Le monde invité Marc Dufumier, agronome et professeur honoraire à AgroParisTech, pour partager ses analyses et répondre à certaines de vos questions dans ce direct.
Pourquoi l’accord UE-Mercosur cristallise-t-il la colère des agriculteurs français ? Au contraire, quels sont les bénéfices de ce traité selon ses défenseurs, notamment l’UE ? Qu’est-ce qui fait que les accords de libre-échange sont encore considérés comme attractifs, au prix que l’on connaît en termes de normes environnementales, sanitaires et sociales ?
« Les agriculteurs français ont de nombreuses raisons de craindre la ratification de l’accord UE-Mercosur, sachant qu’ils sont bien moins compétitifs sur le marché mondial que les très grands agriculteurs d’Argentine, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay. Ils ont déjà été brûlés par des accords antérieurs, comme celui dit de Blair House, signé avec les États-Unis en novembre 1992.
L’engagement de ne pas imposer de barrières tarifaires ou de quotas sur l’importation de protéagineux s’est très rapidement traduit par des importations massives de graines et de farines de soja en provenance des Amériques. Et nous payons aujourd’hui très cher cette dépendance aux protéines végétales pour l’alimentation animale. Un coût qui n’est pas seulement monétaire mais aussi environnemental.
Du fait que nous produisons beaucoup moins de luzerne, de trèfle, de lupin et de féverole, toutes cultures qui avaient pour effet de fertiliser nos sols en azote de manière organique, nous sommes désormais contraints de recourir à des engrais azotés de synthèse, très coûteux. dans les combustibles fossiles et de grands émetteurs d’oxyde d’azote, un puissant gaz à effet de serre. À cela s’ajoute le fait que nos importations de soja ont contribué à la déforestation et à la déforestation des savanes boisées au Brésil (certes, dans des proportions moindres que les importations chinoises).
Les agriculteurs français qui pourraient être les plus touchés par la ratification de l’accord sont les producteurs de viande (bœuf et volaille), de betteraves sucrières et de miel. Ceux qui pourraient en bénéficier, ce sont en revanche les producteurs de vins, fromages et spiritueux, notamment en raison de la reconnaissance par l’accord d’un grand nombre de nos appellations d’origine protégées.
Quant aux peuples des pays du Mercosur, ont-ils vraiment intérêt à voir leurs excédents de soja nourrir les porcs français alors que les pauvres Brésiliens confinés dans les bidonvilles peuvent difficilement en acheter, faute de pouvoir d’achat ? Faut-il aussi vraiment les priver de viande parce que les Européens semblent pouvoir l’acheter plus cher ?
Les seuls véritables défenseurs de cet accord semblent être les industriels et ceux qui souhaitent voir les marchés publics des pays du Mercousur ouverts aux entreprises européennes et non chinoises. »