Consumérisme –
Trouver le bon prix pour les articles
La frénésie de consommation d’objets à bas prix provoque une forme de désenchantement, principalement la perte de savoir-faire et la fragilisation des petites structures locales. Il est encore temps de faire appel à d’autres valeurs.
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La nouvelle a fait grand bruit chez notre voisin français la semaine dernière : les plateformes Schein et Temu représentent désormais 22 % des livraisons de colis traitées par la Poste. Même la Suisse n’est pas épargnée par cette vague de consommation d’articles bon marché et de mauvaise qualité, puisqu’on a appris fin août qu’un demi-million de colis en provenance d’Asie arrivaient chaque jour à Zurich…
L’Europe entière semble avoir succombé à une consommation de masse à prix réduits. Faut-il céder à cette valeur ultime ? N’est-ce pas l’occasion de réfléchir aux conséquences de cette tendance sur notre société et, enfin, ce prix bas que nous considérons comme le Saint Graal est-il le juste prix ? Cette apparente accessibilité extrême ne cache-t-elle pas une logique économique malsaine dont nous payons sans nous en rendre compte ? Existe-t-il des solutions pour éviter cela ?
Le miroir de l’objet à petits prix, « design inclus »
Il suffit de se rendre chez le géant suédois du meuble Ikea pour se rendre compte à quel point la citation du célèbre économiste autrichien Joseph Schumpeter était pertinente lorsqu’il disait : « La reine Elizabeth possédait des bas de soie. Le succès capitaliste ne consistait pas spécifiquement à fournir aux reines davantage de ces bas, mais à les mettre à la portée des ouvrières, en échange d’une quantité de travail toujours décroissante.
Aujourd’hui, en effet, tout le monde peut acheter pour quelques francs suisses une lampe, un bureau ou un canapé-lit aux noms imprononçables. Ce « miracle de la mondialisation » est incontestable. Mais à quel prix – est-il juste de le dire ? L’objection la plus évidente est que, d’une part, la qualité a souvent été sacrifiée pour encourager la consommation massive d’objets inutiles et plus faciles à jeter. Ce faisant, nous avons ignoré la durabilité et l’exclusivité que les entreprises locales de menuiserie et d’autres entreprises à taille humaine étaient encore en mesure de nous offrir. Parfois, parce qu’ils n’ont pas su innover, avouons-le, mais le plus souvent, surtout, parce qu’ils n’ont pas su s’adapter à ces besoins de bas prix.
Le véritable coût devra être payé par nos sociétés
Mais on nous a tellement raconté d’histoire que nous nous sommes laissés séduire par des bénéfices immédiats dont nous n’avons pas mesuré les conséquences à long terme. La magie du capitalisme et de la mondialisation a mis à la portée de tous un choix infini d’objets utiles et peu coûteux et nous n’avons pas pu résister à l’appel de cette société de consommation sur laquelle nous avons tout misé. Cependant, dans la précipitation de cette transformation, nous avons perdu notre capacité à être compétitifs. Puisqu’à un moment donné on a fait des objets low-cost l’alpha et l’oméga de notre société de consommation et qu’on ne savait pas les produire chez soi, on a fini par se désindustrialiser, avec cette terrible conséquence : on a perdu le savoir-faire. On peut dès lors imaginer un déficit en termes de capacité à produire, à générer de l’activité et de la croissance. Ce contre-coût dépasse la sphère économique et affecte le sens de la vie d’un grand nombre d’actifs qui se retrouvent inactifs. Malheureusement, la réalité est implacable : les petites structures locales ont été les principales victimes d’une concurrence inégale et dont les conséquences se mesureront de génération en génération. Mais qui pourra récupérer ces pertes immatérielles générées par les délocalisations ? Ce qu’il faut faire?
Redécouvrez le sens du juste prix
À contre-courant de la mondialisation, la Suisse s’est toujours distinguée en vendant à ses clients internationaux des produits de qualité à des prix élevés. Cela vaut également pour les secteurs du luxe et de la haute technologie. Cela signifie qu’il existe un marché dans lequel les clients sont prêts à payer un prix plus élevé pour des valeurs différenciées. Cet exemple singulier nous invite à réfléchir sur l’ensemble du processus de valorisation de l’objet. S’ils savaient tout ce que cela implique et toutes les conséquences que cela peut entraîner, les consommateurs ne chercheraient sûrement pas toujours (sauf si nécessaire) le prix le plus bas. Ils seraient prêts à puiser dans leur portefeuille pour acheter d’autres valeurs. C’est déjà le cas, par exemple, de ce public prêt à payer davantage pour des objets produits localement par des entreprises à taille humaine. Une nouvelle génération, quant à elle, semble de plus en plus montrer l’exemple en s’interrogeant sur le sens de ses actes d’achat ; on le voit notamment à travers les contenus artistiques que l’on peut obtenir gratuitement sur le web, mais pour lesquels certains choisissent de payer ayant parfaitement compris que cela permet à l’artiste de vivre.
Ensuite, il y a toute une génération qui est prête à consommer moins et veut surtout consommer mieux en donnant du sens à chacune de ses actions d’achat qui doivent être liées à d’autres valeurs que le prix. Admettons enfin que le dernier levier pour changer et retrouver le sens du juste prix est entre les mains des producteurs. A ces derniers de savoir se différencier en faisant preuve de créativité mais aussi en valorisant leur mode de production respectueux des valeurs humaines et environnementales qui doivent être bien payées et pas seulement la marge arrière d’un profit qu’on imagine avoir été usurpé. A eux de trouver le juste prix, démontrant qu’un objet est bien plus qu’une formule prix-produit et est un vecteur de sens et de valeurs.
Filippo Vallat il est le fondateur et directeur de Pilot design, une entreprise spécialisée dans le développement de stands d’exposition et le design de produits haut de gamme. Active dans de multiples secteurs d’activité, elle collabore avec les plus grandes entreprises internationales.Plus d’informations
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