Alors que se termine samedi à Vienne la tournée européenne de l’Orchestre symphonique de Montréal, son directeur musical, Rafael Payare, prépare avec calme et méthode les futures phases de développement de l’institution.
Sous la direction de Rafael Payare, l’orchestre de Richard Strauss ou d’Arnold Schönberg se pare de couleurs et d’harmonies riches. Chez Berlioz, l’énergie se conjugue avec une admirable clarté.
La combinaison de la force du design et de l’engagement physique débridé est bien résumée par un nouveau membre de l’orchestre, le second clarinettiste Ryan Toher : « Rafael Payare est très acrobatique sur le podium, très démonstratif avec son corps, tout en restant très clair avec son baguette magique. Nous sommes très stimulés. » Les personnes âgées avouent avoir éprouvé des sensations jamais éprouvées lors des concerts précédemment organisés à la Philharmonie de Paris.
Des concerts comme ceux de l’OSM à Paris et Berlin ne peuvent naître que d’une complicité et d’une confiance qui conduisent, par le don de soi, à une sorte de libération de la parole musicale. C’est la recette qui a fait le succès de Yannick Nézet-Séguin. Cette qualité n’est pas donnée à tous les chefs.
Dans cette alchimie qui, dans sa forme la plus élevée, se traduit par un « rituel magique », comme nous l’écrivions lundi, le maître mot est « confiance ». Le premier acte en ce sens dans la relation entre Rafael Payare et l’OSM a été, à nos yeux, la décision immédiate de l’animateur non seulement de se plonger intensément dans l’apprentissage du français, dont il n’a pas prononcé un mot (et qui est ( langue qu’il utilise lors des répétitions, contrairement à d’autres), mais aussi de s’installer à Montréal et d’y élever ses deux filles, qui ont maintenant presque 9 et 3 ans. Ce choix de s’installer dans la métropole était celui de Charles Dutoit, pas le sien. successeur.
«C’était important pour la relation, important pour ressentir le rythme de la ville», nous expliquait le chef lors d’un petit-déjeuner partagé à Paris samedi dernier. « Nous nous sommes très bien adaptés et ma fille aînée ira à l’école pour sa troisième année. Nous louions initialement une maison à Outremont, mais maintenant nous venons d’emménager dans une maison que nous avons achetée à NDG. [Notre-Dame-de-Grâce]. Tout ce qui se passe à Montréal est magnifique pour nous : la relation avec l’orchestre est très, très heureuse ; la ville offre beaucoup de choses ; la nourriture est très bonne ; connexions avec l’Europe, faciles. »
Pour certains chefs de l’histoire de l’orchestre (Markevitch, Frühbeck de Burgos), la direction musicale de l’OSM a été un tremplin vers une autre position en Amérique du Nord. Rafael Payare est à l’opposé et met l’accent sur la qualité de sa relation avec un orchestre « qui était du plus haut niveau », et pour lequel il estime qu’« avec notre alchimie, nous sentons que le niveau est déjà beaucoup, beaucoup plus élevé ».
« Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup d’orchestres en Amérique du Nord qui peuvent jouer ainsi ; avec souplesse, virtuosité, clarté. Cela signifie que nous pouvons jouer de manière très claire et en même temps développer le répertoire germanique. La cerise sur le gâteau, c’est que ce n’est pas fini : nous pouvons beaucoup nous améliorer. Tout le monde s’engage à rechercher l’excellence. »
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Rafael Payare et OSM enregistreront le Symphonie fantastique le 19 décembre. La tournée participera à l’évolution de l’interprétation : « Nous aurons plus de flexibilité. Les musiciens peuvent se sentir plus à l’aise et nous pouvons introduire de petites différences. Dans le accélérerOn peut appuyer un peu plus et améliorer la cohésion car on a joué comme ça en tournée. Par ailleurs, le Fantastique étant dans l’ADN de l’orchestre, il y a des choses qui étaient un peu en « pilote automatique ». On ne change pas tout d’un coup, mais déjà à Londres et au Luxembourg il y avait de petites différences. »
Sur fond de Musique française et russe acquise avec Charles Dutoit, du répertoire germanique travaillé avec Kent Nagano, Rafael Payare greffe silencieusement son univers. « Mon répertoire principal est le germanique, le russe et, de plus en plus, le français. L’idée est de développer le son de l’orchestre pour jouer Mahler sans accent et, en même temps, faire quelque chose de complètement transparent comme nous l’avons fait avec Strauss. C’est nous qui pouvons vraiment ajouter cette touche. »
Pour travailler la flexibilité, Payare a ajouté l’opéra en concert. «C’est pourquoi nous proposons les trois Mozart-Da Ponte, CommeAlors Figaro et Don Giovanni. Le répertoire classique aidera avec le son. » La voie sera tracée par Chostakovitch, puis par Prokofiev. “Mais il faudra Beethoven, Brahms, Schumann, Wagner, Bruckner, Strauss et le répertoire français”, ajoute le réalisateur. Quant à l’opéra, on peut espérer voir Electre un jour, tout comme Le château de Barbe Bleue de Bartók, que Rafael Payare rêve de réaliser avec Karen Cargill.
L’idée stratégique de la nouvelle directrice générale, Mélanie La Couture, de doubler le nombre d’enregistrements semble déjà approuvée, le répertoire reste à définir. Pour l’instant les documents documentent le répertoire germanique, mais pas Chostakovitch (dont Payare a enregistré 11e Symphonie à San Diego), le répertoire français (heureusement, le Fantastique arrive), le répertoire sud-américain ou encore celui pour orgue et orchestre. Après les concerts de la saison dernière et celui du Festival de Lanaudière, Rafael Payare est fermement déterminé à enregistrer le 7e Symphonie Mahler.
De la musique pour tous
Pour Mélanie La Couture, la marque de Rafael Payare à Montréal sera aussi étroitement liée à son engagement envers l’éducation et la présence de la musique auprès des enfants défavorisés. Nous croyons que le chef d’orchestre n’aura pas à attendre trop longtemps et que le projet « Musique pour enfants » à Montréal-Nord connaîtra des développements importants au début de 2025.
Summer of Music, qui a été reformaté pour s’adapter au calendrier de Kent Nagano, est un autre projet : « Nous réfléchissons encore. L’idée est de partager la musique avec le plus grand nombre. Nous réfléchissons également à intégrer le volet pédagogique : l’été sera le moment de montrer ce que nous allons développer dans ce domaine. »
Dès l’arrivée du leader, sa mission fut aussi, par le recrutement, de façonner l’OSM de demain. « Le niveau des auditions est élevé, mais il faut savoir si la personne peut nous apporter quelque chose. Il ne s’agit pas seulement de bien jouer ; il faut ressentir une personnalité», nous dit le chef d’orchestre qui a embauché un deuxième trombone, trois trompettes, trois cors, une deuxième clarinette, un premier hautbois, un piccolo, un alto solo, deux ou trois violoncelles, tous des altos et quelques violons. Les jurys réunissent neuf musiciens et le chef d’orchestre, et ne trouvent parfois personne. « Pour le poste de deuxième clarinette, certains jouaient mieux que d’autres, mais ce n’était pas le niveau de l’orchestre. Dans ces cas-là, vous devez prendre votre temps. Peu de temps après, nous avons trouvé une personne merveilleuse, mais il nous a été volé par le New York Philharmonic ! Heureusement, nous avons enfin quelqu’un de vraiment bon. »
L’investissement de Rafael Payare à Montréal risque de le faire disparaître du radar du marché européen. Le patron est bien conscient du problème. « C’est un défi de trouver du temps entre Montréal, San Diego, ma famille et d’autres projets. Pour l’Europe, cette année j’ai passé six semaines à l’Opéra de Covent Garden et il y a la tournée. La saison prochaine, il y aura des concerts à Munich, des débuts au Concertgebouw et quelques autres. Heureusement, les relations avec les orchestres en Europe sont solides ; quand je dis non, ils savent que ce n’est pas que je ne veux pas, mais que je n’ai pas le temps. »
C’est à Rafael Payare, qui aime les randonnées avec les enfants, la lecture et le calme de la maison, de goûter aux joies de l’hiver québécois. “Le patinage se passera probablement bien, car j’en ai fait beaucoup patins. Mais je n’ai skié qu’une seule fois. Ma femme Alisa jouait un concert du Nouvel An à Zurich. Nous sommes allés dans les montagnes. Depuis le décès de Maestro Maazel, j’ai reçu en janvier un appel de la Philharmonie de Vienne pour le remplacer. Alors j’étais sur ces skis et tout ce que je me disais c’était : « Je ne vais pas rater mes débuts avec la Philharmonie de Vienne parce que je me suis cassé le poignet en skiant ! Je suis entré dans un virage sur une piste plate. Alisa a filmé la scène. Ce n’est pas glorieux et je n’ai pas poussé après. Par contre, je n’ai pas encore essayé la cabane à sucre. J’ai l’intention de le réparer. »
Christophe Huss est l’hôte de l’OSM pour la tournée européenne.