A Rio, Joe Biden a appelé, lundi 18 novembre, les pays du G20 à soutenir le “souveraineté” de l’Ukraine. Quelques heures plus tôt, le président des États-Unis avait finalement autorisé l’armée ukrainienne à utiliser des missiles à longue portée pour frapper le territoire russe.
A deux mois de la fin de son mandat, cette décision divise largement le camp démocrate, y compris les conseillers de Joe Biden. Des responsables de l’administration américaine interrogés par le New York Times averti: « Ces armes devraient être initialement utilisées contre les troupes russes et nord-coréennes pour défendre les forces ukrainiennes dans la région de Koursk, à l’ouest de la Russie. »
Depuis août, Kiev a lancé une opération militaire majeure et envahi à son tour une partie du territoire russe. L’objectif initial était d’ouvrir un front pour contraindre la Russie à limiter son avance sur le sol ukrainien et contraindre Moscou à négocier. « Aujourd’hui, les États-Unis semblent soutenir cette stratégie. En août, l’opération ukrainienne a été menée avec l’appui d’armes à longue portée.note un journaliste ukrainien.
Pour l’ancien ministre Tymofiy Mylovanov, «La faiblesse de l’administration Biden face à Poutine est la principale raison pour laquelle nous entrons dans la troisième année de guerre. Les Ukrainiens auraient pu arrêter Poutine en 2022 si Biden n’avait pas hésité ».
Mille jours de guerre
Ces dernières semaines, l’Ukraine a subi d’importantes vagues de bombardements. Alors que ce mardi, l’invasion russe a commencé il y a mille jours, plusieurs habitants, dont Tania, à Kiev, notent « une véritable usure face à ces grèves quotidiennes et nocturnes qui empêchent tout repos après trois ans de guerre ». Elle note : « L’invasion russe nous tue à petit feu. Les gens quittent à nouveau le pays face à des difficultés croissantes : coupures d’électricité, prix élevés, chômage. J’espère que cette décision poussera Moscou à négocier. »
Pourquoi maintenant ? Deux raisons sont avancées par les membres de l’administration Biden. La première part de la situation sur place. L’armée russe préparerait une vaste offensive pour récupérer les parties de son territoire occupées par l’Ukraine dans la région de Koursk. Les 8 000 soldats nord-coréens pourraient y participer.
Pour le général Olivier Kempf, « Il semblerait que l’utilisation serait limitée à la poche de Koursk. Les États-Unis imposent une restriction tactique. La surenchère, qui est réelle, reste mesurée avec ce ciblage. L’Ukraine ne contrôle que 536 km2 contre 900 km2 initialement. Washington a l’intention de permettre à Kiev de conserver un morceau de territoire russe dans le cadre de futures négociations ».
Avec le retour de Donald Trump à la présidence à partir du 20 janvier, Joe Biden souhaite garantir une marge de manœuvre à l’Ukraine, le candidat républicain ayant réitéré sa volonté « mettre fin rapidement à la guerre ».
« Cela valide le réalisme ukrainien. Si le doute militaire existait sur l’objectif de l’opération de Koursk en août dernier, celui-ci prend tout son sens dans la perspective des négociations. L’effort de guerre ukrainien reste encore important avec 40 000 à 50 000 hommes mobilisés. Ils démontrent leur héroïsme après trois ans de guerre. Si le sud du Donbass apparaît perdu, les secteurs du nord résistent globalement malgré l’effort russe. L’utilisation de missiles Atacms leur permettra de rééquilibrer localement le rapport de tir largement défavorable en ciblant les besoins logistiques et l’artillerie sol-sol russes.explique le directeur du cabinet de synthèse stratégique La Vigie, Olivier Kempf.
Une nouvelle implication des États-Unis
De quoi s’agit-il ? Les Atacms sont connus comme le système de missiles tactiques de l’armée. Il s’agit de missiles balistiques américains d’une portée de 300 kilomètres avec une ogive contenant environ 170 kilogrammes d’explosifs. Ils peuvent être tirés depuis les lanceurs mobiles Himars et M270, fournis par les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Reste la question de la quantité dont disposent les Ukrainiens.
Après les chars, les avions, la défense anti-aérienne, un nouveau tournant semble se dessiner. Cette nouvelle ligne rouge « comporte un risque mais il reste limité à une zone et sur deux mois. Donald Trump peut, le 20 janvier, y mettre un terme immédiatement »analyse Olivier Kempf. Pendant ce temps, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a condamné lundi “l’administration sortante à Washington (qui) entend prendre des mesures pour continuer à jeter de l’huile sur le feu et provoquer une nouvelle montée des tensions”.
Cette autorisation entraînerait « une situation fondamentalement nouvelle en termes d’implication américaine dans ce conflit »il a prévenu. En septembre, Vladimir Poutine a prévenu qu’une telle mesure prise par l’Occident «ne signifierait rien de moins que l’implication directe des pays de l’OTAN dans la guerre en Ukraine».
Les alliés de Kiev, dont la France, estiment que cette nouvelle étape franchie par Joe Biden était une option crédible. « Vous avez entendu le président (Emmanuel) Macron, à Meseberg (Allemagne), le 25 mai, où nous avons dit ouvertement que c’était une option que nous prenions en considération »a déclaré le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot. Le Premier ministre britannique Keir Starmer exhortera les dirigeants du G20 à « doubleur » leur soutien à l’Ukraine.
Aux Etats-Unis, les réactions sont partagées, entre les critiques d’un choix tardif et le mouvement trumpiste qui s’est empressé de condamner cette décision. Pour Jennifer Kavanagh, directrice de l’analyse militaire au sein d’un groupe de réflexion basé à Washington, Defence Priorities, proche du mouvement non-interventionniste, « La décision de lancer des frappes à l’intérieur de la Russie est stratégiquement imprudente et inutile sur le plan opérationnel. Cette décision n’améliorera pas sensiblement la position militaire de l’Ukraine, mais elle intensifiera l’implication des États-Unis et de l’OTAN dans le conflit et augmentera le risque d’escalade..
Les plans de paix suspendus
Cette décision pourrait surtout ralentir d’éventuelles négociations, qui, après plus de deux ans de blocage, semblaient pouvoir démarrer ces derniers jours. Volodymyr Zelensky lui-même a ouvert la porte à la fin de la guerre “par voie diplomatique”ce samedi 16 novembre. Mais le nouvel arsenal de l’armée ukrainienne remet en cause ces propos, ainsi que les différentes tentatives de médiation étrangère. Comme cet appel à Vladimir Poutine du chancelier allemand Olaf Scholz, qui espérait attirer « des négociations sérieuses avec l’Ukraine dans le but de parvenir à une paix juste et durable ».
L’administration Biden porte également un coup dur au plan de paix sino-brésilien, proposé fin mai à Pékin par le conseiller principal du président Lula, Celso Amorim, et le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi. « La priorité absolue est de calmer la situation le plus rapidement possiblea rappelé son porte-parole Lin Jian le 18 novembre. Il est dans l’intérêt de toutes les parties de cesser le feu, de mettre fin à la guerre le plus rapidement possible et de rechercher une solution politique. »
La proposition avancée par la Chine et le Brésil, deux des voix les plus importantes du Sud, se concentre sur un dialogue direct entre les belligérants et sur une désescalade des tensions, à laquelle les nouveaux missiles ne contribueront pas. Mais, pour certains observateurs atlantistes, cette autorisation n’aurait été donnée qu’à des fins dissuasives. Ce serait donc un « La paix par la force » que risquerait Joe Biden… Et son successeur ? Donald Trump, qui prendra ses fonctions en janvier prochain, a été le premier ” prêt “ pour contacter son homologue russe. Et prétendre avoir « projets » pour arrêter la guerre “dans vingt-quatre heures”pour le meilleur ou pour le pire.
Avant d’entamer officiellement les négociations avec toutes les parties prenantes fin janvier, Donald Trump a déjà entamé des négociations officieuses entre son équipe et des membres de l’administration russe. Mais une question demeure : Vladimir Poutine est-il enclin à céder et à négocier quelque chose ? Comment la contraindre et garantir la pérennité d’un éventuel accord ?
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