Les cris des chiens errants effrayés résonnent dans les rues de Pokrovsk, répondant au rugissement de l’artillerie de l’armée russe, qui se rapproche inexorablement de cette ville minière de l’est de l’Ukraine.
Le bruit des canons n’interrompt cependant pas les discussions de plusieurs personnes âgées, qui font partie des quelque 10 000 habitants sur 60 000 qui restent encore dans cette ville du Donbass malgré l’arrivée imminente des troupes de Moscou.
Balayant les débris des rues, assis à un arrêt de bus obsolète ou dans l’une des rares épiceries encore ouvertes, ces habitants font preuve d’une certaine impassibilité face au bruit des explosions.
« Rien de spécial », répond Svitlana, l’épicière, lorsqu’une nouvelle salve retentit.
Cette femme de 51 ans se dit habituée à ces explosions. Mais elle se montre moins flegmatique quant à la rapidité de l’avancée des troupes russes, qui ne se trouvent qu’à deux kilomètres des portes de la ville, nœud logistique important pour l’armée ukrainienne et dont l’industrie de la coke est également clé pour le pays. .
« Nous pensions que nous étions protégés. Je pensais qu’il y aurait une vraie bataille pour défendre Pokrovsk”, a confié l’épicière à l’AFP, répétant avec exaspération qu’elle “ne s’attendait pas à ça”.
La semaine dernière, le commandant en chef de l’armée, Oleksandr Syrsky, a qualifié les combats de « particulièrement féroces ».
Après un an de revers militaires, l’arrivée des combats à Pokrovsk constitue un nouveau coup dur.
En juillet déjà, le président ukrainien Volodymyr Zelensky avait souligné que son armée manquait d’effectifs et de moyens pour contenir l’offensive russe à l’Est.
– « C’est la fin » –
Vladimir Poutine s’est félicité lundi d’avoir « l’initiative » sur l’ensemble du front, au terme d’une année 2024 qualifiée de « charnière ».
Au centre de Pokrovsk, ponts effondrés et bâtiments soviétiques éventrés témoignent de l’ampleur des bombardements.
Les banques sont fermées depuis septembre, la gare est abandonnée, l’approvisionnement en gaz s’est arrêté début décembre et les installations minières de Pokrovsk, vitales pour l’industrie sidérurgique, commencent à fermer.
L’université locale, dont le bâtiment principal est en ruines, envisage de déménager vers l’ouest, à Lviv.
Olga Bogomaz, professeure agrégée de Pokrovsk, s’est rendue une dernière fois dans cette université en août, au lendemain de l’attaque qui a dévasté le site : « J’ai compris ce jour-là que c’était la fin ».
« Ils n’ont pas seulement détruit le bâtiment. Ils ont détruit son histoire et les espoirs des enseignants et des étudiants de pouvoir revenir », déplore-t-elle.
Mme Bogomaz, qui a été témoin du soulèvement des séparatistes du Donbass soutenus par Moscou en 2014, ressent « de la douleur » et de la « colère » à chaque nouvelle destruction provoquée par l’armée russe.
Certains experts militaires considèrent Pokrovsk déjà perdu, pointant la responsabilité des généraux, le retard des livraisons de drones, ou encore des problèmes systémiques dans les lignes de défense…
« Tout le monde a accepté le fait que les Russes allaient entrer à Pokrovsk », estime un militaire ukrainien suivi par 200 000 personnes sur les réseaux sociaux.
– « Combats de rue » –
Une analyse partagée par Gypsie, chauffeur de char en poste à la périphérie de la ville.
“Il y aura bientôt des combats de rue à Pokrovsk”, prédit le conducteur de char de 34 ans dans une forêt balayée par les vents.
Sa tâche au sein de la 68e Brigade : faire pleuvoir des obus, depuis son char allemand Leopard, sur l’infanterie russe qui attaquait vague après vague par petits groupes.
Cette tactique est coûteuse en vies humaines pour la Russie, mais efficace contre une armée ukrainienne qui manque d’hommes et d’armes pour contenir tant d’assauts.
Face à l’avancée russe, Anna, une étudiante de 21 ans, et sa mère ont finalement décidé de partir.
Ils fourrent six sacs en plastique contenant les seules affaires qu’ils ont pu emporter dans un fourgon blindé qui porte les traces de deux frappes de drones.
Direction Kyiv où la jeune femme n’a jamais mis les pieds et ne connaît personne.
Un passant aux yeux écarquillés lui demande alors si elle peut aussi s’enfuir.
« Certains ne partent qu’à la dernière minute. Il fait froid dans les appartements. Tout s’effondre. C’est la misère », note Anna.
La jeune femme espère un jour pouvoir retrouver son foyer. Mais cela ne sera possible qu’à une seule condition : que la ville fasse « toujours partie de l’Ukraine ».