Alors que vient de s’achever la COP 29 sur le réchauffement climatique, en France un constat s’impose : les ressources en eau deviennent de plus en plus sensibles. L’eau en bouteille y représente un marché considérable. Un Français boit en moyenne 118 litres d’eau en bouteille chaque année ; le montant des ventes s’élève à douze milliards d’euros – dont un tiers revient à la multinationale suisse Nestlé.
Cependant, tout n’est pas clair : plusieurs fabricants filtrent indûment, en prélèvent parfois trop tout en polluant la ressource. Au cours de l’année 2024, plusieurs défaillances graves ont été révélées.
En janvier, une enquête Le Monde-Radio France révèle une fraude de la société Nestlé Waters (propriétaire des marques Perrier, Vittel, Hépar, Contrex) sur les filtrations interdites. Les deux médias s’appuyaient sur une enquête de répression menée par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Une tromperie évidente de la part de certains constructeurs
Toutefois, pour que l’eau soit labellisée minérale, elle ne doit pas subir de traitements mécaniques comme la microfiltration membranaire (qui est autorisée pour l’eau du robinet). Et quand on sait qu’un litre d’eau minérale vaut cent fois plus qu’un litre d’eau du robinet…
5,5 %
L’eau en bouteille bénéficie d’une TVA réduite à 5,5%. Cela pourrait changer, selon le rapport de l’Inspection générale des finances de septembre 2024 qui préconise de le relever. Les plus gros consommateurs d’eau en bouteille en France sont les ménages les plus aisés.
Il s’agit d’une tromperie du consommateur, sans répercussion sur la santé humaine. Mais il y a aussi un mauvaise collaboration entre et au sein des autorités compétentes, tant au niveau central que local », conclut sévèrement un rapport d’audit de la Commission européenne, en juin 2024, sur les services de contrôle français.
Filtration « malavisée »
Dès 2020, des traitements non conformes ont été signalés chez Cristalline par un collaborateur lanceur d’alerte. Les investigations de la DGCCRF, en 2021, établissent alors la microfiltration » égaré » avec adsorption sur charbon actif et traitement ultraviolet, strictement interdits.
Le groupe Alma (Courmayeur, Vichy Célestins, Saint-Yorre) fait, de son côté, l’objet d’une plainte de plusieurs associations environnementales en 2020 pour forages illégaux et prélèvements sans autorisation.
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La France est le premier exportateur d’eaux minérales naturelles.
L’association Foodwatch a de son côté porté plainte, en février 2024, pour contamination par de nombreux polluants issus de la Source Vittel – déclenchant l’ouverture d’une enquête par le parquet d’Epinal (Vosges). Elle s’est conclue, en juin 2024, par le paiement de dommages et intérêts d’un montant de deux millions d’euros.
Le 31 octobre Mediapart publie également des informations – basées sur un rapport interne de Nestlé – révélant la présence d’arsenic dans les eaux de Vittel.
Pannes voire défaillances des services de l’État
Lancé en urgence au printemps et dirigé par l’élue Antoinette Guhl, le rapport d’enquête flash du Sénat constate, en octobre 2024, la vulnérabilité des aquifères français au changement climatique et la pression qui affecte leur qualité et leur renouvellement. Il suggère « rendre publiques les quantités d’eau prélevées par les exploitants “, mais aussi ” mettre à jour le plan d’action sur les micropolluants en incluant les eaux conditionnées afin d’avoir une information complète sur leur niveau de pollution ».
Contrôles inopinés en réponse
Cette enquête sénatoriale – mettant en lumière des défaillances voire des carences des services de l’État – recommande enfin des contrôles inopinés auprès des constructeurs pour lutter contre la fraude. Nestlé Waters a été pointée du doigt pour sa réticence à aider les enquêteurs.
Au point que le nouveau directeur général du groupe, Laurent Freixe, vient d’annoncer, mardi 19 novembre, une possible cession de son segment boissons pour 2025. A l’acheteur potentiel de redorer le blason des célèbres labels. .
Chlorothalonil à Prahecq
À la mi-février 2024, le NR avait révélé que la nappe phréatique située à une centaine de mètres sous terre dans les Deux-Sèvres – exploitée pour la marque d’eau de Source Fiée des Lois, mise en bouteille à Prahecq par une usine Intermarché – était contaminée par un résidu de pesticide fongicide.
Il s’agit du métabolite R471811, issu de la dégradation du chlorothalonil, bien que son utilisation soit interdite depuis 2020. Ce produit est classé « cancérogène probable ». Il a également été détecté dans l’eau du robinet dans la Vienne, les Deux-Sèvres et la Charente-Maritime. Jusqu’à présent, ce polluant majeur ne faisait pas partie des molécules toxiques recherchées dans les analyses.
Depuis, sur avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’agence régionale de santé a estimé en juin 2024 que « la limite de qualité » fixée à 0,1 microgramme par litre (µg/l) pourrait être portée à 0,9 µg/l. La production à l’usine de Prahecq a pu reprendre en juin.
Un comité bientôt en place
Intermarché nous a répondu par écrit sur demande. ” Afin de se prémunir contre tout risque de nouvelle contamination, la Fiée des Lois et le Syndicat pour l’étude et la réalisation de travaux d’amélioration de l’alimentation en eau potable dans le Sud-Deux-Sèvres (SERTAD) envisagent d’instituer un comité d’experts dont l’objectif sera identifier et évaluer les risques émergents de contamination de l’eau fournie par le SERTAD, étudier les analyses d’eau réalisées afin de détecter d’éventuels polluants, et mettre en œuvre les actions possibles et nécessaires pour garantir la conformité de l’eau de Source. » Ce comité se réunirait au moins une fois par an.