La Corse est-elle devenue notre nouvel Hollywood ?

La Corse est-elle devenue notre nouvel Hollywood ?
La Corse est-elle devenue notre nouvel Hollywood ?

Coïncidence – ou pas – du calendrier, diffusé cette semaine sur nos écrans Le Royaume par Julien Colonna, quelques semaines plus tard A son image par Thierry de Peretti, et quelques mois avant Le Mohican de Frédéric Farrucci, trois longs métrages de l’Île de Beauté. À l’écran, la Corse est rarement synonyme de vacances et dans ce nouveau film de voyous, qui n’a rien à envier aux grands films de gangsters, le réalisateur choisit avant tout de dresser le portrait d’une relation père-fille qui donne à voir les conséquences intimes de crime organisé par ceux qui en ont fait l’expérience.

“L’année dernière en Corse-du-Sud, c’était un peu Hollywood”nous a confié le réalisateur. Entre beauté et danger, pourquoi et comment l’île est-elle devenue un nouvel eldorado du cinéma ? Entretien avec Julien Colonna, tout juste arrivé de Corse.

Konbini | Borgo, À son image, Le Royaume et ainsi de suite Le Mohicantous ces films sur la mafia corse sortis récemment ont un point commun : ils sont vus par des yeux jeunes et féminins. Pour quoi ?

Julien Colonna | Pour les autres, je ne sais pas, mais j’ai choisi d’adopter ce point de vue parce que je savais que j’allais raconter une relation filiale, un sujet universel, dans un milieu déjà beaucoup abordé dans la salle de cinéma. Dans le genre des films de voyous, de grands chefs d’œuvre ont déjà été réalisés, c’est un terrain largement déblayé, donc avec Jeanne [Herry, la coscénariste du film, ndlr]nous avons voulu situer l’histoire ailleurs et choisir le prisme de cet enfant. Elle évolue dans un environnement opaque, sombre et masculin, il était donc plus logique, d’un point de vue dramaturgique, qu’elle soit une fille.

Nous n’aurions pas changé une seule virgule de dialogue s’il s’agissait d’un jeune garçon. Le personnage n’est pas genré, il aurait mouillé le lit de la même manière et aurait posé les mêmes questions à son père. Ce changement de prisme nous a permis d’avoir plus de surprises et une tension qui s’est placée ailleurs bien qu’elle soit restée un enfant sentinelle.

Avez-vous également souhaité briser l’imagerie viriliste de ce milieu corse ? Est-ce pour cela qu’on voit souvent ces bandits pleurer dans votre film ?

Ce milieu est viriliste mais nous avons choisi de positionner le film ailleurs, dans le regard d’un enfant, pour évoquer les conséquences de ces vies sur nos proches, sur ceux qui restent. Nous avons essayé de donner une réflexion plus réaliste à ces hommes pour ne pas les fantasmer, les sacraliser, les héroïser comme ils ont pu l’être auparavant au cinéma mais aussi dans les médias. Nous avons voulu les montrer dans quelque chose de plus fragile, comme des hommes qui vivent la vie d’animaux sauvages, qui alternent chasse et cachette, qui ont la peur ancrée dans leur corps mais qui apprennent à vivre avec. C’était important pour moi de les filmer dans cette fragilité et de les voir parfois remettre en question leurs choix.

Ces films montrent efficacement les conséquences de ces choix sur les familles et les proches. Est-ce un nouveau parti pris du cinéma corse ?

Oui, car jusqu’à présent, le récit corse a été principalement traité par des peuples continentaux mais actuellement, il y a une réappropriation de cette mythologie par nous, Corses, qui l’avons vécue de l’intérieur. Par exemple, ce que décrit Thierry de Peretti dans son film [À son image, ndlr] sont des choses que nous avons vraiment vécues étant enfants. Je me souviens avoir été réveillé par des nuits bleues et tout le monde connaissait des nationalistes, des voyous, de près ou de loin. Nous souhaitons désormais le montrer à travers nos yeux d’insulaires, de manière plus juste, moins fantasmée et donc plus intime.

Comment décririez-vous votre relation personnelle avec la Corse ?

C’est quelque chose d’ineffable, cela fait partie de mes racines et de mon ADN mais pour nous, les Corses, il y a peut-être un plus car c’est à la fois une terre paradisiaque mais aussi dramatique. . C’est un territoire complexe, les zones grises sont plus étendues et les notions de bien ou de mal sont plus vagues. Nous entretenons donc des relations à la fois intenses et complexes avec notre île même si il y a un amour inconditionnel.

Est-ce cette dualité, cette image à la fois de la beauté et du danger, qui offre à la Corse ce haut potentiel cinématographique ?

Bien sûr, parce que la dramaturgie ne repose que sur des contrastes, sur des courbes ascendantes ou descendantes. C’est aussi ce que nous avons tenté de retranscrire dans Le Royaumenous avons voulu faire un film très sensoriel où la Corse est l’un des personnages principaux. Nous filmons son côté paradisiaque avec les touristes qui vivent des semaines de légèreté et qui, malgré eux, entrent en contact avec l’autre côté de la Corse et ces vies tragiques et très sombres. Ce contraste est très intéressant car il construit une arène très forte.

La Corse fut aussi une terre envahie, conquise, nourrie de différentes cultures, le melting pot est arrivé ici bien avant les Etats-Unis. Nous sommes au carrefour de la Méditerranée et tous ces contrastes ont fait de nous des conteurs. Il y a tellement d’histoires qui se sont racontées de génération en génération qu’il y a aujourd’hui des conteurs exceptionnels – cette nouvelle génération de cinéastes que vous évoquiez tout à l’heure – sur cette île qui est une terre d’histoires.

Alors il y a vraiment une explosion du cinéma corse en ce moment ?

Oui, l’automne dernier, Thierry [de Peretti, ndlr]Frédérique [Farrucci, le réalisateur du Mohican, ndlr], Pierre [Leccia, le réalisateur de la série Plaine orientale, ndlr] et je tournais en même temps en Corse-du-Sud. C’est quand même très surprenant que trois réalisateurs et un réalisateur de séries originaires du sud de la Corse, tous aidés par la communauté corse, tournent en même temps sur l’île.

La région Corse œuvre depuis vingt ans pour soutenir les talents insulaires, c’est une volonté politique qui doit perdurer. Il y a eu une coupe budgétaire cette année et nous sommes montés au créneau avec mes collègues pour demander qu’on n’oublie pas de soutenir ce cinéma, sans lequel nous n’aurions pas pu faire briller la Corse, à Cannes pour les uns, à Venise pour d’autres. . Il y a donc à la fois des raisons historiques, à travers la réappropriation de ce récit, et des raisons politiques, grâce au soutien de la communauté. L’année dernière en Corse-du-Sud, c’était un peu Hollywood.

Où trouvez-vous les ressources humaines pour construire cette industrie avec vous ?

Il y a de plus en plus de techniciens en Corse mais visiblement pas assez pour accompagner trois films en même temps. C’était une situation exceptionnelle, je ne suis pas sûr que cela se reproduise un jour même si je le souhaite de tout mon cœur. Malheureusement, pour Le Royaumenous sommes arrivés un peu plus tard et même si j’étais un peu triste de ne pas travailler avec plus de Corses, ce manque de techniciens est un signal très positif pour le secteur.

Avez-vous suffisamment d’acteurs professionnels en Corse ?

J’ai principalement travaillé avec des comédiens non professionnels, dont les deux acteurs principaux. [Ghjuvanna Benedetti et Saveriu Santucci, ndlr] qui n’avait jamais mis les pieds sur un plateau de tournage auparavant. Moi, quand j’étais enfant, même si j’allais au cinéma, le cinéma n’était pas un métier, on est dans une région très rurale donc complètement déconnectée de tout ça. Aujourd’hui, les enfants voient les annonces de casting dans leur école donc je pense que la Corse, terre de cinéma, commence à entrer dans l’imaginaire collectif. Ensuite, il y a un cadre exceptionnel, avec une immense variété de paysages.

Où en est le projet de création d’un studio de cinéma en Corse ?

Cela fait vingt ans que j’entends parler de ce projet, mais je pense qu’un jour il se réalisera. Nous disposons déjà d’une magnifique salle de très grande qualité. Même à Paris, ce n’est pas aussi bien, où on a fait toute la post-synchronisation du Royaume. Coralie Fargeat a également réalisé le mix de Le fond. Mais il faut continuer à développer ces infrastructures.

Vous revenez d’un périple en Corse, comment la population perçoit-elle cette représentation de l’île ?

Le film a été très bien accueilli, notamment parce que nous avons choisi de ne pas utiliser une histoire vraie qui aurait endeuillé les familles, car on n’en sait que trop. Je pense que les Corses sont fiers que les réalisateurs insulaires montrent des histoires qui se déroulent ici et qui trouvent une résonance dans un univers plus vaste qu’ils n’auraient pu l’imaginer. Mon film a été acheté aux Etats-Unis et dans de nombreux autres pays et je crois que les Corses sont à la fois fiers et surpris.

Et que pensent-ils du fait que les histoires corses au cinéma sont encore pour la plupart douloureuses et violentes ?

C’est sûr que la Corse, ce n’est pas que du nationalisme et de la thuyacratie, il y a de la place pour autre chose et si les gens demandent d’autres histoires, ils ont tout à fait leur droit. Pour ma part, il est certain que je reviendrai en Corse pour raconter d’autres histoires que celles-là car je n’ai pas en réalité d’exemple de longs métrages corses qui ne parlent pas de banditisme.

Le drame naît des conflits et chez nous, les conflits sont armés, c’est donc la Source d’histoires la plus directe et la plus inépuisable. On pourrait en parler jusqu’à la nuit des temps. Les continentaux se sont également attaqués à ces histoires car c’est la première chose sur la table alors pourquoi regarder dans les tiroirs ? C’est tellement fort dramaturgiquement que nous avons été le plus directs possible. Mais avec le temps, les cinéastes risquent de se répéter, il va donc falloir changer d’histoire et je suis sûr que cela arrivera.

 
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