Taxer davantage les énergies polluantes en Europe : pourquoi ça bloque

Taxer davantage les énergies polluantes en Europe : pourquoi ça bloque
Taxer davantage les énergies polluantes en Europe : pourquoi ça bloque

Si le rétablissement d’une taxe sur l’électricité a alourdi la facture des Français, le kérosène et certains carburants maritimes polluants continuent de bénéficier d’importantes réductions de taxes. Une politique incompatible avec les objectifs environnementaux, estiment de nombreux spécialistes. Mais cela est lié, entre autres, à une directive européenne sur la « fiscalité énergétique » (DTE).

Mis en œuvre en 2003, ce règlement ne serait pas conforme aux ambitions climatiques du Vieux Continent. A l’inverse, cela les ralentirait, en n’obligeant pas les États à taxer davantage le gaz et le pétrole que l’électricité bas carbone, et en prévoyant même des exonérations pour certains secteurs polluants.

Alors que la présidente de la Commission européenne qui arrive en fin de mandat, Ursula von der Leyen, avait inscrit la révision de ce système parmi les priorités de son « Green Deal », le sujet n’est toujours pas résolu. Afin de comprendre ce qui se passe et pourquoi les choses n’avancent pas, La galerie faire le point.

Que prévoit la directive ?

Le DTE a été mis en place en 2003 afin de fixer un montant minimum de taxation sur l’énergie, c’est-à-dire sur les carburants de transport, les fiouls de chauffage et l’électricité. L’idée était alors d’harmoniser la fiscalité de ces produits à travers l’Europe, alors que jusqu’à présent un taux minimum n’était imposé que sur le pétrole.

“Avant cette directive, un pays membre ne pouvait pas taxer son énergie et la vendre à un autre Etat qui la taxait, ce qui créait un risque de concurrence déloyale”, précise l’eurodéputé Christophe Grudler (Renew Europe et Mouvement démocratique), coordinateur adjoint de la commission des droits de l’homme. Industrie, Recherche et Energie.

Avec le DTE, toutes les énergies, carbonées ou non, ont donc été mises sur un pied d’égalité dans toute l’Union. Et pour cause : il ne s’agissait pas d’encourager l’utilisation des moins polluants d’entre eux en jouant sur le prix, mais d’éviter les distorsions sur le marché commun.

Pourquoi est-ce anachronique ?

Mais les nouvelles politiques climatiques européennes, qui visent à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030 par rapport à l’ère préindustrielle, rendent ce modèle obsolète, estiment de nombreux spécialistes. Pour définir le taux de taxation, l’impact écologique des produits n’a pas d’importance : seul le volume compte.

Autrement dit, avec ce système, consommer un kWh d’électricité d’origine nucléaire ou renouvelable, peu émettrice de CO2, n’a aucune raison d’être plus avantageux fiscalement que de brûler un kWh de gaz fossile. Pire : de nombreuses exonérations avaient été ajoutées à la directive au fil des années, sur les carburants aériens ou encore maritimes utilisés dans les bateaux de pêche ou de plaisance, mais même les yachts privés, exonérés de certaines taxes.

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Et ce n’est pas tout : les biocarburants sont désavantagés par une taxation basée sur le volume, exprimé au litre. En effet, un litre de biocarburant a généralement une teneur énergétique inférieure à son équivalent en essence ou en diesel.

Ces dernières années, la Cour des comptes européenne a alerté sur le problème : ce système est devenu « contre-productif » en matière d’objectifs environnementaux, a-t-elle souligné dans différents avis. Et appelé à la mettre en conformité, en mettant fin aux incitations fiscales en faveur de l’essence et du diesel notamment, afin de soutenir l’adoption de certains biocarburants, de l’hydrogène « vert » ou encore des carburants de synthèse.

La Commission européenne s’est donc engagée en 2021 à réformer ce texte, pour que les seuils minimaux de taxation sur les énergies bas carbone soient inférieurs à ceux appliqués aux vecteurs les plus polluants.

Que propose-t-on pour remédier à cela ?

Concrètement, » les carburants commenceront à être taxés en fonction de leur contenu énergétique et de leurs performances environnementales » plutôt qu’en fonction de leur volume, a proposé l’exécutif bruxellois.

Les produits énergétiques seraient ainsi classés de manière simplifiée, afin que les carburants les plus nocifs pour le climat soient les plus taxés. Le taux le plus bas s’appliquerait à l’électricité, aux biocarburants avancés, aux bioliquides, au biogaz et à l’hydrogène vert. La Commission a également demandé la suppression des avantages fiscaux accordés à certains secteurs susmentionnés.

La poussée populiste en Europe, une menace pour la transition écologique ?

Cela permettrait logiquement de réduire les prix de l’électricité bas carbone par exemple, alors que la France doit doubler sa production électrique d’ici 2050 pour tourner le dos au pétrole et au gaz fossiles, selon RTE.

Mais les discussions s’enlisent, même si une telle réforme nécessite l’unanimité des Vingt-Sept. ” En matière de fiscalité, il n’existe pas de compétence européenne directe. C’est pourquoi tout le monde doit être d’accord », constate Christophe Grudler. Cependant, chaque État avance des visions différentes, armé de son veto.

En France d’ailleurs, cette question alimente de vifs débats. En février, le gouvernement a décidé de porter la Taxe intérieure sur la consommation d’électricité (TICFE) à 21 euros par MWh, après l’avoir abaissée à 1 euro par MWh pendant la crise (soit le minimum autorisé au niveau européen). Surtout, les pouvoirs publics pourraient augmenter la TICFE à 32 euros par MWh en février 2025.

Pourquoi ça n’avance pas ?

Et ces blocages n’ont rien de surprenant. Car il s’agit d’un sujet socialement explosif : la suppression des exonérations ou réductions d’impôts accordées à certains secteurs entraîne une hausse des prix des produits concernés. Plusieurs États demandent donc, au minimum, des périodes de transition plus longues.

D’autant que la suppression de ces avantages se conjuguerait avec une autre réforme significative attendue au niveau européen : celle du marché d’attribution des droits à polluer, dit ETS2, dont la mise en œuvre progressive est prévue à partir de 2027. Aujourd’hui, ce système de tarification du CO2 ne préoccupe les constructeurs : pour les inciter à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, ils doivent acheter depuis 2005 des « permis de polluer », dont le nombre diminue chaque année.

Seulement voilà : avec la nouvelle réforme, les ménages devront aussi « faire leur part », puisqu’un prix du CO2 s’appliquera également à partir de 2027 au carburant routier et au chauffage des bâtiments. Et contrairement à une taxe carbone classique, dont l’évolution est fixée par la loi, le prix de ce « droit à polluer » serait déterminé par l’offre et la demande, donc fluctuant et imprévisible.

Si l’on ajoute à cela la révision de la fiscalité énergétique, cela risque d’être une double pénalité pour les secteurs concernés et pour certains consommateurs. C’est pour cela que les négociations sont longues : il faut micro-mailler pour s’assurer de ne pas porter un coup fatal », affirme Christophe Grudler.

Dans ces conditions, chacun lutte pour ses propres intérêts. Encore très dépendante du charbon pour produire son électricité, la Pologne fait résistance, tout comme une bonne partie de l’Europe centrale et orientale.

Sur un autre sujet, la Grèce, Chypre et Malte rejettent la suppression des exemptions sur le transport maritime, car ce sont d’importants ports industriels. Tandis que l’Espagne et le Portugal montent au front pour préserver l’avantage fiscal sur le carburant des bateaux de pêche, principalement le diesel.

Sans surprise, les exemptions accordées au kérosène dans l’aviation font également débat parmi les Vingt-Sept, tant ce secteur est économiquement stratégique pour plusieurs pays.

Qu’est-ce qui va se passer ?

Résultat : le vote des députés européens est constamment reporté. Initialement prévue le 9 avril, celle-ci a été reportée au 18 avril… avant d’être à nouveau reportée. Comme prévu, cela n’aura pas lieu avant les élections européennes, prévues du 6 au 9 juin. »Avant d’y repenser, il faudra donc attendre l’élection des futurs députés européens. Le sujet sera traité au mieux à partir de septembre ou octobre, et ne sera pas validé avant 2025», estime Christophe Grudler.

Réforme du marché européen du carbone : une bombe sociale à retardement ?

Une fois le texte ratifié par le Parlement européen, le dossier ne sera en effet toujours pas clos : le Conseil, qui réunit les dirigeants des États membres, devra alors finaliser le texte, qui promet d’aboutir encore à de nombreux débats. Spécialement depuis La Hongrie (dirigée par Viktor Orbán, réticent à réviser le texte) succédera à la Belgique à la présidence du Conseil en juillet.

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