Opportunisme? Le 7 novembre 2024, deux jours après la réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, Hachette Book Group, branche américaine du groupe Hachette, a annoncé le lancement de deux nouvelles maisons d’édition au sein de sa filiale Basic Books, Basic Venture et Basic Liberty. Le premier sera dédié à l’économie, tandis que le second aura pour objectif de « publier des ouvrages sérieux d’analyse culturelle, sociale et politique, d’auteurs conservateurs » [1].
La personnalité choisie pour diriger Basic Liberty attire l’attention. Thomas Spence était auparavant rédacteur chez Regnery, une maison d’édition ultra-conservatrice dont le catalogue regorge de titres promouvant le climato-scepticisme, la guerre des civilisations et le masculinisme. Le livre Raison, foi et lutte pour la civilisation occidentale (« Raison, foi et lutte pour la civilisation occidentale ») était l’une des recommandations de lecture du Premier ministre hongrois Viktor Orbán cet été. Cet ouvrage de Samuel Gregg décrit une civilisation occidentale soumise à la double menace de l’islamisme radical et de la « laïcité agressive ». De nombreux titres du catalogue montrent clairement la couleur : « Dommages irréversibles : la folie transgenre qui séduit nos filles », « Christianisme et wokisme », « Extrémisme domestique : un guide pratique pour gagner la guerre des cultures », « Virilité : les vertus masculines des de quoi l’Amérique a besoin », « Guide politiquement incorrect sur le changement climatique », « Arnaque verte »…
Machine de guerre
Depuis mars 2024, Thomas Spence est également conseiller de l’Heritage Foundation, partenaire historique du réseau Atlas qui a développé le Projet 2025 (lire « Projet 2025 », ou comment la droite américaine imagine une seconde présidence Trump). Il sera responsable, entre autres, d’offrir des livres et de participer à des programmes de formation.
Le lancement de Basic Liberty a provoqué une vague de protestation au sein du groupe Hachette aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, ainsi que la démission d’au moins un salarié. [2].
Hachette n’est pas la seule grande maison d’édition américaine à exploiter le filon de la littérature ultraconservatrice à travers des collections ou des filiales dédiées. Mais l’affaire prend une ampleur particulière puisque le groupe est désormais aux mains de Vivendi, c’est-à-dire Vincent Bolloré. Il l’a racheté à Lagardère en 2023, se délestant des maisons d’édition qu’il possédait via sa filiale Editis.
Comme il l’a fait dans le domaine des médias, le milliardaire a rapidement mis une partie de ses nouvelles acquisitions au service de son projet politique, en installant des managers à sa solde. Fayard, l’une des maisons phares de Hachette en France, a publié le livre de Jordan Bardella (et ceux d’autres figures de la galaxie Bolloré comme Sonia Mabrouk) avec une grande publicité et promotion dans les librairies Relay, qui appartiennent également à Hachette. Ce n’est peut-être que la première étape d’une stratégie de guerre culturelle à plus long terme si, sur ce point comme d’autres, l’extrême droite française continue de s’inspirer de recettes qui ont souri jusqu’ici à l’extrême droite américaine.
Anne-Sophie Simpere and Olivier Petitjean
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Photo: Actualités