(Barsana) Des vaches sacrées. Vénérés en Inde comme l’incarnation des divinités hindoues et le symbole de la mère nourricière, ils sont promus comme agents de la transition énergétique par le gouvernement, déterminé à accroître la production de biogaz.
Philippe ALFROY
Agence France-Presse
C’est peu dire que Nakul Kumar Sardana est fier de son tout nouvel établissement à Barsana.
D’abord parce qu’il occupe « l’un des lieux les plus sacrés du monde », clame le vice-président de la branche des groupes indien Adani et français TotalEnergies qui l’a construit.
A quatre heures de route au sud de New Delhi, au milieu de champs hérissés de cheminées de fours artisanaux, les pèlerins affluent à Barsana pour honorer la déesse hindoue Radha.
Mais surtout, M. Sardana est fier, car son usine de méthanisation est « la plus grande et la plus avancée technologiquement du pays ».
Son site n’a pas été choisi au hasard, mais au plus près de sa matière première.
« Il y a un million de vaches dans la région […] leurs excréments sont utilisés (comme combustible) pour la cuisine depuis des siècles », se souvient Nakul Kumar Sardana.
« Ici, nous trouvons également des résidus de la culture du riz. Traditionnellement, les agriculteurs les brûlent, provoquant de la fumée et de la pollution », poursuit-il. « Avec ces déchets naturels, nous produisons du biogaz et des engrais de la plus haute qualité. »
Objectif biogaz
Depuis mars, un flux de tracteurs remplit l’usine de camions bennes de fumier et de paille, rejetant chaque jour 10 tonnes de gaz, transformé en carburant pour véhicules ou injecté dans le réseau urbain, et 92 tonnes d’engrais 100 % « verts ». .
Assoiffée de gigawatts pour alimenter sa croissance économique, l’Inde a misé sur le biogaz, une énergie renouvelable, pour accélérer ses objectifs de neutralité carbone – promis pour 2070 – et d’indépendance énergétique.
Le programme lancé en 2018 est ambitieux : construire 5 000 usines de biogaz en six ans.
Malgré des subventions généreuses et la garantie d’acquisition de l’État, le projet suscite peu d’intérêt. Jusqu’à ce que le gouvernement impose, à partir d’avril 2025, la présence d’au moins 1 % de biogaz dans les mélanges destinés aux carburants automobiles et aux usages domestiques.
Cette caution a convaincu de grands acteurs du secteur, comme les multimilliardaires Mukesh Ambani et Gautam Adani, connus pour être proches du Premier ministre Narendra Modi et de ses juteux marchés publics.
Le groupe du premier, Reliance Industries, souhaite construire 55 usines d’ici 2026.
“Opportunité”
“Cela augmentera les revenus de nos agriculteurs en faisant de ces producteurs alimentaires des producteurs d’énergie”, a récemment déclaré Mukesh Ambani, et “créera 30 000 emplois”.
Son rival Adani veut investir environ 200 millions de dollars (186 millions d’euros) dans le secteur au cours des trois à cinq prochaines années.
« Le gouvernement veut transformer les déchets en richesse pour le pays, c’est une bonne nouvelle », s’enthousiasme Suresh Manglani, patron d’Adani Total Gas Ltd. « Nous sommes impatients de saisir les nombreuses opportunités qui s’offrent à nous. »
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) confirme ces perspectives attractives et fait de la Chine et de l’Inde les fers de lance du marché mondial des bioénergies, considérées comme des solutions au réchauffement climatique.
En Inde, celle-ci devrait augmenter de 88 % d’ici 2030, prédit un récent rapport.
Mais la contribution du biogaz à l’effort entrepris par le pays le plus peuplé de la planète pour la transition énergétique devrait rester anecdotique.
Pour réduire sa dépendance au charbon – près de 70 % de son électricité – le troisième pollueur de la planète souhaite augmenter la part du gaz de 6 à 15 % de son mix énergétique d’ici 2030.
Mais la plupart proviendront d’importations de gaz naturel liquéfié (GNL) peu écologiques. Adani et TotalEnergies viennent d’inaugurer un terminal portuaire géant à Dharma pour les accueillir.
« Un créneau »
La combustion du gaz pour produire de l’électricité ou de la chaleur rejette des émissions dans l’atmosphère et contribue au réchauffement climatique, mais dans une moindre mesure que le charbon et le pétrole.
TotalEnergies ne le cache pas, son intérêt pour le biogaz indien relève davantage d’une responsabilité environnementale et d’une preuve d’amitié que d’une opportunité commerciale.
“Le biogaz va au-delà des chiffres et des business plans”, constate Sangkaran Ratnam, patron du groupe français en Inde, “il a un impact énorme sur les communautés rurales en termes d’emploi, d’environnement, de revenus alternatifs”.
“C’est certes un secteur intéressant”, ajoute-t-il, “mais un petit secteur”.
« Le biogaz est une niche sur l’ensemble du marché », confirme Tejpreet Chopra, directeur de la société Bharat Light and Power, spécialisée dans les énergies renouvelables.
« Le potentiel est énorme, l’impact sur l’environnement important […]mais le secteur est freiné par des problèmes d’approvisionnement (en matières premières)», explique-t-il, «il est difficile de signer un contrat de vingt ans avec un agriculteur».
Par ailleurs, les investissements sont lourds : l’usine de Barsana a coûté 25 millions de dollars. Et le prix du biogaz reste peu compétitif : 14 dollars le mètre cube contre 6 pour le GNL, même transporté de très loin par voie maritime.
Mais Nakul Kumar Sardana reste convaincu de l’importance du biogaz. « Nous ne gaspillons plus d’énergie », affirme-t-il, « nous créons des emplois et contribuons à un meilleur environnement ».