« L’annexion russe n’est qu’un début »

Alim Aliev, militant des droits humains et journaliste.Image : dr : alim aliev

Les Tatars de Crimée jouent un rôle central dans la péninsule annexée par les Russes. Pourtant, ils semblent presque invisibles. Alim Aliev, militant des droits de l’homme et journaliste, attire aujourd’hui l’attention sur le sort de ses compatriotes.

Anne-Kathrin Hamilton / watson.de

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On entend rarement parler d’eux, mais ils souffrent presque en silence sous la domination russe, alors qu’ils se battent depuis des siècles pour leur identité, leur culture et leur existence. « Les gens ne savent même pas que 80 % des prisonniers politiques de la péninsule sont des Tatars de Crimée »dit Alim Aliev dans une interview avec Watson.

Moscou installe des Russes sur le territoire

Selon lui, la conquête violente de la Crimée par la Russie le 27 février 2014, ne représente que la pointe de l’iceberg dans une longue histoire d’oppression et de persécution. Pour rappel, depuis le printemps 2014, la Crimée est aux mains des Russes, après que ce pays a occupé et annexé l’île en violation du droit international. Et l’histoire se répète, mais avec une nouvelle stratégie.

“Depuis l’occupation de la Crimée, environ 800 000 Russes se sont installés dans la péninsule”

Alim Aliev

Le même schéma depuis des siècles. Déjà lors de la première annexion en 1783, l’impératrice russe Catherine II avait tenté de repousser les indigènes : les Tatars de Crimée. En 1944, le dictateur Joseph Staline a également déporté des milliers de personnes vers l’Asie centrale et d’autres régions reculées de l’ex-Union soviétique – dans des conditions brutales. Aliev n’hésite pas à parler de génocide.

Les gens ont à peine eu le temps de faire leurs valises et ont été chassés par la force des armes dans des wagons à bestiaux, rapporte la Bundeszentrale für politische Bildung (BPB, une agence allemande dédiée à l’éducation politique, proposant des ressources et des programmes pour informer les citoyens). Les malades et les blessés, incapables de bouger, ont été « liquidés ». Idem pour ceux qui s’opposaient à l’arrêté d’expulsion.

Alim Aliev.Image : alim aliev

La famille d’Aliyev a ensuite été expulsée vers l’Ouzbékistan, où il est né plusieurs années plus tard, en 1988. « Je ne m’en souviens pas, car un an après ma naissance, nous avons pu retourner en Crimée. » , dit-il. C’est là qu’il a grandi, dans son nouveau et ancien pays. Là encore, les Russes sont arrivés.

« La dernière fois que je suis allé en Crimée, c’était en janvier 2014. Quand ils ont envahi la région, j’étais à Kiev »

Alim Aliev

La même année, il cofonde l’organisation Crimea SOS afin d’attirer l’attention sur la situation de la population.

La Russie soupçonnée de graves violations des droits de l’homme

Depuis l’occupation, les violations des droits de l’homme ont augmenté selon Aliev ; principalement contre les Tatars. Qu’il s’agisse de perquisitions arbitraires, d’enlèvements, d’assassinats ou encore d’interdictions de rassemblement, « cela a complètement bouleversé nos vies ».

« Les Russes nous isolent de plus en plus pour nous empêcher de vivre notre culture. À leurs yeux, nous ne sommes qu’une partie de la Crimée « multiculturelle », mais nous ne représentons pas la plus grande population indigène de la péninsule.»

Alim Aliev

Pour rappel, en 1783, avant que Catherine II ne les chasse, les Tatars de Crimée représentaient 95 % de la population du territoire, selon Aliev. Aujourd’hui, ils sont environ 15 %.

Qui sont les Tatars de Crimée ?

Il s’agit d’un peuple turc musulman, qui regroupe les descendants de différentes ethnies dont les racines remontent à l’Antiquité et aux nomades mongols de la Horde d’Or au XIIIe siècle. Selon le BPB, la Crimée est étroitement liée à son identité nationale. Pendant des siècles, les dirigeants russes et soviétiques ont tenté de repousser et d’éradiquer les Tatars de Crimée.

Fuite russe et refuge en Ukraine

« On estime que 50 000 personnes ont fui pour échapper aux forces d’occupation russes. C’est beaucoup. Ils vivent aujourd’hui principalement dans les oblasts de Kiev, Kherson ou Lviv, en Ukraine », précise le militant. Parmi les exilés, on retrouve principalement des hommes d’affaires, des étudiants et des journalistes.

“On enseigne aux enfants que l’Ukraine est un ennemi et que l’invasion de la Crimée par la Russie est glorieuse”

Alim Aliev

La Crimée était autrefois considérée comme un paradis de vacances, mais le Kremlin l’a transformée en une véritable forteresse militaire. « Cette militarisation ne s’arrête devant rien, pas même la conscience et l’esprit des habitants »estime Alim Aliev. Dans les crèches, les enfants sont habillés avec des uniformes de l’armée soviétique certains « jours fériés ». Des vétérans russes visitent les écoles et racontent leurs « histoires de héros ».

L’annexion de la Crimée par les Russes célébrée en 2014.Image : EPA

Effacer leur identité

Moscou s’attaque délibérément à l’ADN des Tatars et veut le remplacer par une nouvelle « identité russe ». “Selon la propagande russe, nous sommes un peuple extrémiste.” De nombreuses personnes sont qualifiées d’extrémistes ou de terroristes afin d’être persécutées.

«Nous ne luttons donc pas contre nous, le peuple, contre les Tatars de Crimée, mais contre les terroristes. C’est plus de ventes »

Alim Aliev

À cela s’ajoute l’attaque contre la langue. « Quand j’étais enfant, un Russe qui m’entendait parler m’a demandé un jour de parler une langue normale », se souvient Aliev. Le Tatar pourrait être contraint de disparaître faute de locuteurs. Dans les écoles de la région, elle est proposée en deuxième branche tout au plus. Et la Russie s’attaque également aux biens culturels. Ceux qui ne correspondent pas à l’idéologie russe sont détruits ou défigurés.

Alim Aliev cite par exemple le Hansaray, ou Khan-Saraï ou encore « le palais du khan » situé dans la ville de Bakhtchissaraï en Crimée. Elle a été reconstruite par les autorités russes, qui ont délibérément effacé son aspect traditionnel.

le Hansaray, ou Khan-Saraï ou encore « le palais du khan »

Getty ImagesEurope

Moscou réécrit également l’histoire de manière à ce que les Tatars de Crimée n’y jouent pratiquement aucun rôle.

« La Russie veut anéantir mon peuple. Comme les Ukrainiens, nous luttons pour notre identité. »

Alim Aliev

Cette volonté de justice pousse la minorité à ne pas se laisser abattre après tous ces siècles. Le militant rêve qu’un jour tous les Tatars pourront rentrer chez eux et vivre une renaissance de leur culture et de leur religion. Au final, on peut voir le sort des Tatars comme un boomerang, estime-t-il. “Nous revenons toujours à notre patrie.”

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(Traduit et adapté par Valentine Zenker)

 
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