Si l’accord est signé par les membres de l’Union européenne, certains produits en provenance d’Amérique du Sud seraient exonérés de droits de douane. Et pourrait prendre une place plus importante dans l’alimentation des Français.
Dans les manifestations paysannes de ce lundi, le nom de l’accord est sur toutes les lèvres et sur toutes les pancartes. En France et en Europe, l’accord UE-Mercosur effraie les producteurs, qui craignent de perdre des parts de marché au profit d’aliments moins chers importés d’Amérique du Sud, qui ne répondent pas aux mêmes exigences en termes de méthodes de production. . “Il y a deux mondes qui nous séparent”souligne Marine Colli, consultante et spécialiste des politiques agricoles. En bout de chaîne, les consommateurs risquent de se retrouver avec davantage de produits remplis de pesticides, d’antibiotiques ou encore d’organismes génétiquement modifiés (OGM), nocifs pour leur santé.
Si l’accord est signé par les membres de l’Union européenne, les pays du Mercosur pourraient exporter certains aliments en franchise de droits de douane et en plus grandes quantités. Parmi les pays qui composent l’union figurent l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay, le Paraguay et la Bolivie. Mais le pays du Corcovado inquiète particulièrement les spécialistes. « Il existe des différences structurelles colossales entre les exploitations françaises et celles du Brésil, qui peuvent être jusqu’à 50 fois plus grandes »explique Marine Colli. Des centres d’engraissement existent également dans le pays, comptant parfois jusqu’à 30 000 bovins dans une même exploitation, nourris aux OGM et bourrés d’antibiotiques. Sous le Mercosur, 99 000 tonnes de bœuf pourraient être importées, soit 1,6 % de la production européenne.
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Une traçabilité « relativement superficielle »
Outre la viande bovine, 180 000 tonnes de viande de volaille pourraient également arriver sur le sol européen, soit 1,4 % de la production européenne. A cela s’ajoute le porc, avec 25 000 tonnes autorisées dans l’Union européenne (0,1% de la production). “Mais il n’y a pas que la viande, l’Europe importe déjà beaucoup de soja et de maïs, issus de cultures OGM” située dans les pays du Mercosur, explique Marine Colli. Grâce à cet accord, 180 000 tonnes de sucre et 60 000 tonnes de riz pourraient également être importées dans l’Union européenne. Cependant, les productions au Brésil utilisent un « très longue liste de pesticides pourtant interdits en France et en Europe ».
L’année dernière, l’association générale des producteurs de maïs a montré que sur 178 pesticides utilisés au Brésil et en Argentine, 138 étaient interdits en France. Parmi eux figurent les néonicotinoïdes, connus pour leur danger pour la biodiversité mais aussi pour la santé humaine. « Le Brésil les utilise régulièrement, par exemple sur le sucre, sur lequel on ne peut pas rechercher de résidus car il n’existe pas de mesure miroir qui autorise l’Union européenne à contrôler la production »explique Marine Colli. Les contrôles sur les produits transformés sont donc impossibles, comme le fromage, le miel ou encore le lait en poudre, dont certains proviennent des pays du Mercosur. « Pour avoir des contrôles fiables, il faut une traçabilité fiable, qui est aujourd’hui relativement superficielle »souligne Ludovic Brindejonc, directeur du label Agri-Ethique.
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Le rôle « ultra-stratégique » de la grande distribution
Si la multiplication des importations en provenance des pays du Mercosur ne représenterait qu’une faible part de la production européenne, le spécialiste craint un « effet déstabilisateur du marché dans un contexte économique déjà très fragile pour les producteurs ». « Le risque est de se retrouver avec davantage de produits aux caractéristiques toujours différentes de celles de l’UE »ajoute Ludovic Brindejonc. Sur les étagères, “c’est le consommateur qui sera perdu” avec les origines du produit discrètement écrites sur l’emballage. « Dans le contexte actuel, les clients sont très sensibles aux prix et ils risquent de s’orienter vers ces produits moins chers et moins sains »analyse le directeur du label Agri-Ethique.
Pour Ludovic Brindejonc, la responsabilité incombe avant tout aux distributeurs, qui ont la possibilité d’orienter les achats des consommateurs : « L’offre doit être nuancée dans les magasins. Le rôle de la grande distribution est ultra-stratégique. La promotion peut aussi être un moyen de soutenir les agriculteurs français, sans pour autant baisser le prix payé aux producteurs. De son côté, Michel-Edouard Leclerc, président du comité stratégique des magasins Leclerc, a proposé ce lundi matin de prolonger le label Origin’info. « et obliger toute l’industrie agroalimentaire à dire d’où viennent ses produits ». “Je voudrais qu’on ne m’oblige pas à payer plus cher le poulet espagnol” que celui importé hors des frontières européennes, critique-t-il ce lundi matin sur BFMTV.
En fin de compte, c’est le consommateur qui fera le choix final en rayon. « S’il n’y a pas de ventes, il n’y aura pas de revenus. Les agriculteurs et les distributeurs doivent trouver le bon message pour rassurer les clients.avoue Michel-Edouard Leclerc, qui craint que les produits français ne s’effondrent comme le secteur bio. Un chemin de croix qui semble n’en être qu’à ses balbutiements, à l’heure où les protestations des agriculteurs se multiplient dans toute l’Europe.