Jaune, vert, rouge… Habituellement, les colis multicolores sont indissociables des grappes d’enfants déambulant dans les townships d’Afrique du Sud. Serrés dans de petites mains comme autant de marchandises précieuses, ils peuvent être repérés de loin, à condition d’y prêter attention. A l’intérieur, des chips achetées pour quelques rands dans les « spaza shops », ces minuscules épiceries qui ouvrent tôt et ferment tard pour approvisionner les quartiers populaires. Mais les collations sont devenues rares dans les petites mains ces derniers temps. Ils terrifient les parents puisque certains sont devenus mortels.
Au moins vingt-quatre enfants sont morts empoisonnés en quelques semaines. Et près d’un millier de personnes ont souffert d’une intoxication alimentaire depuis septembre. Tout le Monde n’est pas tombé malade après avoir acheté des produits dans les magasins Spaza. Certains ont été empoisonnés à l’école ou alors qu’ils achetaient des collations auprès de vendeurs ambulants. Les causes ne sont pas toujours identifiées, mais les commerces sont dans le collimateur du gouvernement tandis que la psychose s’étend aux townships.
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Le 15 novembre, le président Cyril Ramaphosa a ordonné la fermeture des commerces impliqués dans des empoisonnements mortels ainsi que l’obligation pour tous les magasins spaza de s’enregistrer auprès des autorités dans un délai de vingt et un jours. Il a également annoncé une vague d’inspections des services d’hygiène à travers le pays. Quatre jours plus tard, le gouvernement a déclaré l’état de catastrophe nationale.
Depuis, la panique s’est propagée dans ces petits magasins, qui ne sont souvent que de sombres cabanes faites de tôles grillagées adossées aux maisons particulières. Tous les commerçants ne sont pas également inquiets. Venus d’Ethiopie, de Somalie, du Pakistan ou du Bangladesh, les étrangers sont particulièrement fébriles : depuis les drames, les diatribes anti-migrants refont surface dans un pays où des violences xénophobes secouent régulièrement les townships.
Les étrangers « vendent du poison »
“Je suis sud-africain, je ne m’inquiète pas”» a confié un commerçant vendredi 22 novembre, à la sortie d’un des centres qui encadrent les nouvelles formalités administratives à Soweto. Il est entré sans problème. Calme, il refuse néanmoins de donner son nom au motif qu’il ne le sait pas. “ne fait pas de politique”. Le sujet est sensible. Devant les portes, une petite foule s’est formée pour filtrer le passage. Ceux qui ne peuvent présenter une carte d’identité sud-africaine sont refoulés.
« Nous voulons protéger notre pays des étrangers qui veulent déclarer les magasins Spaza. Nous ne voulons pas d’eux ici, ils vendent des aliments périmés et empoisonnent nos enfants avec leurs produits contrefaits.»explique Sbongile Skosana, 68 ans, grand-mère de trois petits-enfants à qui il est désormais interdit de s’approcher des épiceries. À côté d’elle, une femme en treillis enfonce le clou : « Ils comptent leur argent pendant que nous comptons nos morts. »
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Parmi la vingtaine de personnes mobilisées devant les grilles, beaucoup portaient le logo du parti uMkhonto we Sizwe de l’ancien président Jacob Zuma, accusé de corruption. D’autres portent fièrement des t-shirts appelant à un « expulsions massives ». Ils appartiennent au mouvement Opération Dudula, qui accuse les étrangers de « voler du travail » Les Sud-Africains organisent régulièrement des raids pour faire pression sur les commerçants venus d’ailleurs.
Le sentiment anti-étranger s’étend au-delà de ce petit cercle d’activistes. “Ils vendent du poison, ils doivent partir”» dit une grand-mère en robe à fleurs à quelques kilomètres de là. Elle vit dans le quartier Naledi de Soweto, dans une rue où une tragédie a particulièrement marqué le pays. Début octobre, six enfants sont morts ici après avoir acheté des chips dans un magasin spaza.
Utilisation agricole
Le plus jeune n’avait que 6 ans. “Monica, si tu l’avais vue, elle était très belle”murmure la vieille dame en secouant la tête. Elle préfère également ne pas donner son nom. A quelques dizaines de mètres de là, le magasin qui vendait les chips a été pillé. Dans la foulée, des habitants ont fait le tour des magasins spaza du quartier pour les obliger à tirer les rideaux. La plupart ont rouvert depuis, mais la tension demeure.
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Dans un autre quartier de Soweto, un jeune commerçant bangladais qui insiste lui aussi sur son anonymat montre du doigt une liasse de papiers soigneusement rangés dans des dossiers : « J’ai un permis de travail, une attestation des services de santé, tous les papiers sont prêts mais ils ne nous ont pas laissé entrer pour la déclaration. Ils disent qu’ils vont mettre le feu à mon magasin. Ce n’est pas la première fois qu’on entend ça mais c’est la première fois que j’ai peur, ces gens ne sont même pas d’ici, je m’entends très bien avec mes voisins »» chuchote le commerçant en baissant la voix dès qu’un client passe la tête dans le magasin.
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A Naledi, la cause de l’intoxication a été identifiée : le terbufos, un puissant insecticide. Des traces du produit ont été retrouvées dans l’estomac des enfants ainsi que sur l’un des paquets de chips consommés. Théoriquement, le terbufos est réservé à un usage agricole en Afrique du Sud mais, dans les townships, il est couramment vendu illégalement dans les spaza shops pour lutter contre les rats qui infestent ces quartiers.
« Le problème, c’est que c’est disposé n’importe comment : ils mettent tout au même endroit, le pain à côté du cirage, les pesticides à côté des snacks… »explique Comfort Otukile, un habitant de Naledi. Quatre-vingt-quatre magasins Spaza ont été inspectés dans la région après le drame. Des traces de terbufos ont été trouvées dans trois d’entre elles. Assis sur les marches à cinq mètres d’une épicerie, Comfort Otukile insiste néanmoins : « Il ne faut pas mettre tous les étrangers dans le même panier. »
Preuve d’investissement de 5 millions de rands
« Ici, c’est un Indien, mais on n’a pas de problème avec lui, il fait crédit aux grands-mères, il est accommodant. Nous lui avons dit : nous vous défendrons, mais assurez-vous que ce que vous vendez est sûr et que le magasin est propre. Le problème, ce sont les petits magasins exigus dans lesquels les gens dorment. »poursuit ce père de six enfants.
Dans son discours, le président Cyril Ramaphosa a mis en avant le problème de la prolifération des rats, déplorant la gestion désastreuse des déchets dans certaines communes. Il veille également à ne pas stigmatiser les étrangers : « Ces produits sont tout aussi susceptibles d’être vendus dans des magasins tenus par des Sud-Africains »il a insisté.
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Au centre d’enregistrement du quartier Jabulani de Soweto, Mduduzi Myeza, le chef de la ville de Johannesburg chargé de guider les commerçants dans les démarches administratives, présente néanmoins l’obligation de déclarer les magasins comme « une opportunité pour développer l’économie locale ». “On ne refuse pas les étrangers, la procédure les disqualifie d’elle-même”explique-t-il en énumérant la longue liste de pièces justificatives demandées.
Pour enregistrer leur entreprise, les étrangers doivent justifier d’un investissement de 5 millions de rands dans le pays (environ 260 000 euros)… Une fortune. « Je viens de renvoyer un Mozambicain en lui expliquant qu’on lui demandait 5 millions de rands. Pouvez-vous imaginer? »poursuit le manager avec un sourire satisfait avant de conclure : «Aucun magasin Spaza ne gagne 5 millions de rands. »