Sans possibilité de recours, sans garantie d’impartialité des juges, la Haute Cour de Justice repart avec une grande faiblesse, qu’il est urgent de corriger, de sorte que les décisions qui en résulteraient sont au-dessus de tout soupçon.
Les dés sont jetés. La majorité parlementaire a installé ses juges, titulaires et suppléants, pour siéger au niveau de la Haute Cour de Justice. Conformément aux dispositions de la loi fixant le règlement intérieur de l’Assemblée nationale, il y aura, dans cette instance, sept membres issus du parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) et un seul issu de l’Alliance pour le Sénégal. la République. Tous sont connus non seulement pour leur activisme actif, mais aussi et surtout pour leur parti pris évident sur certains faits qui, potentiellement, peuvent être déférés à cette juridiction. En tout état de cause, de sérieux doutes existent quant à leur impartialité et à leur capacité à apprécier les faits et à énoncer le droit.
Dans un article daté du 10 décembre et publié « Haute Cour de justice : privilège ou poison », le docteur en droit public, Médoune Samba Diop, attirait déjà l’attention sur la présence d’hommes politiques qui ne connaissent pas forcément grand chose au métier de juge. . La Haute Cour de Justice, selon le professeur de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, ne garantit pas un procès équitable. Il ajoute : « Ce sont des députés politiques qui jugent leurs adversaires. Tout d’abord, ce ne sont pas des magistrats. Ensuite, ils jugent un adversaire politique, pour ne pas dire un ennemi. C’est un vrai problème et je pense que les gens doivent essayer de le réformer avant d’y référer qui que ce soit.
Dans cet entretien, l’enseignant est revenu sur la seule affaire qui, jusqu’alors, a été instruite et jugée par ce tribunal, à savoir l’affaire Mamadou Dia, au début de l’indépendance. Paradoxalement, c’est le procureur qui a relaxé les accusations, à une époque où les juges avaient la main très lourde. « Dans ses mémoires, l’ancien procureur Ousmane Camara expose clairement les faiblesses de cette haute juridiction. Lui, le procureur, a soutenu que Mamadou Dia avait certainement commis une erreur en empêchant l’Assemblée nationale de se réunir, mais il n’avait pas vu dans ses actes des faits constitutifs d’un coup d’Etat. S’il y avait des juges professionnels, le président Dia ne subirait peut-être pas une sanction aussi lourde.
Il sera difficile d’appliquer les décisions dans les pays qui ont certaines normes
Il ne s’agit pas ici d’accuser un quelconque régime, d’autant que le régime actuel n’a fait que pourvoir des postes dans une juridiction déjà en place depuis plusieurs décennies. Il s’agit avant tout d’examiner la pertinence de cette institution très importante, chargée de juger les plus hautes personnalités de la République. Une institution qui, pour la plupart des juristes consultés, est « anachronique », non conforme aux exigences d’un Etat de droit moderne. Et c’est elle qui risque de connaître la culpabilité ou non des responsables déchus du régime Macky Sall.
À ce jour, aucune volonté de réformer cette juridiction pour la rendre plus conforme aux normes n’a été évoquée. La question est totalement absente des recommandations de la conférence nationale sur la justice. Cela n’a même pas été évoqué lors de ces réflexions. A l’image de la défunte Cour pour la répression de l’enrichissement illicite qui a été oubliée dans son coin jusqu’à sa réactivation par Macky Sall pour juger Karim Wade, la Haute Cour a également été oubliée dans son coin jusqu’à ce que le régime du duo Diomaye-Sonko décide de la réactiver pour répondre aux doléances. contre certains membres de l’ancien régime. Même si l’on est encore très loin de l’étape du jugement, qui est la phase finale durant laquelle les politiques auront leur mot à dire.
Contrairement à une idée répandue qui croit que les politiques ne participent pas à la délibération, force est de constater que devant cette juridiction, les décisions sont prises collégialement comme dans toute juridiction. L’article 33 de la loi 2002-10 du 22 février 2022 est clair à ce sujet. Il précise : « La Haute Cour, après avoir clôturé la procédure, se prononce sur la culpabilité de l’accusé. Il est voté séparément pour chaque accusé porté sur l’accusation et s’il existe des circonstances atténuantes. Le vote a lieu au scrutin secret à la majorité absolue.
Aux termes de l’article 34, « si l’accusé est reconnu coupable, il est statué sans délai sur l’application de la peine ». Le texte ajoute : « Après deux votes au cours desquels aucune phrase n’a obtenu la majorité des voix, la phrase la plus forte proposée lors de ce vote sera rejetée pour le vote suivant et ainsi de suite, en excluant à chaque fois la phrase la plus forte jusqu’à ce qu’une phrase soit prononcée par la majorité absolue des électeurs.
Pour défendre le régime actuel, il faut préciser que la désignation des membres de la Haute Cour de Justice est une exigence de la loi, qui exige que dans le mois qui suit l’installation du pouvoir législatif, les membres de la juridiction puissent être choisi par l’Assemblée. Suite à l’alternance de 2012, les membres ont été désignés, mais il n’y a eu aucune mise en examen. L’ancien régime préférait recourir au Tribunal pour la répression de l’enrichissement illicite, également jugé anachronique. D’ailleurs, il a été oublié immédiatement après la sanction du fils de l’ancien président.
Selon la loi précitée, « après chaque renouvellement et dans le mois qui suit sa première réunion, l’Assemblée élit huit juges titulaires et huit juges suppléants ». C’est ce qu’a fait la majorité parlementaire de Pastef, qui a elle aussi appliqué rigoureusement la clé de répartition prévue à cet effet.
Outre les hommes politiques, la Haute Cour comprend le premier président de la Cour suprême qui en est le président et il sera remplacé par le président de la Chambre pénale de la Cour suprême.
Cela dit, la loi de 2002 prévoit certains cas dans lesquels un membre du tribunal peut être récusé. Parmi les motifs figure le cas d’une « inimitié capitale » entre l’accusé et le député en question. Reste à savoir ce que l’on entend par « inimitié du capital ».
« Une juridiction qui ne permet pas de voie de recours pose un vrai problème »
Les problèmes de la Haute Cour de Justice ne résident pas seulement dans sa composition, avec des personnes qui siègent dans les organes des partis politiques. C’est aussi l’impossibilité de faire appel, comme ce fut le cas avec la défunte CREI. Ce professeur, qui a préféré rester anonyme, a déclaré : « C’est ce qui me dérange le plus. Dans les normes de jugement actuelles, les droits de la défense sont très importants. Avoir une juridiction qui ne permet pas de faire appel est un réel problème.
Selon le spécialiste, il s’agit là d’une faiblesse majeure qui peut réduire considérablement la portée des décisions qui seront rendues. « Ces décisions peuvent facilement être contestées devant certaines juridictions supranationales. Il sera également difficile de les faire respecter dans les pays où l’État de droit est une réalité. Les techniciens auraient dû faire l’effort de corriger cette partie ».
Sur la question des membres politiques, il souligne qu’il faut d’abord rappeler qu’ils siègent en tant que députés. « Le député est un représentant du peuple. Maintenant, d’un point de vue politique, il est difficile de ne pas faire le lien avec leurs appareils », a-t-il ajouté.
Pour le moment, nous sommes encore loin de cette étape du jugement. En effet, avant de rendre le jugement, il faudra non seulement passer par l’étape de la mise en examen devant l’Assemblée nationale, mais aussi l’étape cruciale de l’enquête, mise en œuvre par une commission qui, elle, est exclusivement composée de magistrats. La loi précise : « Il est créé au sein du Tribunal de Grande Instance une commission d’instruction présidée par le premier président de la Cour d’appel de Dakar, remplacé, en cas d’empêchement, par le président de la Chambre d’accusation de ce même tribunal et composée de quatre membres titulaires et quatre suppléants.
Ces derniers sont désignés au début de chaque année judiciaire parmi les magistrats du siège de la cour d’appel de Dakar par l’assemblée générale du tribunal, sans la présence des procureurs. Le ministère public est, quant à lui, exercé par le procureur général près la Cour suprême. Et le service d’enregistrement par le greffier en chef de la Cour suprême. Dans les 24 heures suivant la transmission de la résolution, le procureur général notifie l’acte d’accusation au président du tribunal et au président de la commission d’instruction.
Quant aux « jugements qui ne sont susceptibles d’aucun appel ou appel », les actes de la commission d’instruction « ne sont susceptibles d’aucun appel », aux termes de l’article 21 al 2.