Notre soupe joumou est-elle française ? (Une autre lecture)

Notre soupe joumou est-elle française ? (Une autre lecture)
Notre soupe joumou est-elle française ? (Une autre lecture)

Mot d’introduction du linguiste-terminologue Robert Berrouët-Oriol, Montréal, 25 décembre 2024.

La nouvelle a provoqué une explosion majeure parmi les enseignants, les intellectuels et les opérateurs culturels à New York et ailleurs : Max Manigat est décédé dans une maison de retraite le 23 décembre 2024. Figure marquante de l’intelligentsia haïtienne new-yorkaise pendant plusieurs décennies, Max Manigat était un éducateur de carrière. Il a enseigné en Haïti, en République Démocratique du Congo et pendant vingt-trois ans il a été professeur à la CUNY (City University of New York) où il a enseigné l’histoire, la culture haïtienne et le créole. Historien rigoureux, passionné de recherche et bibliophile reconnu, il nous a laissé un héritage de premier ordre, à la fois novateur et riche de ses découvertes. Originaire du Cap Haïtien, homme d’une grande culture et d’un savoir encyclopédique, il cultivait avec une élégance très naturelle la discrétion qui sied à un honnête homme. Max Manigat était un homme de dialogue ouvert d’esprit et il a apporté à plusieurs reprises sa contribution aux différents débats citoyens liés à Haïti. Visionnaire désireux de mettre les livres écrits en Haïti et dans la diaspora à la portée des lecteurs haïtiens chez eux, dans leur cadre de vie habituel, Max Manigat a inauguré le premier service de commande téléphonique de livres haïtiens dans l’État de New York dans les années 1980. Les lecteurs vivant à New York et ailleurs passaient des commandes et recevaient les livres préalablement choisis contre un paiement garanti. LE ” Centre du livre haïtien » créé par Max Manigat fut ainsi la première librairie patrimoniale en ligne de l’État de New York.

Le travail de Max Manigatissu de ses recherches historiques et sociologiques, comprend plusieurs titres de référence :

1. « Haïti 1971-1975. Bibliographie haïtienne » (Editions du Cidihca, 1981).

2. « Haïti 1991-1995. Bibliographie haïtienne » (Editions du Cidihca, 1997).

3. « Haïti 1996-2000. Bibliographie haïtienne » (Editions du Cidihca, 2003).

4. « Dirigeants d’Haïti : 1804-2001 – Aperçu historique (Vision de l’éducation 2005, 2006).

5. « Mots créoles du nord d’Haïti. Origines – Histoire – Souvenirs (Vision de l’éducation, 2006).

6. « Le joyau de la cuisine capoise : la noix de cajou (Vision de l’éducation, 2012).

7. « Origines, histoire et souvenirs de 600 mots créoles de ma jeunesse à Capoise » est apparu dans « Cap-Haïtien. Excursions dans le temps. A travers nos souvenirs » (Sanba Editions, [Haiti]2014).

8. « Mots créoles du nord d’Haïti. Origines-Histoire-Souvenirs (Vision de l’éducation, 2006).

9. « Patamouche (Vision de l’éducation, 2007).

10. « Proverbes créoles haïtiens du XIXe siècle (Vision de l’éducation, 2009).

11. « Sagesse haïtienne / Vieux proverbe haïtien (Vision de l’éducation, 2009).

12. « Proverbes haïtiens d’Edmond Chenet (Vision de l’éducation, 2013).

13. « Cap Haïtien / Excursions dans le temps » (Sanba Editions, [Haiti]2014).

14. « Cap Haïtien / Excursions dans le temps » / Voix capoises de la diaspora » (Éduca Vision, 2008).

Notre soupe joumou est-elle française ? (Une autre lecture)

Par Max Manigat

Article publié dans Haïti en mouvementvol. XXXI n° 513, janvier 2018, page 11.

La réédition de cet article remarquable est un hommage à Max Manigat

décédé à New York le 23 décembre 2024.

Des traditions bien ancrées dans de nombreuses familles haïtiennes « plus françaises que de Gaulle » nous font parfois porter des œillères, et dès qu’il s’agit d’étymologie ou de coutumes culinaires elles ramènent tout à « nos ancêtres les Gaulois ». Il suffit de rappeler la folle étymologie traditionnelle du mot créole « marassa » dont l’origine serait : « [c’est] ma race ça. » Comme je l’ai écrit dans mon « Mots créoles du nord d’Haïti… » (2006, p. 238) notre mot marasa n’est autre qu’une prononciation haïtienne des mots Kikongo : « jumeaux, jumeaux : jumeaux ; variantes : mahasa, mahasa. » (Pierre Swartenbroeckx (1973, p. 303) Philologie créole » avait raison lorsqu’il écrivait : « Le mot marasa est africain et une de ses variantes kikongo est mayása… » (Faine, Jules : « Philologie créole »…, p. 319.) * L’origine de notre traditionnelle soupe joumou du 1er janvier se prête aussi à une version fantaisiste faisant croire que nos ancêtres africains jetés en esclavage à Saint-Domingue, devenus libres et haïtiens, ne pensaient à rien d’autre, le premier jour de notre indépendance, que de se régaler d’un plat que leurs anciens maîtres leur refusaient. Deux vodouologues compétents : Jerry & Yvrose Gilles, auteurs du livre : « Service de Guinée. Racines, Rituel, Respect lan Vodou » (2009, 401 p., ill.) » ont dans un article intitulé « Soup Joumou » (www.bookmanlit.com) mis les points sur les « i » : « Il est vrai que les gens qui travaillaient comme esclaves ne mangeaient pas Bien , Il n’y a aucune preuve que les colons français ont empêché les Africains de boire de la soupe à la citrouille.ni les empêcher de manger d’autres aliments. La soupe à la citrouille n’a jamais été un aliment réservé uniquement aux colons. Soupe de potiron cuisinée selon une tradition bien ancrée dans le patrimoine guinéen. Ce n’est pas un faux aliment. Cela n’a rien à voir avec la cuisine française. » [« Bien qu’il est vrai que les personnes travaillant comme esclaves n’avaient pas une alimentation adéquate, aucune preuve n’existe pour montrer que les colons français interdisaient aux Africains de manger de la soupe joumou. Cette soupe ne fut jamais un plat réservé aux seuls colons. La soupe joumou se prépare d’une façon conforme à l’Eritaj Ginen [notre héritage africain]. Ce n’est pas un plat que nous avons copié. Cela n’a rien à voir avec la cuisine française. »] [Ma traduction] * Descourtilz ne parle pas de « soupe au giraumon » : « Les dames créoles aiment beaucoup le giraumon cuit avec du sel salé et des bananes mûres. On prépare aussi la pulpe avec du lait et du sucre pour les desserts, et on appelle cette préparation Giraumonade. (Descourtilz : « Flore pittoresque »…t. V, p. 75) Le mot : jiromonad / jiomounad n’est pas enregistré dans le « haïtien-anglais Dictionnaire » (2004, 1020 p.) de Bryant C. Freeman (dir.) Le plat décrit par Descourtilz « (…) les dames créoles aiment beaucoup le Giraumon cuisiné avec du petit-salé et des bananes mûres » a disparu de notre répertoire culinaire. Elle ressemble à celle proposée par Niniche Gaillard (1950, p. 198) : « Jourou-mounade », mais au lieu d’être dégusté seul, il est « …servi chaud, agrémenté de persil haché. Cela accompagne la viande rôtie (sic). ” LE Jomounad est connu dans le Nord, c’est une préparation à base de riz et de giraumon. * LE ” Grand dictionnaire de cuisine… » (1873, 1,155 p.) d’Alexandre Dumas (oui ! Alexandre Dumas père) ne nous propose que cette soupe au potiron : « Soupe à la citrouille. — Coupez votre potiron en petits morceaux dans votre casserole, versez dessus un verre d’eau, laissez-le bouillir jusqu’à ce qu’il soit bien cuit, puis sortez-le de l’eau, égouttez-le et passez-le dans une étamine, mouillez cette purée avec du lait , ajoutez le beurre qui vient d’être battu, salez-le convenablement, faites bouillir votre soupe et versez-la sur des croûtons passés au beurre et coupés en losanges ou en deniers. » (p. 876) * *Consommée en Afrique de l’Ouest, la version moderne de ce plat nous donne une idée de cette préparation de Giraumon (citrouille) que nos ancêtres connaissaient dans leur pays d’origine. Recette africaine (trouvée sur le web) Souper à la citrouille d’Afrique de l’Ouest (Libéria, Sierra Leone) Ce souper à la citrouille est plutôt un ragoût épais et est servi avec du riz (Pour 4 à 6 personnes ???? Ingrédients : 1 giraumon moyen pelé, débarrassé de ses graines et coupé en cubes 2 tomates fraîches écrasées 1 c. à l’art. à soupe de concentré de tomate 1 gros oignon haché 4 c. à l’art. d’huile de palme 1 cube de bouillon 300 gr de viande coupée en cubes (facultatif) 1 c. à l’art. poisson préalablement bouilli, sans arêtes ni poisson fumé Poivre noir ou blanc. Sel de piment au goût 1 l. eau 2 cuillères à soupe. à l’art. beurre de cacahuète ou manba (facultatif) Il s’agit d’une version moderne d’une ancienne recette en raison de la présence du cube de bouillon. J’ai enseigné en République Démocratique du Congo dans les Provinces du Kwango, du Nord Kivu (pron. kivou) et du Kivu (pron. kivou). A ma connaissance, cette soupe ne faisait pas partie des plats ordinaires. Pourtant, les giraumons existaient. Toutes les familles haïtiennes d’enseignants gardaient la coutume de souper à la citrouille traditionnel du jour de l’année. * Diaspora Africaine : J’ai mangé à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, duoups citrouille presque en tous points semblable au nôtre sauf qu’à la pension d’Anna (originaire de Sainte-Lucie) elle était prise le samedi soir. Voici les ingrédients d’une de ces soupes antillaises trouvées sur le Web : Soupe de bœuf antillaise 100 gr. de corned-beef 3 pommes de terre 3 poireaux ¼ de chou 3 navets 1 carotte 250 gr. épinards 2 oignons 200 gr. potiron 2 branches de céleri Sorrel 50 gr. d’huile de beurre. * Là souper à la citrouille existe également à Cuba et en République dominicaine. Il ne ressemble au nôtre qu’en Giraumon qui est l’un de ses ingrédients essentiels. * Jamaïque souper à la citrouille est connue en Jamaïque : la soupe jamaïcaine de bœuf giraumon Pour 6 personnes Ingrédients : 2 l. d’eau 1 lb de soupe ou d’os de bœuf pour le ragoût ½ lb de carottes coupées en cubes ¼ lb de navets coupés en cubes 1 lb de giraumon des Caraïbes (ou courge musquée) coupé en cubes 1 branche de thym 2 oignons verts (ciboulette) 1 cuillère à soupe . cuillère à soupe. sel Ingrédients pour le donbrèy : 2 t. farine 1½ c. cuillère à café de sel ½ t. eau froide [traduction] [www.sparkpeople.com]. La recette précédente souligne que l’ajout de donbrèy est facultatif. * En visite à Nassau, aux Bahamas, en 1994, j’ai été invité par le pasteur de l’église baptiste et son épouse à manger le souper à la citrouille Dimancheavant le culte. J’ai été un peu surpris de constater que la soupe, en tout point semblable à notre traditionnelle, contenait également du petit donbrèy. Le couple est originaire de Port-de-Paix. Était-ce une coutume dans ce coin d’Haïti ou la femme du pasteur avait-elle adopté cette nouvelle addition à notre recette traditionnelle ? *Brésil: soupe à la citrouille (citrouille) avec du jambon 1 potiron, environ 7k.2 8 gros oignons jaunes 1 gousse d’ail ou ½ selon votre goût 8 piments verts ou rouges forts 8 litres de bouillon de poulet ½ tasse d’huile d’arachide 3 lbs de jambon ou de jarret de jambon 4 -5 feuilles de laurier Sel et poivre au goût Pincée de muscade et pincée de cardamome (facultatif) Nettoyer le potiron ; retirez les graines. Coupez-le en petits morceaux. Faire revenir les oignons et l’ail dans l’huile d’arachide, ajouter les 8 litres de bouillon de volaille ; là citrouille (citrouille), piments forts, jambon. Lorsque le potiron est tendre, réduisez-le en purée. Laissez mijoter lentement pendant plus de 30 minutes. Cette recette sert un grand nombre de personnes (environ 40). Cette soupe se congèle bien ; vous voudrez peut-être ajouter du jus de citron ou du jus d’orange au contenu avant de congeler le surplus de soupe. Il est riche et peut être servi avec une cuillerée de crème sure. [ma traduction] [www.cooks.com] * Comme l’expliquent Jerry & Ivrose Gilles, notre souper à la citrouille le traditionnel Nouvel An ne nous vient pas de . Les exemples cités plus haut : Guadeloupe, Cuba, République Dominicaine, Jamaïque, Nassau, Brésil, autant de pays où la tradition africaine reste vivante, le montrent bien. Notons enfin que les mois de décembre et janvier sont les mois où giraumonts (citrouille) se trouvent en quantité en Haïti. Est-ce que cela a quelque chose à voir avec ce repas du 1er janvier ? La recette de cette soupe ne nous est pas parvenue. Imaginons : des morceaux de jarret de bœuf, quelques fines herbes, du giraumon, du sel, du piment, et voici notre plat. On comprend aussi qu’après onze années de guerre où la « terre brûlée » était l’une des armes de nos ancêtres luttant pour leur liberté et leur indépendance, il n’aurait pas dû rester grand-chose à mettre dans cette soupe. Des carottes, du chou et des pommes de terre, si disponibles, auraient pu être ajoutées. Quant aux pâtes : vermicelles, macaronis, ce seraient des ajouts assez récents remontant peut-être à la fin du XIXème siècle.. La cuisine française de l’époque connaissait les nouilles, mais je doute que « en ce beau jour de notre » indépendance nos cuisiniers auraient eu à leur disposition cet ingrédient raffiné..

 
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