Rob Sheffield | Le journaliste rock qui prend Taylor Swift au sérieux

Après avoir écrit sur les Beatles, David Bowie et l’euphorie du karaoké, le journaliste de Pierre roulante Rob Sheffield, l’un des mentors de l’auteur, consacre son nouveau livre à un certain Taytay. Conversation autour Heartbreak est l’hymne national, une plongée pénétrante, à la fois drôle et émouvante, généreuse et impitoyable, au cœur d’une œuvre dont les ricochets ne cessent de se multiplier.

J’ai toujours admiré la façon dont vous comparez dans vos articles des artistes qui, à première vue, appartiennent à des univers spectaculairement lointains. Vous avez longtemps aimé comparer Taylor Swift et Morrissey, l’ancien chanteur du groupe anglais The Smiths, ce qui peut paraître une hérésie. Dans quelle mesure le faites-vous pour provoquer ?

Pour moi, tout est là, dans la musique. Les artistes ont toujours un œil sur les autres, ils aiment emprunter les idées des autres, se les approprier.

Cela remonte à mon amour d’enfance pour les Beatles. Les Beatles écoutaient de tout : du music-hall, de la country, du R&B, du blues, des groupes de filles, de la Motown, du sitar indien, de Vivaldi, de Mozart, du ukulélé hawaïen.

Et ils ont volé des petits morceaux de tout ça et les ont répandus ici et là. C’est ce que l’on appelle aujourd’hui la musique pop. C’est le quilt que les Beatles ont créé en rassemblant tout ce qu’ils aimaient. Taylor Swift est aussi omnivore musicalement que les Beatles.

Au début du livre, je la compare au rappeur de la Nouvelle-Orléans Lil Wayne et c’est incroyable à quel point ils ont en commun, à quel point ils ont explosé en même temps, à quel point ils étaient tous les deux très prolifiques à l’époque. C’est ce qui est le plus amusant dans mon travail, trouver ces liens entre Taylor et Morrissey, entre Taylor et Bob Dylan.

Une autre idée maîtresse de votre œuvre concerne la sagacité des jeunes femmes, qui ont toujours guidé et défini l’histoire de la musique populaire, mais dont le bon goût est trop souvent méprisé. Pourquoi nous permettons-nous encore d’être condescendants à leur égard, alors qu’ils ont si souvent eu raison ?

Elle était très présente à ses débuts, dans les années 2000. Parce que Taylor était elle-même encore adolescente, sa musique était considérée comme de la candy pop, même si elle était déjà une auteure-compositrice majeure. Cela a continué même après qu’elle ait remporté le Grammy de l’album de l’année en 2010.

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PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE ARCHIVES

Taylor Swift sur scène au Centre Bell de Montréal en 2011

Et pour moi, il est clair que ce mépris est étroitement lié au fait qu’elle a été une jeune femme, qui a parlé de sa vie, qui est partie de ses expériences personnelles, même si elle en a fait quelque chose d’étonnamment universel.

Mais si vous regardez où en est la musique pop en 2024, ce sont les jeunes femmes qui écrivent sur leur propre vie qui dominent : Chappell Roan, Sabrina Carpenter, Billie Eilish, Olivia Rodrigo. Ils ont tous leur singularité, mais occupent un territoire que Taylor a défriché.

Vous l’avez interviewée plusieurs fois. Est-ce que cela a changé votre rapport à sa musique ?

Cela m’a confirmé qu’elle est une passionnée de musique. Je l’avais déjà remarqué en écoutant ses chansons, mais elle a un esprit musical encyclopédique. C’est une mélomane très érudite, curieuse et passionnée.

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PHOTO DIMITRIOS KAMBOURIS, AGENCE FRANCE-PRESSE ARCHIVES

Le journaliste Rob Sheffield, à New York, en septembre dernier

Lors d’une de nos interviews, nous avons longuement parlé de sa fascination pour les Beatles et pour l’ex-femme de George Harrison, Pattie Boyd. Elle était très intriguée par son rôle d’égérie pour George et Eric Clapton. C’est pour cette raison que depuis, je suis convaincu que Voiture d’escapade [tirée de son album Reputation, 2017] s’inspire de ce triangle amoureux.

Chaque fois que Taylor Swift sort un nouvel album, j’ai une pensée compatissante pour vous qui avez besoin de mettre à jour votre classement de toutes ses chansons, des meilleures aux pires, publiées par Pierre roulante. Comment procédez-vous ?

C’est une liste que je mets constamment à jour dans ma tête. Je le mettrais à jour chaque semaine si je le pouvais, car mon amour pour chaque chanson fluctue. Je pense que c’est caractéristique d’un artiste qui écrit des chansons aussi complexes et originales.

Donc pour moi, c’est toujours excitant quand elle sort un nouvel album et que je peux la mettre sur la liste. J’ai mis à jour la liste peu après la publication de Le département des poètes torturés [2024]mais je commençais tout juste à connaître ces chansons. Certains d’entre eux m’ont beaucoup séduit, et d’autres pas du tout. Bien évidemment, il y aura du mouvement lors de la prochaine mise à jour.

Découvrez le classement des 274 chansons de Taylor Swift

Certains aiment prédire une lassitude collective face à Taylor Swift, un essoufflement. Est-ce possible ?

Les Beatles ont plaisanté sur les journalistes qui n’arrêtaient pas de leur demander : Quand pensez-vous que la bulle va éclater ? Et comme on le sait désormais, la bulle n’a jamais éclaté. Certains pensaient que la Motown n’était qu’une mode passagère, mais c’est la musique pop la plus populaire du siècle dernier.

Je pense que si cela devait arriver à Taylor Swift, cela serait déjà arrivé.

Heartbreak est l'hymne national

Heartbreak est l’hymne national

Rob Sheffield

de rue Dey

208 pages

 
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