TRIBUNE – Auteurs d’une étude pour la Fondation pour l’innovation politique, Michael Stora et Loïse Lyonnet dénoncent les clichés liés à la pratique des jeux vidéo tout en pointant les mécanismes mis en place pour inciter les joueurs à augmenter leur temps de jeu.
Michael Stora et Loïse Lyonnet sont les rédacteurs du dernier rapport de la Fondation pour l’innovation politique, intitulé : « Jeux vidéo, violence et addiction ?
Les vacances de Noël sont terminées, et avec elles, les ventes records de jeux vidéo qui trôneront sous le sapin. Mais dans une industrie où les enjeux économiques prennent souvent le pas sur d’autres considérations et où les sommes en jeu sont colossales (6,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023 en France), la frontière entre passion et dérive peut devenir floue.
Le développement des pratiques numériques est étroitement lié aux innovations qui réinterrogent notre liberté. Dans leurs modèles économiques, les réseaux sociaux en sont un exemple : le temps passé devient un enjeu financier, au péril de la santé mentale des plus jeunes. Comme le souligne Fondapol, 26% des 18-22 ans estiment passer plus de 5 heures par jour sur les réseaux sociaux.
Parmi ces pratiques numériques, le jeu vidéo se situe à la croisée des arts visuels, narratifs et interactifs. Sa capacité unique à plonger le joueur dans des univers immersifs et saisissants, la large palette d’émotions qu’il permet de transmettre, la richesse des univers et la complexité des histoires qu’il est capable de développer en font un art d’exception, capable de faire rêve des jeunes et des vieux. C’est aussi un art qui fait rayonner la France et ses ateliers aux quatre coins de la planète, ce qui en fait un enjeu de puissance douce essentiel pour notre pays. Mais cet univers fabuleux peut aussi tourner au cauchemar si l’on ne protège pas les plus jeunes des conséquences dramatiques qui peuvent survenir lorsque la logique du développement économique prend le pas sur l’éthique et la protection des acteurs. Oui, il y a urgence à agir ! Et c’est tout l’objet de notre étude publiée par la Fondation pour l’innovation politique le 19 décembre 2024, qui se propose d’explorer deux sujets majeurs : la violence et l’addiction dans les jeux vidéo.
Contrairement à certaines idées reçues, le jeu vidéo semble être une des pratiques les plus récentes “poétique” en ce sens qu’il naît d’un désir créatif où le joueur est plongé dans un rêve ludique. Le jeu vidéo reste le produit d’une industrie créative. Elle ne cherche pas simplement à nous distraire, mais nous invite à jouer avec nos envies et nos peurs. Dans une société tyrannisée par le succès, le jeu vidéo offre une rare soupape de décompression où l’échec est également favorisé : ainsi, c’est en perdant qu’on apprend à gagner. La violence prônée par les jeux vidéo ? Si tuer n’est pas un jeu, l’inverse est également vrai. Aucune étude sérieuse ne prouve que jouer à des jeux vidéo déclenche des violences réelles. Au contraire, le pouvoir cathartique de la pratique du jeu vidéo, délimité par le cadre des règles définies par le créateur du jeu, est garanti par la justification du contexte narratif de confrontation.
En plaçant l’éthique au centre de son développement, le jeu vidéo a tout pour devenir l’art majeur de notre siècle.
Michael Stora, Loïse Lyonnet
Reste la question de l’addiction. Le temps que nous passons devant les écrans est devenu un véritable enjeu de société. C’est d’autant plus inquiétant pour les mineurs. Laisser un enfant de 8 ans passer cinq heures à regarder des vidéos TikTok défiler, regarder Les anges de la télé-réalité ou jouer à des jeux vidéo pose problème, surtout si leur contexte familial ne leur permet pas d’accéder à d’autres pratiques culturelles. Certes, l’industrie du jeu vidéo se mobilise depuis longtemps, ayant par exemple adopté, de sa propre initiative, un programme de signalétique de protection, le fameux système européen PEGI. Des systèmes de soutien aux familles ont été développés. C’est une très bonne chose, mais ce n’est pas suffisant. C’est ce que l’on découvre en explorant l’émergence de motifs sombres dans les jeux, c’est-à-dire les mécanismes introduits dans les jeux pour inciter les joueurs à augmenter leur temps de jeu ou à acheter des objets supplémentaires. Chacun est évidemment libre de faire ses propres choix. Mais c’est bien sûr problématique lorsque la cible de ses mécanismes sont les enfants, parfois très jeunes.
On les retrouve souvent motifs sombres au sein des jeux dits gratuits, au modèle gratuit. Maintenant, on le sait bien : quand c’est gratuit, c’est que nous sommes le produit. Et l’urgence d’une prise de conscience généralisée et d’une régulation raisonnée est essentielle.
Cette étude complète la première étude, publiée par Fondapol en juillet 2023, qui visait à décrire l’économie, présenter l’écosystème et identifier les enjeux majeurs de cette industrie. A travers ce nouveau rapport, il s’agit désormais d’aborder l’industrie du jeu vidéo d’un point de vue éthique, dans la mesure où le jeu vidéo est un élément fédérateur et participe à la construction de notre jeunesse.
A l’heure où la régulation du temps passé devant les écrans devient un enjeu de société majeur, tel est l’enjeu de l’industrie pour les années à venir : préserver la diversité et la créativité des productions, tout en protégeant les acteurs les plus vulnérables. . Notre pays est l’un des leaders de l’industrie, avec des productions, des écoles et des talents reconnus dans le monde entier. Ce secteur est une fierté pour la France et doit être considéré comme tel. En revanche, le nœud du problème reste aujourd’hui les pratiques commerciales abusives, qui peuvent conduire à des pratiques addictives. Pour préserver – ou gagner – la confiance des familles, les acteurs du secteur ont tout intérêt à s’engager dans des mécanismes de jeu plus vertueux et protecteurs pour les plus jeunes, sans pour autant déplacer la responsabilité des familles.
Nous savons bien que les enjeux financiers sont énormes. Et c’est d’autant plus compliqué à l’heure où l’industrie va mal, en plein rééquilibrage de son marché après l’explosion de la crise sanitaire. Mais en plaçant l’éthique au centre de son développement, le jeu vidéo a tout pour devenir l’art majeur de notre siècle. Permettons aux jeunes de jouer, de rêver, de grandir et de s’épanouir par le jeu, en toute sécurité. Et vite !