“Emilia Pérez” by Jacques Audiard

“Emilia Pérez” by Jacques Audiard
“Emilia Pérez” by Jacques Audiard

Emilia Pérez by Jacques Audiard © Pathé




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Sortie Blu-ray : Émilie Pérez by Jacques Audiard

Une nouvelle vague de comédies musicales s’installe depuis plusieurs années et au-delà dans le paysage audiovisuel de la production cinématographique française Annette (2021) de Leos Carax, c’est au tour de Jacques Audiard d’être le nouvel ambassadeur made in French du genre. Avec un budget plus modeste mais avec une thématique personnelle profonde, Stéphane Ly-Cuong, qui se produit dans Émilie Pérez une courte scène chantée et dansée dans le rôle du chirurgien à Bangkok, réalisée Dans la cuisine des Nguyen qui sortira en salles en en mars 2025.

Tout commence avec Jacques Audiard, non pas dans la volonté de se confronter à un nouveau genre cinématographique, lui qui est particulièrement attaché et fidèle au film noir, même dans ce film encore, mais plutôt avec un personnage secondaire qu’il a rencontré dans un roman où un Mexicain Le chef du cartel de la drogue a tenté de faire la transition pour devenir une femme. C’est son écriture qui l’a conduit vers une forme lyrique à grand spectacle et ainsi entrer dans les codes du genre cinématographique associé au monde du spectacle hollywoodien malgré les tentatives de propositions autoristes fournies en France par Jacques Demy. La question du poids de la définition de la masculinité comme identité sociale qui pèse et écrase les hommes traverse toute la filmographie de Jacques Audiard sans exception. Aussi, mettre le thème contemporain de la transsexualité au centre de son intrigue est une manière d’entrer au cœur de ses interrogations. Il a réussi un casting brillant où les femmes, pour la première fois dans son cinéma, sont en première ligne avec un quatuor salué par un passionnant prix d’interprétation collective au festival de Cannes.

Le tournage a finalement été réalisé pour la grande majorité dans un studio en France, assumant ainsi l’artificialité de l’exploration du genre au détriment du réalisme social mexicain. Cependant, la question dramatique des disparus au cœur de l’influence du trafic de drogue au Mexique et le soutien aux femmes qui luttent contre les violences de masse menées principalement par des hommes dépassés par leur masculinité toxique sont au cœur du scénario. De plus, la thèse iconoclaste mais pertinente du scénario repose sur l’idée que la violence endémique du développement des crimes au Mexique proviendrait de la nécessité pour les hommes d’aller individuellement dans l’escalade d’une masculinité grotesque pour survivre, jusqu’au au détriment d’une féminité bannie. Quant à la tentative de rédemption possible dans la deuxième partie du film de la figure du mal pourrait ressembler à une idéologie chrétienne de rachat de ses fautes, elle n’en fait pas moins sens dans une société mexicaine catholique.

Jacques Audiard reprend ainsi des thèmes qui font sens au Mexique mêlés à ceux qui le nourrissent personnellement en tant que cinéaste mais sans avoir besoin de baigner dans l’inspiration de la réalité mexicaine qui est ainsi interdite de tournage. Le seul représentant de la profession cinématographique mexicaine est ainsi incarné par Adriana Paz mais malheureusement dans un rôle bien trop court à l’écran. La cinématographie mexicaine, bien que riche de sa longue histoire, n’est pas explorée ici, Jacques Audiard restant dans ses positions de réalisateur français mêlé de référence au cinéma made in USA où il cherchera deux de ses protagonistes antagonistes, en dehors de l’actrice Karla. Sofía Gascón, à savoir Zoe Saldana et Selena Gomez, qui par contre sont parfaites dans leurs rôles, tant dans leurs scènes dialoguées que chorégraphiées, ce qui constitue une performance significative.

Le film est ainsi riche d’un scénario étoffé, sujet d’une singularité importante et politiquement audacieux à l’heure où la transphobie prend la voix du nouveau président des USA Trump et où la France n’est pas toujours protégée de telles violences jusqu’à l’intolérance, en fonction de la ligne politique choisie par le gouvernement en place. Il faut aussi ajouter la riche collaboration du cinéaste avec Camille qui a écrit la musique et composé les chansons avec Clément Ducol en versions originales espagnoles pour être d’autant mieux accueilli que ce n’est pas leur langue maternelle mais en proposant une nouvelle version de Passants de Georges Brassens pour clôturer le film.

L’exploration de la comédie musicale par Audiard, même si elle n’est pas une fin en soi de sa part, ressemble beaucoup aux tentatives de Leos Carax dans sa volonté de mélanger plusieurs identités cinématographiques avec un casting international et notamment des stars américaines, mais en recourant à un tournage systématique en studio qui déracine la force d’inspiration qu’ont habituellement les lieux de tournage sur le cinéma d’Audiard. Par ailleurs, en termes de choix de cadrages, la majorité des plans privilégient les tailles de poitrine et les plans plus larges sont réservés à des chorégraphies qui assument alors leur parti pris contre nature. Filmer la réalité sociale d’un Mexique vaste et diversifié n’a donc pas sa place ici dans la dimension lyrique française duÉmilie Pérez. Il manque à ce film l’inspiration des lieux et l’absence profonde du Mexique comme lieu de vie pensé et vécu plutôt que conceptualisé dans l’artifice explicite d’une comédie musicale. Après Les Jeux olympiques (2021), Émilie Pérez se révèle comme une nouvelle tentative audacieuse de renouveler son cinéma et sa forme apparente avec un ADN qui prouve une fois de plus sa pleine intégrité d’auteur.

Émilie Pérez
by Jacques Audiard
Avec : Zoe Saldana (Rita), Karla Sofía Gascón (Emilia/Manitas), Selena Gomez (Jessi), Adriana Paz (Epifania), Edgar Ramírez (Gustavo Brun), Mark Ivanir (Wasserman), Eduardo Aladro (Berlinger), Emiliano Hasan (Gabriel Mendoza), Gaël Murguia-Fur (Angel), Tirso Pietriga (Dieg), Xiomara Melissa Ahumada Quito (la femme en noir), Magali Brito (La Ponchis), Jarib dit Javier Zagoya Montiel (l’aumonier), Sébastien Fruit (El Flaco), Alejandra Reyes (Rosa / la ménagère à la cour), Anabel Lopez (la secrétaire de Berlinger), Daniel Velasco-Acosta (le chauffeur d’Emilia), James Gerard (Simon), Braulio Gómez Bernal (le présentateur du JT), Stéphane Ly-Cuong (le chirurgien), Tulika Srivastava (le chirurgien), Johanna Rebolledo Marin, Alejandra Ambrosi, Karla Lazo, Gabriela Ceceña, Lucile Chriqui, Sarah Gfeller, Luis Gabriel Gonzalez, Loïc Percheron Lazo, Rosario Zamora, Nathalie Saucedo, Marysol Cordourier , Monica Ortiz, Alonso Venegas Flores, Ana Laura Fortuit, Jonas Paz-Benavides, Tiphanie Ham, Benjamin Díaz Espinoza, Holly-Rose Clegg, Kalvin Winson, Lou Justine Moua Nedellec, Michael Nedellec, Mohammed Ali Ismai, Katie Valentine, Zelda Rittner, Eric Geynes, Silvia Herraiz, Angel Romero, Eduardo Lubo, Manuel Sol Mateo, Théo Guarin, Lucas Varoclier
France, Mexique, Belgique, 2024.
Durée : 132′ (2h12)
Sortie en salles (France) : 21 août 2024
Sortie Blu-ray française : 21 décembre 2024
Format : 1.85 – Couleur
Langues originales : anglais, français, espagnol – Sous-titres : français.
Publisher: Pathé

Bonus :
Conversation between Jacques Audiard and Philippe Rouyer (35’40”)
Les coulisses du tournage (11’17”, VF/VOST)

 
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