“Le poisson qui vit dans la mer ne sait pas que c’est la mer.” Cette citation est une introduction à un cours de philosophie. Qu’est-ce qu’elle dit? Le poisson n’a pas conscience de l’existence et de la nature du milieu dans lequel il vit, contrairement à l’homme qui est capable de prendre du recul par rapport à sa condition et au monde dans lequel il évolue.
Est-ce toujours aussi vrai pour l’homme ? Des générations de Français sont nées en paix en Europe. Mais quand on n’a pas connu la guerre, gardons-nous à l’esprit que cette chance risque de ne pas durer ? Les images fortes de cette semaine de commémoration de la Libération ont sans aucun doute sensibilisé les enfants et les parents. Quatre-vingts ans plus tard, ils ont rappelé le sacrifice de toute une génération pour la paix en Europe. Des dizaines de milliers de jeunes ont consacré leur vie aux valeurs de liberté dans un pays qu’ils n’avaient jamais vu. Ce n’était pas un film spectaculaire sur vos écrans mais la dure réalité de leur vie. La mémoire des hommes, parfois courte, ne peut l’enterrer. Nos actions d’aujourd’hui non plus, ou pire encore, nos passivités.
Un peuple qui oublie son passé est condamné à le revivre, disait Winston Churchill. Déjà en 2004, face aux risques de l’oubli, les vétérans des mouvements de Résistance et des forces combattantes de la France Libre jugeaient essentiel de rappeler les idéaux qui animaient leur action : la démocratie, la justice économique et sociale. Ils ont rappelé que si le nazisme était vaincu, «Cette menace n’a pas complètement disparu. »
La somnolence des consciences, la dilution de l’esprit de Résistance, quelques années plus tard, ont poussé l’un d’eux, Stéphane Hessel, à interpeller la société dans un livret intitulé Soyez indigné !. Il a invité les nouvelles générations à se réveiller. « La pire attitude est l’indifférence, en disant : « Je ne peux rien y faire ». En vous comportant ainsi, vous perdez l’une des composantes essentielles qui font de vous un être humain : la faculté d’indignation et l’engagement qui en est la conséquence. »
Depuis, les réseaux sociaux – exutoires de colère, de menaces et d’insultes – offrent à l’indignation une chambre d’écho incendiaire. Il a germé bien plus que son objectif : l’engagement. Quand la colère a-t-elle apporté la paix ? Ils ne font que rassembler les anti, annihilent l’action constructive et collective, encouragent l’inertie et mettent en danger la démocratie.
En 2024, la montée des totalitarismes et des extrémismes laisse entrevoir des années sombres. S’il y avait un appel à lancer, en juin 2024, c’est à l’engagement des générations d’aujourd’hui. Prendre la relève de ceux qui ont donné leur vie pour les idéaux de liberté, d’humanisme, de démocratie. Combattre « avec une France humaniste qui a su renaître de la Résistance face à une France réactionnaire », qui a fermé les yeux sur le fascisme, décrit avec beaucoup de lucidité par un sage de notre temps, Edgar Morin.
Place à l’engagement individuel et collectif. Il est à la portée de tous : une main tendue à un voisin ou à un inconnu, une action solidaire ou démocratique, une entrée dans une association, une communauté, un collectif… L’humanisme se gagne mètre par mètre, permet de regarder le monde avec d’autres lunettes. Avec une vertu : c’est contagieux. Après Soyez indigné !, Stéphane Hessel avait imprimé Engagez-vous !pour mieux inviter à l’action, celle qui nous appartient, « et ensemble, veillons à ce que notre société reste une société dont nous sommes fiers ». Les valeurs de demain nous appartiennent.
