Les contradictions du programme social du Rassemblement national

Les contradictions du programme social du Rassemblement national
Les contradictions du programme social du Rassemblement national

Alors que le pouvoir d’achat constitue la priorité numéro un des Français, que propose réellement le Rassemblement national en termes de mesures sociales ? Timothée Duverger et Thierry Germain, respectivement co-directeur et membre de l’Observatoire de l’expérimentation et de l’innovation locales de la Fondation, analysent le programme du parti d’extrême droite et démontrent trois éléments : le double discours utilisé pour constituer un électorat plus large, une instrumentalisation de la politique sociale des questions à des fins xénophobes et des propositions qui ne feraient qu’accentuer les inégalités et pénaliser les classes moyennes et populaires.

Vote massif d’ouvriers et d’employés, déportations importantes d’anciens électeurs de gauche, prétendre incarner la voix du « petit peuple » trompé ou méprisé par les élites… : la fibre sociale autoproclamée du Rassemblement national (RN) est devenue la une de ses grandes marques de fabrique, avec la phobie migratoire et la représentation des provinces face aux grandes villes mondialisées.

Qu’est-ce que c’est vraiment ? S’il ne fait aucun doute que les Français sont plongés dans une spirale de déclassement et éprouvent une forte appréhension face à l’avenir (réforme des retraites ; réforme de l’assurance chômage ; rhétorique du « Welfare », dans une ambiance générale de méfiance et de contrôle ; déséquilibres massifs dans le partage de valeur au détriment des salariés…), il faut plus que nécessaire décortiquer le programme social du RN, déjouer les faux-semblants et dénoncer les distorsions entre les discours et les mesures proposées.

Un double discours sur les questions sociales pour constituer un électorat plus large

Pourtant, l’examen de ses positions, propositions et votes atteste que ce vernis social est une imposture majeure, et plusieurs exemples très récents l’illustrent très clairement.

Qu’il s’agisse de la réforme des retraites ou plus récemment de la loi sur le plein emploi, le Rassemblement national s’est opposé au gouvernement au nom de la justice sociale. Ces deux positions fortes, censées marquer un tournant dans les orientations historiquement ultralibérales de l’extrême droite, ont cependant été rapidement mises à mal très récemment par Jordan Bardella, aujourd’hui appelé à former un nouveau gouvernement en cas de victoire aux législatives suivantes. la dissolution de l’Assemblée nationale.

Dans un contexte de rapprochement avec Éric Ciotti, les ambiguïtés entretenues ces derniers mois par le RN en matière sociale doivent être levées. Pour le RSA, auquel l’exécutif a décidé sous la pression du droit de conditionner son versement à l’accomplissement de 15 heures d’activité, Jordan Bardella a déclaré dans l’émission Dimanche en politique sur France 3 le 4 février, il disait « qu’il faut compenser les prestations sociales de ce type ». On retrouve ainsi la dénonciation classique de « l’assistanat ». Concernant les retraites, alors que le RN promettait d’abroger la réforme, il a fait marche arrière le 11 juin sur RTL, estimant qu’elle n’était plus une priorité.

Ce double discours n’est pas anodin, puisque ce prétendu souci du quotidien des Français et de leurs difficultés quotidiennes, notamment celles liées au pouvoir d’achat et aux protections, est bien l’un des moteurs de sa progression électorale. . En avançant masqué, le RN a progressé auprès de larges pans de l’électorat, même si l’abstention est restée dans l’immense majorité. A l’issue des élections européennes, il a ainsi consolidé sa base, hégémonique parmi les ouvriers (54% des voix) et très ancrée parmi les salariés (40%), tout en progressant de 10 et 7 points parmi les professions intermédiaires (29%) et cadres (20%). Il devient ainsi le premier parti parmi les salariés (36%). Seul le diplôme constitue encore une frontière. Plus il est élevé, plus faibles sont les chances de voter en faveur du RN.

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Une instrumentalisation des enjeux sociaux à des fins xénophobes

Comme le rappelle le politologue Vincent Tiberj, le RN a su imposer les thèmes de l’immigration et de la sécurité pour encadrer le débat public (politique et médiatique), au détriment de la mise à l’agenda des sujets de société apportée par le mouvement de lutte. contre la réforme des retraites. Le RN profite des divisions des classes populaires. Pour ce faire, il joue sur la logique du bouc émissaire à travers les figures de la « personne aidée », ou plus encore de « l’immigré » qui bénéficierait du système, au point de les assimiler à des fraudeurs. C’est tout le sens de la « préférence », rebaptisée « priorité » nationale au cœur du programme RN. En matière sociale, dès sa première proposition il prévoit ainsi de réserver les aides sociales aux Français (handicap, pauvreté, personnes âgées, mineurs en danger, sans abri…) et de conditionner l’accès à cinq ans de travail en France. aux prestations de solidarité, tandis que la « priorité nationale » devrait s’appliquer à l’accès au logement social et à l’emploi. Autant de mesures discriminatoires.

Mensonges sur ses véritables intentions sociales (la réalité du mouvement d’extrême droite restant en grande partie son libéralisme économique et social traditionnel) et détournement de la question sociale en la lisant à travers le prisme déformé de l’immigration : le RN mène une imposture politique qu’il Il faut tenir compte du fait qu’elle repose sur des réalités profondes de notre pays. Les travaux sur le sentiment de pauvreté révèlent un continuum allant des catégories populaires salariées ou indépendantes jusqu’aux chômeurs ou allocataires d’aides sociales. Cependant, des approches plus ethnographiques permettent de révéler l’importance des « petites différences » (niveau ou variations des revenus, trajectoires), qui se transforment en petites distinctions au sein des classes populaires, elles-mêmes porteuses d’une charge morale tant pour les individus que pour les institutions. . Dans une perspective où le rapport à l’avenir est différencié selon les classes sociales, « les classes populaires se retournent contre les assistés parce que les voies de promotion les plus ordinaires (accès à l’emploi public, accès à la propriété de son logement, éventuellement dans un pavillon) apparaissent soit inaccessible, soit de moins en moins viable dans un contexte de stagnation des salaires et d’augmentation des dépenses contraintes.

Des mesures qui augmenteraient les inégalités sociales

Reste que l’imposture est totale !

A l’Assemblée nationale, les positions du RN sont claires. Dès le début de leur mandat, ses députés ont par exemple voté contre l’augmentation du salaire minimum (20 juillet 2023), contre l’indexation des salaires à l’inflation (20 juillet 2023), contre le gel des loyers (20 juillet 2023). 21, 2023). ), contre le rétablissement de l’impôt de solidarité sur le patrimoine (ISF) (23 juillet 2023). A la même période, ils se sont abstenus sur la création d’une garantie d’autonomie pour les étudiants (25 juillet 2023) ou sur la revalorisation des minima sociaux au niveau du seuil de pauvreté (25 juillet 2023), ainsi que sur l’augmentation des minima sociaux. des salaires des fonctionnaires de 10 % (26 juillet 2023).

Quant aux mesures sociales avancées par le RN, elles sont toutes des leurres. Dans la proposition 5 du programme du parti d’extrême droite pour l’élection présidentielle de 2022, il entend permettre aux entreprises d’augmenter les salaires de 10 % en les exonérant de cotisations patronales (pour des salaires allant jusqu’à trois fois le Smic). Mais non seulement elle serait facultative, laissée au libre choix de chaque entreprise, mais elle reposerait également sur des exonérations de cotisations, ce qui aurait un coût important pour les finances publiques tout en créant une trappe à bas salaires.

Le RN propose également un ensemble de mesures visant à soutenir les propriétaires fonciers, alors que l’accès au patrimoine est aujourd’hui la principale source d’inégalités. Cela se reflète dans sa proposition 16 de suppression de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), comme dans sa proposition 17 consistant à lancer un plan de réhabilitation des logements anciens grâce à des aides efficaces ou à créer un fonds de garantie. loyers pour protéger les propriétaires. Toutes ces propositions ciblent les populations les plus aisées et non les plus précaires.

Concernant les jeunes, le RN ne propose pas – là encore – d’accompagner les plus fragiles mais plutôt les plus aisés. Dans sa proposition 7, il promet une exonération de l’impôt sur le revenu pour tous les jeunes travailleurs jusqu’à 30 ans, ainsi que la suppression de l’impôt sur les sociétés pour les entrepreneurs de moins de 30 ans pendant les cinq premières années, au motif que dans les deux cas il y aurait un risque de départ à l’étranger. Pour les jeunes en insertion, elle s’engage à créer un chèque-formation mensuel de 200 à 300 euros pour les apprentis, les alternants et leurs employeurs, ce qui revient en fait à subventionner les entreprises.

En matière de retraites, les progrès sont très limités, voire flous. Le RN prévoit une réindexation des retraites à l’inflation, ce qui profiterait surtout – et encore une fois – aux plus riches. L’augmentation du minimum vieillesse ne serait que de 10 %. Quant à la retraite à 60 ans, elle est réservée aux personnes ayant travaillé avant 20 ans et pendant quarante ans. Enfin, concernant les Ehpad, il annonce une forte croissance de la présence de personnel médical, sans donner de chiffre. Ce flou se retrouve dans plusieurs propositions concernant le handicap, comme un grand plan d’accès à la scolarisation des enfants touchés par le handicap ou la loi sur l’accès à tous les lieux publics et aux transports sur lesquels il n’y a aucune précision.

Enfin, la mesure 22 du RN – la dernière – consiste à créer un ministère de lutte contre la fraude, sans les différencier, alors qu’en 2019 la fraude sociale était estimée à 2,3 milliards d’euros contre entre 80 et 100 milliards d’euros pour la fraude fiscale. Ainsi le RN met l’accent, à travers cette mesure populiste, sur la chasse à la fraude plutôt que de se focaliser sur le non-recours aux droits, pourtant massif (il est estimé à environ 35% des bénéficiaires potentiels pour le RSA par exemple) et constitue un problème d’accès à la citoyenneté et de confiance dans les institutions. Ce faisant, il risque de l’augmenter en entretenant une confusion entre fraude, trop-perçu et indemnisation.

Conclusion

À l’examen, le programme du Rassemblement national est donc plus antisocial qu’antisystème, traits que l’on retrouve très clairement dans les pays où gouverne l’extrême droite, comme l’Italie de Giorgia Meloni. Il n’est pas étonnant qu’un axe (très antisocial !) apparaisse de plus en plus clairement entre certains milieux d’affaires et le RN au nom d’une « union des droites » qui est avant tout une revanche de l’extrême droite, tout en s’appuyant sur des divisions et des fractures qu’elle cherche à exploiter bien plus qu’elle n’entend réellement résoudre.

Articuler urgences écologiques et nouvelles formes de solidarité est pourtant le point majeur de ce changement climatique que nos pays doivent désormais mettre en œuvre rapidement, sans se fracturer davantage. Mentir sur ses intentions sociales et bâti sur des tensions – notamment à l’égard des étrangers – le programme du Rassemblement national va exactement à l’encontre de cela. En ce sens et si ce moment venait à arriver, il ne pourrait que se retourner contre les classes moyennes et populaires, contre le peuple.

 
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