Il appelle son personnage « Dodi » et parle de lui à la troisième personne, comme s’il était quelqu’un d’autre. Tout au long de notre entretien, celui qui utilise le pseudonyme Dodi El Sherbini ne se cachera pas vraiment, mais il gardera paradoxalement une part de mystère. On connaîtra juste son vrai prénom, Léon, son âge, 48 ans, et des bribes de sa vie. Ce qui est sûr, c’est que ce garçon grand et élégant a les pieds sur terre et un humour détaché.
Avec sa Musique pop, il s’est fait repérer il y a une dizaine d’années grâce à sa chanson L’éternel retour. La presse musicale branchée le classe alors parmi les rénovateurs de la variété française, c’est-à-dire plus proche de Sébastien Tellier que de Calogero. Et « Dodi », alors ? ” C’était une blague, c’était mon nom d’utilisateur Facebook. C’est un nom égyptien. Depuis les attentats (en France), en Palestine, je le soupçonne même de diviser ! C’était absurde, mais j’ai dû m’y habituer, et j’ai pris ce nom », glisse-t-il.
Un look décalé mais « politique »
Tu devrais plutôt voir son deuxième album, Ave Césarcomme un ” proposition esthétique très décalée « . Avec ses dix chansons énigmatiques, notre dandy propose une musique pleine de claviers dans laquelle la voix est souvent en fond sonore. Ce disque s’intéresse aux grands bouleversements sociétaux de ces dernières années, du covid aux gilets jaunes via #metoo », est-il précisé dans la note d’accompagnement.
L’intention est « politique » sans que son auteur ne le soit. Très doux évoque les gilets jaunes avec de fortes onomatopées et des expressions inventives comme « celzéceux » (sic). Une seule chanson parle d’amour, Ton royaumeet ses contours restent flous. Encore une fois, il est conseillé de prendre les choses à la légère et de comprendre qui peut le faire.
Au fur et à mesure de l’écoute, les morceaux électroniques se dévoilent. Le kitsch n’est jamais loin. Magnolias évoque la déconnexion de la réalité dans une société très connectée. je rêve je rêve décrit un monde presque dystopique dans lequel la société de consommation se confond avec le vacarme de la guerre. ” Je rêve je rêve de piscines hors sol / Je rêve je rêve de missiles air-sol / Je rêve je rêve d’une énorme madame / Je rêve je rêve d’un suicide extraordinaire. »
La plupart des chansons traitent de la technologie et de son impact. ” On parle beaucoup d’intelligence artificielle et d’humain augmenté. On craint que les machines remplacent les humains. Mais avec le numérique, on peut dire que ce n’est pas forcément la machine qui va devenir plus intelligente. C’est l’homme qui va reprendre la machine. C’est ce qu’on voit avec Chat GPT : il invente un style, un style qu’on va voir un peu partout, et les gens vont petit à petit commencer à penser comme ça. Ces automatismes remplaceront peut-être une pensée jusqu’ici moins robotique », observe-t-il.
Pas de carrière musicale à part entière
Le jeune groupe pop-rock Rallye a produit ce Je vous salue César et Stéphane « Alf » Brillat, l’un des grands ingénieur du son de la French touch, l’a mixé. Derrière l’exercice de style se cache un chanteur perfectionniste dans l’écriture de ses textes. ” C’est comme faire des cathédrales avec des allumettes ou des images d’Epinal. Une chanson est une miniature. Il y a un côté un peu con, con. Ce n’est pas vraiment poétique car il n’y a pas de beauté intrinsèque. Il y a peut-être de beaux passages, mais d’autres sont très familiers. Nous devons peaufiner la phrase », résume-t-il.
Ancien styliste de prêt-à-porter chez Ungaro et consultant mode, Dodi El Sherbini revient à la musique à l’aube de la quarantaine. Il collabore ensuite avec Phoenix et réalise des clips pour Nicolas Godin d’Air, Jarvis Cocker et Tristesse Contemporaine.
Mais ce CV plutôt enviable ne l’incite pas à poursuivre pleinement une carrière dans l’industrie musicale. ” Pour moi, la musique est un médium, mais ce n’est pas non plus une croyance qui confine à la foi. Et puis, il y a beaucoup d’insécurité ! J’aurais pu signer chez une maison de disques, on me l’a proposé plusieurs fois. Mais j’ai refusé parce que je ne voulais pas être dérangé. Quitte à faire des choses complètement folles…», assure-t-il.
Un pied dedans, un autre bien dehors. Telle est la vie du cher Dodi, qui prétend faire aussi bien de la chanson pop que de l’art contemporain, sans trop se soucier du succès commercial.
Dodi El Sherbini Je vous salue César (Kidderminster) 2024
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