A l’heure où nous écrivons ces lignes, la chute du gouvernement de Michel Barnier suite à l’adoption d’une motion de censure par l’Assemblée nationale ne fait plus aucun doute. Pour justifier le choix controversé de la dissolution cet été, Emmanuel Macron avait invoqué le risque d’une censure gouvernementale sur le budget. Ce soir, son pari semble raté. Après avoir mis deux mois à nommer un Premier ministre, son gouvernement ne dura guère plus longtemps et devint le plus éphémère de la Ve République. Mais surtout, l’impasse politique se confirme car aucune majorité ne se dégage pour gouverner dans les prochains mois. « Même ce qu’il y a de plus solide dans nos institutions, la procédure budgétaire, s’effrite », observe Jean-Pierre Camby, professeur agrégé à l’université de Versailles Saint-Quentin et auteur de « Les travaux parlementaires sous la Cinquième République », (édité par LGDJ). )
« La Ve République vit l’épreuve du feu »
Pour comprendre comment on en est arrivé là, un premier consensus se dessine parmi les juristes et les historiens. Elle réside dans le « présidentialisme » de nos institutions.
Et si pour Jean-Pierre Camby « la Ve République est fatiguée », ce n’est pas tant le texte de la Constitution qui est en cause mais la pratique du pouvoir. « La concentration du pouvoir vers l’exécutif en est à ses balbutiements dans le texte de 58 mais tout ce qui a suivi y a contribué. La révision constitutionnelle de 2008 a encore davantage privé le Parlement de ses pouvoirs. Le résultat est ce que nous voyons depuis plusieurs années : un Président qui s’occupe de tout”
« La Ve République traverse l’épreuve du feu. Et comme cela arrive souvent dans ces cas-là, ses défauts apparaissent au grand jour. Son principal problème réside dans le déséquilibre entre légitimité, responsabilité et pouvoir », explique Marie-Anne Cohendet, professeur de droit constitutionnel à l’Université Paris 1. « Dans la Constitution, l’équilibre est respecté. Le Président de la République est l’arbitre et le garant du bon fonctionnement de nos institutions, ce qui est normal car irresponsable. J’entends par là qu’il ne peut pas être démis du pouvoir pour des raisons politiques. C’est donc au gouvernement d’orienter la politique de la nation, c’est pourquoi il peut être renversé, car démocratie et pouvoir sont liés. Mais en pratique, lorsqu’un Président de la République dispose de la majorité, il usurpe les pouvoirs du gouvernement, même s’il se montre irresponsable. C’est ce qui suscite la colère du public. Certains réclament la démission d’Emmanuel Macron alors que le dossier est juridiquement hors jeu.
« La VIe République induit la délibération parlementaire et la classe politique actuelle n’en est pas capable »
« La Constitution a été construite justement sur l’idée qu’il fallait donner à l’exécutif les moyens de gérer le pays. C’est son grand mérite”, souligne Julien Bonnet, professeur de droit public à l’université de Montpellier, qui rappelle que le régime parlementaire de la IVe République a été accusé de ne pas avoir su gérer la crise algérienne. La Troisième République avait été imputée à la débâcle de 1940. « La difficulté que connaît notre régime, c’est que cet impératif, la gestion du pays, a fini par créer un malaise démocratique. Les citoyens croient de moins en moins à la légitimité de la représentation nationale. Et si l’on ajoute à ce problème institutionnel un contexte idéologique global favorable aux excès antilibéraux, on se retrouve face à une double peine. »
Faut-il alors réformer nos institutions, donner plus de pouvoir au Parlement, en passant par exemple à une VIe République, comme le réclament les élus de LFI ? « C’est très français de penser qu’en changeant nos institutions, les choses fonctionneraient mieux. C’est un mirage. Les projets de la VIe République qui veulent réhabiliter la délibération parlementaire sont portés par les députés de la France Insoumise. Les mêmes personnes qui considèrent les compromis comme des compromis. On semble aussi oublier l’énorme impopularité de la Quatrième République marquée par son instabilité parlementaire. Le général de Gaulle disait que la Constitution de la Quatrième République est mauvaise, mais que le personnel politique est bon. Aujourd’hui, ce serait tout le contraire”, répond David Bellamy, professeur d’histoire contemporaine, spécialiste d’histoire politique et parlementaire, favorable à la pleine application de la Constitution de la Ve République. « La VIe République induit la délibération parlementaire et la classe politique actuelle n’en est pas capable »
Changement de calendrier, défiance constructive : les pistes pour réformer nos institutions
Une autre réforme de nos institutions est proposée par Jean-Pierre Camby. « Il faut revenir à ce calendrier qui prévoit le vote du président et, un mois plus tard, celui des députés. Cela amène l’Elysée à tout contrôler.” Une mesure régulièrement évoquée dans l’actualité serait le retour à la représentation proportionnelle aux élections législatives. « D’un point de vue cyclique, cela gelerait l’équilibre actuel. La plupart resteraient introuvables. D’un point de vue structurel, la représentation proportionnelle fausserait le lien entre électeurs et élus”, estime-t-il.
«La composition du Parlement actuel ressemble déjà à une élection proportionnelle. Il s’agit d’une méthode électorale plus juste, même si elle comporte un risque d’instabilité. Au contraire, le vote majoritaire crée un effet de loupe sur le vainqueur, ce qui pourrait à terme profiter au RN », estime au contraire Marie-Anne Cohendet. Le professeur de droit public expose plusieurs pistes pour renforcer l’équilibre des pouvoirs. «Un Premier ministre élu par les parlementaires, comme c’est le cas en Allemagne, pourrait résoudre en partie le problème de légitimité. De l’autre côté du Rhin on pourrait aussi s’inspirer de ce que l’on appelle la méfiance constructive qui consiste, pour les députés, à ne pas pouvoir renverser un gouvernement s’ils n’ont pas la capacité d’en élire un autre”.
Une autre réforme proposée par Julien Bonnet consisterait dans le retour à l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, instauré en 1962. Cela conduirait, selon lui, à faciliter un changement de culture politique fondé « sur le mythe » de l’homme providentiel”. « Nous ne sommes plus dans les années 60. La légitimité politique du personnel politique diminue. Un président de la République irresponsable alimente la déception et la colère et conduit à un vote antisystème”, conclut-il.