Le rallye annuel des prix littéraires de la rentrée, tradition professionnelle et médiatique du monde de l’édition parisienne, laisse désormais place à la dernière ligne droite de 2024. Le prochain mois de décembre s’annonce crucial pour les maisons d’édition, mais aussi pour les librairies, après une année que beaucoup s’accordent déjà à qualifier de « morose ».
La multiplication des événements et des conflits politiques – que le secteur considère généralement comme mauvais pour les ventes de livres -, l’inflation omniprésente, la hausse des frais d’expédition des livres et l’essor du marché de l’occasion font craindre des résultats peu enthousiastes.
A cette équation s’ajoute la concentration toujours à l’œuvre dans le secteur – Editis rachète Delcourt, tandis que Madrigall s’intéresse à Christian Bourgois et aux Éditions du Globe – et l’appétit de celles-ci. supergroupes» pour lequel le chiffre d’affaires doit être toujours plus important, afin de supporter les coûts et satisfaire les actionnaires potentiels.
Dans ce contexte, les prix littéraires représentent des atouts sur lesquels capitaliser. Dans un marché d’offre, où la surproduction est aussi la norme, l’acheteur en manque d’idées sera sans doute convaincu par une grande banderole en couverture…
Les jurés qui décernent ces prix sont issus d’un bloc sociologique particulièrement homogène, avec un profil récurrent, celui d’un homme blanc, âgé d’un peu plus de 60 ans, lui-même auteur ou journaliste (ou les deux), issu d’un milieu privilégié, y compris dans le monde culturel. et politique, comme nous l’avons montré l’année dernière. Certains siègent même à plusieurs jurys de récompenses, renforçant ainsi leur influence, quand leur jugement peut être plus ou moins biaisé par leur statut d’auteur publié par telle ou telle maison d’édition, voire d’éditeur.
Les auteurs à part
Souvent moins bien payées et moins médiatisées que leurs confrères masculins, les auteurs françaises pourraient au moins se réjouir d’une présence de plus en plus marquée dans les prix littéraires.
Ainsi, les femmes ont remporté 54% des 14 principaux prix littéraires entre 2020 et 2023, ce qui représente une véritable progression sur les 20 dernières années, puisqu’elles n’avaient remporté que 25% de ces mêmes prix entre 2000 et 2009, rapporte l’Observatoire pour l’égalité entre les femmes. et les hommes dans la culture et la communication, en mars 2024.
La rentrée littéraire 2024 ne s’inscrit décidément pas dans cette tendance. Sur 22 prix pris en compte dans notre article, 15 ont été attribués à des auteurs, contre seulement 7 à des auteurs féminines. Si l’on se limite aux personnalités représentées dans les classements, on dénombre 11 hommes pour 6 femmes (un seul auteur a reçu deux prix, quand plusieurs auteurs ont reçu plus d’un prix).
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Si l’on se limite aux 9 prix littéraires les plus emblématiques (Académie Française, Décembre, Femina, Goncourt, Interallié, Prix des libraires, Prix du livre Inter, Médicis et Renaudot, sélection de l’Observatoire de l’égalité entre les femmes et les hommes dans la culture et la communication ), seulement deux ont été attribuées à des auteurs femmes cette année…
Cohérence ou conformisme ?
L’homogénéité socio-économique des membres des jurys des prix de rentrée a une conséquence imparable : ces quelques personnalités définissent par leurs choix une culture légitime, qui doit s’afficher dans certains milieux, voire dans la société, pour être considérée comme un lecteur digne de ce nom.
Il est donc courant de retrouver, dans les résultats des prix littéraires, certains noms récurrents. En 2023, Neige Sinno avait ainsi tracé un chemin, son œuvre tigre triste(POL) cumulant cinq prix notables de rentrée. Mais la tendance à la consécration unanime d’un titre par les jurys des différents prix est devenue de plus en plus rare.
In 2024, five authors alone will mobilize a double quantity of awards: Kamel Daoud (Prix Goncourt and Prix Transfuge), Gaël Faye (Prix Renaudot and Prix Roman News), Olivier Norek (Prix Jean Giono and Prix Renaudot des Lycéens), Miguel Bonnefoy (Prix Femina and Grand Prix du Novel of the French Academy) and finally Gabriella Zalapi (Prix Femina des Lycéens and Prix Blù Jean-Marc Roberts).
L’industrie pèse
En 2022, la concentration éditoriale avait largement dominé les prix littéraires, offrant un grand avantage aux groupes industriels du secteur dans le choix des cadeaux de fin d’année. 2023 avait un peu corrigé le tir, en réservant de belles récompenses à plusieurs maisons indépendantes.
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Et cette année ? Elle souligne le retour de la domination des groupes éditoriaux, qui ont remporté 15 prix sur les 22 pris en compte, contre 7 pour les structures indépendantes (notamment la rue Fromentin, les éditions Sabine Wespieser ou encore les éditions Zoé). Quatre groupes sont à égalité, avec 3 récompenses chacun : Madrigall, Actes Sud, Média-Participations et Hachette Livre. Editis, n°2 de l’édition française, fait mieux qu’en 2023, avec deux trophées, tandis qu’Humensis n’en ramène qu’un.
Plus de ventes, mais à quel prix ?
Pour un écrivain et son éditeur, remporter un prix représente évidemment une reconnaissance bienvenue de la part de ses pairs. Mais, pour une maison d’édition, ce signe distinctif accordé à une œuvre recèle un potentiel commercial indéniable.
Marronnier au même titre que les prix littéraires d’automne eux-mêmes, la question peut cependant se poser : quelle récompense est la plus rémunératrice, pour un éditeur ? Bien sûr, les réponses apportées ne valent pas grand-chose, car la réputation d’un prix ne fait pas tout : la médiatisation de son lauréat, mais aussi une éventuelle polémique, pourraient faire pencher la balance.
De même, une actualité chargée le jour de la remise des prix – notamment dans un contexte politique très mouvementé – pourrait évincer cette actualité littéraire du champ médiatique. Un certain nombre d’autres facteurs influencent les ventes d’une œuvre (prix – en euros -, sujet, réputation de l’auteur, campagne promotionnelle de l’éditeur), à tel point qu’une simple observation des ventes de la semaine suivant l’attribution du prix par rapport au précédent est déjà abusif.
Poursuivons néanmoins l’exercice. Sans trop de surprise, le Prix Goncourt reste champion dans ce domaine, puisque les ventes de Hourisde Kamel Daoud, ont été pratiquement multipliés par 10 en obtenant ce Graal, passant de 5 345 exemplaires vendus à 49 640. LE “petit frère», le Prix Goncourt des Lycéens, ne s’en sort pas trop mal non plus, avec des ventes triplées pour le livre de Sandrine Collette, la lauréate (de 2264 à 7667).
Le cas des écrivains déjà médiatisés et mis en avant avant de recevoir un prix est moins évident : le Prix Renaudot de Gaël Faye lui permet ainsi d’en vendre 18 080Jacarandacontre 7844 la semaine précédente. Le Prix Roman de l’Information, qu’il avait remporté un peu plus tôt, a eu pour effet «inverse» : de 15 083 exemplaires vendus, les chiffres sont passés à 10 928 ventes la semaine suivant le prix !
Beaucoup d’auteurs rêveraient d’un Prix Renaudot des Lycéens, capable de mettre en valeur un titre : pour Olivier Norek, la récompense n’a pas eu d’effet notable sur les ventes de son livre : 6 170 ventes une semaine, 6 810 la suivante…
Parmi les prix littéraires ayant le moins d’impact sur les ventes (mais dans la semaine qui suit immédiatement, ce qui fait abstraction d’un effet à plus long terme), figurent le Prix Interallié, le Prix du Vendredi, le Prix Wepler, le Prix Médicis, le Prix de Flore, le Prix Femina des Lycéens, Prix Décembre, Prix des Deux Magots et Prix Blù Jean-Marc Roberts.
Bref, une part importante des prix littéraires n’a pas ou peu d’impact sur les ventes immédiates de l’œuvre lauréate. Un constat qui ne nie cependant pas leur intérêt à améliorer la reconnaissance de l’œuvre d’un auteur, voire à aider ce dernier à vivre de sa plume, si celle-ci comporte une dotation.
Les chiffres de cet article sont tirés d’Edistat.
Photographie : illustration, ActuaLitté, CC BY SA 2.0
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Par Antoine Oury
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