Que révèle le débat entre les deux candidats à la Maison Blanche ? – .

Que révèle le débat entre les deux candidats à la Maison Blanche ? – .
Que révèle le débat entre les deux candidats à la Maison Blanche ? – .

Jeudi soir, les deux prétendants à la Maison Blanche ont débattu sur CNN dans une configuration inédite : les micros ont été coupés à la fin de chaque discours. Une situation qui a profité à Donald Trump, tant Joe Biden est apparu fatigué, mais sans qu’il parvienne à convaincre sur le fond. Le docteur en civilisation américaine et spécialiste de la politique et des médias américains revient auprès de publicsenat.fr sur les conséquences de ce débat dans la vie politique de la première puissance mondiale.

Sur le plan de la forme, Joe Biden semble fatigué et affaibli. L’attitude du président actuel peut-elle influencer le vote américain ?

Dans ce débat, on attendait de Joe Biden qu’il franchisse un cap. Il lui fallait surtout dissiper toutes les inquiétudes liées à ses capacités physiques et mentales en vue d’un second mandat. Parce qu’il a beau avoir un solide bilan économique et social, son âge reste un obstacle insurmontable pour de nombreux électeurs. Même s’il a réussi jusqu’ici à limiter les dégâts, voire à en jouer, présentant son âge comme un signe de sagesse, les démocrates sont aujourd’hui très inquiets. Pendant une heure et demie sur CNN, il est apparu extrêmement diminué et nombre de ses discours étaient confus. Ses facultés cognitives semblent inquiétantes. Pour éviter que les deux candidats ne s’interrompent pendant le débat, le micro de celui qui ne parlait pas a été coupé. Mais ce dispositif a mis en lumière les hésitations, les silences de Joe Biden. Pourtant, l’image et la communication comptent beaucoup dans une campagne présidentielle, encore plus à l’ère des réseaux sociaux. Les moments de confusion de Biden sont immédiatement devenus des « mèmes » exploités par les républicains. Une catastrophe pour le camp Biden.

A l’inverse, a-t-on retrouvé l’offensive Donald Trump de 2016 et 2020, ou a-t-il cherché à lisser son image lors de cette confrontation ?

L’ancien président ne paraissait pas plus modéré, il affichait toujours la même colère, le même tempérament charlatan. Mais la coupure du micro le faisait paraître plus sage et plus discipliné. Mais la forme ne doit pas effacer le fond : Donald Trump n’a pas de véritable programme et n’a pas de mesures très concrètes et technocratiques, il était encore en incantation. Il a été affaibli sur la question de la démocratie. Il a ainsi laissé entendre qu’il ne reconnaîtrait l’élection que si elle s’avérait « juste », sans préciser ce qu’il entendait par « juste ». Une réponse équivoque qui n’arrive pas à rassurer les indécis, mais qui réactive son récit grotesque de victoire volée à la présidentielle de 2020 sachant que 70% des Républicains considèrent qu’il est bien le véritable vainqueur de l’élection de 2020. Les électeurs indécis, modérés pour la plupart, peuvent craindre un nouveau 6 janvier et de nouvelles atteintes à la démocratie américaine. Trump n’a pas dissipé les doutes qui planaient autour de ses velléités autoritaires en cas de victoire.

Selon vous, qui est le grand gagnant de ce débat ?

Trump a prouvé sa vitalité et sa vivacité dans la forme. Ses répliques cinglantes, et drôles, il faut l’avouer, circulent largement sur X depuis hier soir. En revanche, c’est donc un échec pour Joe Biden qui soulève une nouvelle fois des inquiétudes liées à sa capacité à rester encore quatre ans à la Maison Blanche. Au cours du débat, il a pourtant souligné leur différence d’âge de seulement trois ans, mais l’écart en termes de vivacité et de vigueur est apparu important même si Biden s’est un peu ressaisi à certains moments du débat. Trop affaibli physiquement, sa répartie préparée à l’avance faisait l’effet d’un pétard humide. Dans une telle campagne où les images comptent plus que tout, l’incarnation est désastreuse.

Ce débat reflète-t-il une société américaine de plus en plus polarisée ?

L’intervention de Donald Trump reflète le rapport à la vérité qu’entretiennent les républicains aux États-Unis. L’ancien président a enfilé des contrevérités et des mensonges à chaque réponse, d’ailleurs sans la moindre correction de la part des modérateurs qui sont restés étonnamment passifs pendant le débat. Il a par exemple affirmé que Joe Biden soutenait les avortements illimités, ce qui est faux puisqu’il défend Roe v. Wade qui pose de nombreuses conditions pour l’accès à l’avortement. Il a également réaffirmé avec une indignation assumée que les immigrés illégaux sont des violeurs et des tueurs. Nous avons vu hier soir à quel point la polarisation de l’information est forte aux États-Unis. Il existe désormais deux Amériques qui ne partagent plus les mêmes informations ni les mêmes faits. Il s’agit pourtant d’une condition préalable nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie. Cela en dit long sur la situation politique de ce pays.

Cela signifie-t-il que le bipartisme est mort dans le ETÉtats-Unis?

Le bipartisme est mort et enterré depuis la présidence de Barack Obama. Les États-Unis font face à une radicalisation très avancée dans les deux camps politiques. Le bon sens et le compromis ont laissé place au dogmatisme et à l’idéologie. Le grand texte de 2022 visant à réduire l’inflation (IRA) n’a reçu aucun vote des représentants républicains alors qu’il bénéficie à leur électorat. Les cas de bipartisme sont devenus très rares bien que Biden ait réussi à embarquer des élus républicains sur certains projets de loi comme le Chips Act visant à relancer l’industrie des semi-conducteurs aux États-Unis. Mais globalement, démocrates et républicains ne parviennent plus à trouver un terrain d’entente.

Quelles questions dominent le débat politique aux États-Unis ?

L’économie est au cœur du débat. Les prix de l’essence et des produits de base en sont les éléments centraux. De nombreux électeurs ne comprennent pas qu’il est impossible de revenir à un état pré-inflationniste, sachant que les salaires ont augmenté en parallèle.

L’avortement est également l’un des thèmes principaux. C’est une question qui divise l’Amérique, car nous touchons ici à des sensibilités religieuses, et qui a eu un fort pouvoir de mobilisation parmi les électeurs démocrates. Les élections de mi-mandat l’ont prouvé, et il est fort possible que la promesse faite par Biden de constitutionnaliser le droit à l’avortement soit à nouveau un outil de mobilisation décisif en novembre.

La question de la démocratie compte aussi beaucoup dans cette campagne. Mais ni les républicains ni les démocrates n’en ont la même vision. D’un côté, les démocrates craignent le piratage informatique et le renversement de la démocratie américaine par Donald Trump ; de l’autre, les républicains soupçonnent les premiers de vouloir réduire la liberté d’expression et de religion, et celle autour du port d’armes.

Au lendemain de ce débat et à quatre mois de l’élection présidentielle, quel est l’état d’esprit dans les deux camps ? La victoire de Donald Trump est-elle vraiment inévitable ?

Trump est un répulsif pour d’innombrables Américains. Il concentre les attaques contre lui. Malgré ce débat réussi, sa victoire est loin d’être écrite, car il effraie une partie de l’électorat modéré avec ses aspirations autoritaires affichées. Joe Biden apparaissait il y a quelques mois comme le candidat naturel de son camp, en tant que président sortant. Si sa prestation désastreuse lors du débat a des répercussions sur les intentions de vote, il est probable que le parti démocrate cherchera à l’exfiltrer et à le remplacer puisqu’il n’a pas encore reçu officiellement l’investiture du parti. Kamala Harris aurait pu être une solution, mais en trois ans et demi, elle n’a pas réussi à démontrer un charisme puissant. Il faudra peut-être se pencher sur Gavin Newsom, le gouverneur de Floride, qui est déjà en course pour 2028 mais qui pourrait revoir son calendrier si nécessaire. Reste à savoir comment réagira l’électorat américain si un changement de candidat intervient à quatre mois de l’élection.

Émile Douysset

 
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