« L’artiste est-il maître de son œuvre ? – .

« L’artiste est-il maître de son œuvre ? – .
« L’artiste est-il maître de son œuvre ? – .

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Introduction

Certains artistes ne créent qu’en transe : c’est ainsi que Rimbaud prônait la « dérèglement raisonné de tous les sens » pour que le poète devienne ” voyant “, dans la lettre à Paul Demeny. L’artiste est alors tout sauf un travailleur de la rime… Pourtant, la versification et la mesure étaient pour Rimbaud une question de technique et étaient parfaitement maîtrisées. N’y avait-il pas travaillé, lui qui savait déjà écrire des vers latins parfaitement formés à l’âge de dix ans ?

L’art est-il en fait une question de maîtrise ou d’inspiration ? Est-il à placer sur le plan technique, comme un savoir-faire, une compétence acquise ? Ou faut-il y penser d’abord sur le modèle de la création qui assure l’existence à partir de rien, Ex nihilo, sans savoir comment ni pourquoi ? L’art se définit à l’origine comme un savoir-faire, proche de celui de l’artisan. On parle donc de « métiers d’art ». Mais l’art ne se résume pas à la simple exécution d’une technique selon un savoir-faire acquis au prix d’un long combat : l’œuvre d’art n’est pas strictement reproductible, elle implique quelque chose de plus, quelque chose de strictement original. . C’est toujours et forcément une pièce unique.

Selon qu’on définit l’art et l’œuvre d’une manière ou d’une autre, on dessine alors différemment le visage de l’artiste : est-il un technicien virtuose, si expert dans la maîtrise de ses instruments de création que l’originalité lui est donc possible. ? Ou bien l’exécution technique n’est-elle, pour lui, qu’un moyen entièrement soumis à une inspiration qui la transcende et qui la porte ? Y a-t-il plus chez l’artiste que l’artiste lui-même ? L’œuvre dépasse-t-elle, de sa conception à sa réalisation, la personne qui la crée ?

1) L’art repose sur une perte de contrôle : l’artiste n’est pas un travailleur comme les autres

Dans nos esprits contemporains, l’art est d’abord conçu comme une création. Depuis l’Antiquité, prévaut une conception de l’artiste inspiré, en l’occurrence par les dieux : ainsi le barde d’Homère est aveugle parce qu’il voit ce que les autres ne voient pas. C’est l’une des manifestations du poète-vates, poète-prophète, figure de l’artiste qui traversera toute l’histoire de la littérature. Dès lors, la création artistique peut être pensée sur le modèle de la création du monde, démiurgique : l’artiste est surpuissant et peut être vénéré comme un dieu, puisqu’il en est le porte-parole comme le sont les sybils et les pythies des temples. . L’artiste n’a pas à contrôler son œuvre, car l’art n’est pas une œuvre : c’est une révélation et c’est un miracle.

L’artiste est d’autant moins travailleur qu’il peut se révéler brillant. Les Romantiques reprennent la définition de l’artiste inspiré de l’Antiquité, le représentant torturé par son génie, à l’instar de Victor Hugo devenant prophète de son temps dans LE Les sanctions ou Anna Akhmatova se présentant comme une gardienne de son temps dans son Requiem. Mais le génie est étymologiquement le démon qui conseille et dirige l’être humain de l’intérieur, comme celui qui conseille Socrate sur le plan moral. Le génie artistique est ainsi celui qui, selon Kant, donne à la nature ses règles : cette position de surplomb lui permet d’échapper au caractère restrictif des règles, puisqu’il les décide mais ne s’y soumet pas. Décidément, l’artiste n’est pas un travailleur comme les autres.

La technique est donc secondaire dans l’art conçu comme création et non comme œuvre. Selon Walter Benjamin, l’œuvre d’art se caractérise par son aura, qui ne peut être reproduite par la technologie. Une photographie ou une image pixellisée d’une œuvre, même en haute définition, ne remplace jamais l’expérience de se retrouver face à face avec cette œuvre. L’artiste est celui qui est capable de réaliser ce miracle de mettre au monde ce qui n’y était pas.

De la même manière que l’œuvre transcende celui qui la reçoit, l’œuvre d’art est censée transcender celui qui la crée. Ce raisonnement par analogie semble valable ; Cependant, cela peut induire en erreur.

2) Mais l’art en tant qu’œuvre requiert une maîtrise, « au moins » technique

En effet, le génie artistique est plus un mythe qu’une réalité. Selon Nietzsche, les mots incitent à supposer que ce qu’ils désignent existe dans la réalité. Pour les termes « artiste » et « génie », le malentendu est grand : il n’y a pas de création spontanée dans l’art ; l’artiste se définit précisément par un travail souterrain, invisible, à chaque instant. L’artiste est un travailleur acharné dont les efforts passent inaperçus et dont l’histoire ne rappelle pas les ébauches, les échecs et les approximations, mais ne vante que les réussites. L’exposition au Louvre des dessins préparatoires aux tableaux de Léonard de Vinci aux côtés de ses œuvres est à cet égard éclairante : il n’y a pas de chef-d’œuvre sans travail préparatoire. C’est donc au prix d’un effet d’optique que les artistes sont désignés comme brillants, inspirés, dépassés par une force plus grande qu’eux.

S’il y a là une erreur de raisonnement, il y a aussi tromperie. C’est ce que dénonce George Sand dans ses nombreux romans mettant en scène des artistes : la figure de l’artiste dilettante, inspiré, léger s’oppose à celle de l’ouvrier qui, sans cesse, remet son œuvre au travail, suivant la parole de Boileau. Dans Consuelo, Sand dénonce ainsi la figure d’Anzoleto, chanteur doué mais frivole, dont le talent s’use à défaut d’être travaillé. La musique est en effet un art où l’improvisation ne peut se déployer qu’au prix d’un travail acharné et quotidien, tant dans son interprétation que dans sa composition.

En ce sens, la maîtrise technique est essentielle à la création artistique et constitue un préalable. Mais la maîtrise de son temps et de ses moyens est tout aussi importante. De même, Virginia Woolf, dans Une chambre à soi, elle réclame un espace intime et réservé aux femmes souhaitant s’adonner à une activité intellectuelle ou artistique. Ce lieu de retraite doit être compris au propre comme au figuré : un tel espace doit aussi être mental ; pour créer, il faut disposer de l’espace en termes de disponibilité d’esprit, pour pouvoir se libérer des soucis du quotidien. L’artiste, pour créer son Œuvre, doit être maître de lui-même et de ses conditions de travail.

Ainsi l’art est avant tout une œuvre, et ce n’est qu’au prix de la construction d’un mythe que sa production a été pensée comme une création.

3) En définitive, la maîtrise qui caractérise l’art est à chercher ailleurs que dans la virtuosité technique : le travail de l’artiste est pluriel et collaboratif.

Car si l’art requiert d’abord une maîtrise technique, c’est parce qu’il est moins une création, selon le modèle divin, qu’une production. C’est le terme utilisé par Aristote dans son Poétique : « poétique » vient du terme grec poian, qui signifie « produire, fabriquer ». Le travail artistique est un travail de fabrication qui nécessite la maîtrise de ses outils, de sa technique, de ses conditions d’exercice. Cela ouvre donc la voie à des collaborations artistiques : il existait en effet de nombreux ateliers d’artistes en peinture, mosaïque et sculpture à la Renaissance, mais aussi avant et après cette période. On attribue ainsi certains tableaux à « l’école de Rembrandt » par exemple, lorsque la signature du maître manque ou lorsque rien ne permet d’affirmer qu’il a bien mis la main dessus.

S’il reste une différence entre les œuvres d’atelier, les œuvres collaboratives et les chefs-d’œuvre, c’est qu’il reste une « un supplément d’âme », comme le défend Bergson, propre à l’œuvre d’art. Cela n’implique pas que l’artiste soit plus qu’humain, mais que son talent et le développement de son talent, comme l’intensité et la conduite de son travail, soient particulièrement affirmés. En ce sens, il s’agit aussi d’un travail collaboratif que celui de l’art, puisque de nombreux artistes voient leur œuvre contrôlée et corrigée par des tiers : les écrivains ont fait lire leur production dans les cercles et les salons depuis, encore une fois, la Renaissance au moins, et par leur éditeur aujourd’hui; le cinéma est à cet égard un exemple particulièrement parlant, car il n’y a pas d’œuvre cinématographique sans équipe de tournage, sans scénariste, acteurs, actrices, etc. L’artiste n’est pas maître de son œuvre à tous les niveaux car l’œuvre d’art est toujours le résultat de collaboration et suppose une ouverture.

Enfin, le caractère particulier du travail artistique se manifeste aussi dans le manque de contrôle sur sa réception. Ce qui définit aussi l’œuvre d’art, c’est qu’elle résonne très fortement, et parfois très différemment, d’un individu à l’autre. Umberto Eco développe l’analyse dans Le travail ouvert : certaines œuvres se caractérisent par leur ouverture, par la pluralité des interprétations qu’elles favorisent et autorisent. Un tel processus de participation au sens de l’œuvre s’exprime également dans des créations comme la Fontaine de Marcel Duchamp : en quoi mon regard sur un objet en fait-il une œuvre ? Ou est-ce son placement dans un musée qui le marque du sceau de l’art ?

Dans tous les cas, l’artiste n’est pas totalement maître de son œuvre : de sa conception à sa réception, en passant par sa réalisation, il partage cette œuvre avec d’autres. L’œuvre d’art est une œuvre ouverte.

Conclusion

L’artiste est toujours un technicien ; s’il peut parfois abandonner sa technique, il ne peut le faire que lorsqu’il la maîtrise suffisamment. Pablo Picasso abandonne ainsi son excellence en dessin figuratif pour s’essayer au cubisme avec le Dames d’Avignon. Mais si l’art est en partie le fruit du travail, il est aussi quelque chose de plus difficile à définir ; Cependant, si l’effet produit par l’œuvre dépasse le public, cela ne veut pas dire que l’artiste lui-même ne serait pas maître de ce qu’il crée, que ce soit dans sa technique ou son projet. Ce qui lui échappe dans son œuvre, c’est sa réception, son devenir, la manière dont son œuvre va résonner dans le monde. À cet égard, l’évolution du mécénat de la création artistique à travers le financement participatif est significative : et si l’art de demain était celui auquel nous participions tous sans que personne n’en soit responsable ? maître ?


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