L’histoire de Thérèse Brassard-Lévesque, cette femme atteinte de la maladie d’Alzheimer tuée par « compassion » par son mari, est d’une « tristesse incommensurable », selon la juge Hélène Di Salvo. Le magistrat espère qu’une telle mort dans « l’indignité » ne se reproduira plus dans un « avenir proche ».
« La situation de Mmoi Brassard-Lévesque n’est malheureusement pas un cas isolé. Espérons qu’en 2024, l’aide et le soutien nécessaires seront offerts aux nombreuses familles, qui sont confrontées à la même dure réalité que la famille Brassard-Lévesque, afin de mettre fin au désarroi et d’éviter que l’irréparable ne revienne à nouveau. a déclaré vendredi le juge Di Salvo au palais de justice de Laval.
Dans une décision très empathique envers les proches de la victime et de l’accusé, le juge de la Cour supérieure a suivi la recommandation conjointe des parties et a condamné Gilles Brassard à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans et demi.
« La Cour ne peut ignorer l’appel à la clémence de la famille de l’accusé, mais le pouvoir discrétionnaire quant à la peine à imposer dans une affaire de meurtre au deuxième degré est très limité », a expliqué le juge Di Salvo. La période minimale d’inéligibilité à la libération conditionnelle est de 10 ans.
La semaine dernière, l’homme de 81 ans a plaidé coupable au meurtre au deuxième degré de son épouse Thérèse Brassard-Lévesque. Il a déclaré avoir tué sa compagne des 53 dernières années par « amour » et « compassion » en septembre 2023 afin de l’envoyer dans un « monde meilleur ».
Depuis des années, Thérèse Brassard-Lévesque souffrait de la maladie d’Alzheimer. Elle ne reconnaissait plus ses enfants et devenait souvent agressive. Malgré la maladie et son âge avancé, Gilles Brassard s’est consacré corps et âme à son épouse durant la pandémie, selon tous ses proches.
Gilles Brassard a confié avec résignation son épouse au système de santé en 2022. Il était alors à bout de souffle. Mais les soins offerts à Thérèse Brassard-Lévesque à l’hôpital, puis à l’établissement Ressource de Lanaudière, à Terrebonne, ont été médiocres, selon ses proches.
Thérèse Brassard-Lévesque dormait avec ses chaussures. Elle était mal nourrie et prenait rarement un bain. « Ses ongles étaient noirs. [Gilles] payé quelqu’un pour prendre soin de ses pieds », s’est indigné la semaine dernière un proche.
Désespéré de voir la santé de son épouse décliner, Gilles Brassard décide de la tuer, puis de se suicider. Il a ensuite étranglé sa femme avec une corde sur son lit. Une scène filmée par une caméra de surveillance. « Fermez vos petits yeux et dormez », lui dit son mari avant le geste fatidique.
Une mort dans « l’indignité », selon le juge
La semaine dernière, les proches de Gilles Brassard ont livré des témoignages déchirants. Tout le monde a soutenu l’accusé, malgré la tristesse et l’incompréhension. Leur histoire a touché une « grande partie » de la population », selon le juge Di Salvo.
« On ne peut ignorer l’impuissance de la famille face à la dure réalité de l’impact de cette maladie sur la victime et son entourage. Rarement dans une décision de condamnation pour meurtre en 2e degré, les mots amour, compassion et détresse peuvent y trouver leur place. C’est le cas ici”, a déclaré le juge.
« La Cour a bien entendu entendu les suggestions de la famille concernant l’aide médicale à mourir. La Cour ne fait pas de politique, mais peut certainement considérer que la mort de M.moi Brassard-Lévesque, dans l’indignité, n’était pas ce que voulait la famille», a poursuivi le juge.
Une affaire très similaire s’est retrouvée entre les mains du juge Di Salvo en 2019, celle de Michel Cadotte, qui avait également tué sa compagne « par compassion ». Cependant, un jury l’a déclaré coupable d’une accusation moindre, celle d’homicide involontaire. Le juge l’a condamné à deux ans moins un jour de prison.
La juge Di Salvo a repris certains passages de sa décision dans l’affaire Cadotte, qui s’avèrent tout aussi pertinents cinq ans plus tard.
« L’aide médicale à mourir, les CHSLD, les aidants naturels, la maladie d’Alzheimer ont propulsé le procès de Michel Cadotte – et ici de M. Brassard –, malgré eux, à l’avant-plan de l’actualité juridique et au cœur d’un débat de société. […] Cependant, le procès, le verdict et la peine n’apporteront pas de solution à tous ces problèmes sociétaux », a cité le juge.
« Il est triste de voir que ces propos sont toujours d’actualité aujourd’hui. Et en espérant qu’ils ne le seront plus dans un avenir proche”, a conclu le juge, souhaitant “bonne chance” aux proches de l’accusé et de la victime.