Depuis qu’il est apparu sur nos écrans il y a trente ans avec ses cheveux ébouriffés et cette drôle de façon de tordre la bouche, Romain Duris n’a jamais quitté nos vies. Soixante films plus tard Le danger des jeunes nous portons tous en nous un ou plusieurs personnages qu’il incarne : Xavier, l’élève de la trilogie de Cédric Klapisch, le vibrant Molière par feu Laurent Tirard, Thomas, le pianiste de Mon cœur a arrêté de battreLe mari de Virginie Efira dans En attendant BojanglesGustave Eiffel, Aramis pour Martin Bourboulon ou le séducteur Alex Lippi L’idole.
Dépôt Une pièce manquante il a retrouvé Guillaume Senez, résidant à Bruxelles, qui l’avait déjà référé Nos combats où Romain Duris incarnait un jeune contremaître et père de deux enfants qui se retrouve désemparé lorsque sa femme disparaît du jour au lendemain.
Une pièce manquante propose un nouveau défi au quinquagénaire à peine : jouer, en partie, dans une autre langue au cœur d’une société très différente. Depuis dix ans Jay (Romain Duris) sillonne Tokyo au volant du taxi de la société S-Ride qui l’emploie. S’il s’exile et accepte ce travail souvent épuisant, c’est justement pour retrouver sa fille que la particularité des lois et coutumes japonaises le ravit. En effet, lorsqu’un couple se sépare, c’est le premier à prendre l’enfant qui en obtient définitivement la garde exclusive.
Dans ce cas, il s’agit de Mishiko (Tsuyu), l’ex-partenaire de Jay, qui a fui au Japon avec sa fille Lily (Mei Cirne-Masuki). Jay n’a pas reconstruit sa vie, tout son être est concentré sur la recherche de sa fille. Il vit seul avec un petit singe qu’il prénomme Jean-Pierre, n’a quasiment aucune vie sociale et s’est résigné à ces étranges arrangements sociaux japonais.
Mais ne plus jamais revoir Lily. « Je suis parti au Japon avec Romain Duris pour accompagner la sortie japonaise de Nos Batailles, mon précédent film » dit Guillaume Senez. « Là-bas, des expatriés nous ont raconté ces histoires de parents qui ont du mal à revoir leurs enfants après une séparation. Ému par ces histoires, il y avait l’évidence, la promesse d’une histoire, d’un nouveau film possible pour nous. »
Bientôt, Jay accueille une de ses connaissances qui a le même problème. Jessica (Judith Chemla) se heurte à l’administration et au système judiciaire japonais qui ne veulent absolument pas lui permettre d’offrir un cadeau d’anniversaire au fils kidnappé par son ex-conjoint. Sous la pression de son père (Patrick Deschamps), dont il doit reprendre le restaurant, désespéré après dix ans de recherches infructueuses, Jay est sur le point d’abandonner ses recherches. Mais un matin, une jeune étudiante monte dans le taxi pour se rendre à l’école : c’est Lily.
Ne voulant pas précipiter ces retrouvailles, ne sachant pas quelle sera la réaction de la jeune fille qui n’a pas vu son père depuis qu’elle est petite, Jay s’arrange pour l’accompagner tous les matins et tente de créer du lien. Mais la mère et la grand-mère de Lily ne vont pas permettre que cela se produise.
Si Romain Duris parvient à réaliser une véritable prouesse en interprétant toute une partie du film en japonais, c’est surtout dans les scènes d’émotion qu’il parvient le plus à émouvoir. Il y a aussi de beaux moments de détente Une pièce manquantecomme quand Jessica et Jay font la fête dans un bar ou chantent, avec un jeune japonais lui aussi privé de son rôle de père, Que je t’aime de Johnny Hallyday, en version japonaise.
Peu avant de partir pour un nouveau tournage en Thaïlande, Romain Duris a répondu à nos questions.
La culture japonaise vous était-elle familière auparavant ? Une pièce manquante ?
Romain Duris : « Oui, vraiment. Je ne sais pas d’où ça vient mais j’ai toujours été passionné par la culture japonaise, les estampes, les films, j’ai même pris des cours de calligraphie japonaise. J’ai aimé l’écriture, la façon dont elle était peinte au pinceau, l’encre qui ne recouvrait pas complètement les symboles phonétiques. Cela m’a apporté tellement d’émotions. »
Cela aurait-il pu influencer le designer Romain Duris ?
« Je pense que ce travail calligraphique est entré dans mon travail d’une manière ou d’une autre. »
Six ans plus tard Nos combats avez-vous découvert un autre Guillaume Senez dans sa manière de travailler ?
« Il maîtrise encore plus sa méthode, cette façon de maintenir une version dialoguée du scénario et de nous laisser improviser les scènes et nous les expliquer, de prendre en compte ce que l’on fait pour construire petit à petit. J’adore ce principe. Bien sûr, il a fallu jouer avec la langue japonaise, qui pour moi ne s’improvise pas. Mais il a su l’incorporer dans sa méthode et même l’appliquer aux artistes japonais. C’est toujours un cinéma très libre, très actuel, il filme tout et c’est amusant. Il est très attentif à ce qui se passe. »
La modestie des Japonais, leur manière de se comporter en société, change-t-elle votre façon de jouer avec des partenaires japonais ?
« Il y a en fait une autre façon de se comporter, c’est très différent, on ne montre pas nos émotions, notre colère s’est apaisée. Mon personnage n’est là que depuis dix ans, il a su rester un peu latino. On le voit dans une scène où le personnage se met en colère contre son patron. Mais il y avait des références japonaises pour nous guider dans ce genre de situations. »
Pour un film comme celui-ci, apprend-on simplement les dialogues japonais ou apprend-on complètement la langue ?
« Nous apprenons simplement les dialogues. Je ne pouvais pas faire plus car avant les deux mois de tournage j’étais en France. J’ai travaillé phonétiquement les dialogues mais une fois sur place j’ai essayé de retirer davantage de mots de la rue pour renforcer les dialogues et leur donner vie. »
Quelle est la plus grande difficulté dans la prononciation japonaise ?
« C’est étrange de ne mettre aucun accent, aucun rythme et de travailler de manière très plate. Nous voulons toujours ajouter de la mélodie comme dans une langue européenne. Le japonais est plus monotone et mon coach n’arrêtait pas de me dire de l’aplatir. »
Savez-vous ce que la population japonaise pense des enlèvements d’enfants et de la garde exclusive ?
« Je ne sais pas vraiment car nous n’avons pas encore voyagé avec le film et j’ai hâte de savoir comment il sera perçu. Je pense que ce qui se passe est une question d’habitude entre eux et que le gouvernement veille à ce que les couples ne se séparent pas. Cela ne favorise pas les divorces. Mais la loi évolue. »
Vous êtes toujours surpris ?
«Oui, toujours. Mais c’est compliqué à définir et je ne suis pas un acteur qui se surveille, je préfère lâcher prise. Là, avec ce film, c’était très riche : le Japon, une nouvelle langue…”
Il y a des scènes de grande émotion, où les trouve-t-on ?
« L’émotion est quelque chose que l’on porte en soi lorsqu’on est comédien, cela dépend de notre sensibilité et de l’espace qu’on lui laisse. C’est comme un muscle et je ne pense pas qu’il s’use. »
Quels sont vos projets ?
« J’ai fait un film de Pierre Schoeller avec Camille Cottin intitulé Rembrandt et dont la date de sortie n’a pas encore été fixée. Et puis aussi Le cas des esclaves furcy d’Abd El Malik inspiré de l’histoire vraie d’un esclave de l’île de la Réunion. Je n’ai même pas de date de sortie. Enfin, je pars prochainement en Thaïlande pour le prochain film de Safy Nebbou, Le fils de personne. L’histoire d’un père et d’un fils adoptif. »
« Une pièce manquante » – 1h38 – mercredi 13 novembre.