Israël vient d’interdire à l’UNRWA d’opérer dans les territoires palestiniens occupés, l’accusant d’avoir été massivement infiltré par le Hamas. Pourtant, l’agence onusienne fournit de nombreux services essentiels aux habitants de Cisjordanie et surtout de Gaza : l’arrêt de ses activités va considérablement aggraver leur situation déjà désastreuse.
Le 4 novembre 2024, Israël a officiellement informé l’ONU de son intention de rompre ses liens avec l’UNRWA, l’agence onusienne chargée des réfugiés palestiniens au Moyen-Orient. Une décision renforcée le lendemain par la victoire à l’élection présidentielle américaine de Donald Trump, soutien constant de Benjamin Netanyahu et virulent détracteur de l’agence onusienne.
Il s’agit de la première étape dans l’application de deux lois controversées votées le 28 octobre par la Knesset – le Parlement israélien – interdisant les activités de l’UNRWA à Jérusalem-Est, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Trois territoires où Israël, en tant que puissance occupante, est néanmoins tenu de garantir l’accès à l’aide humanitaire en vertu des Conventions de Genève de 1949.
La première loi interdit les actions menées par l’agence sur les territoires israéliens, y compris Jérusalem-Est qui a été annexée en violation du droit international. Tandis que le deuxième texte rend illégal tout contact entre les autorités de l’État israélien et l’agence, ce qui empêcherait toute coordination entre l’UNRWA et l’administration militaire israélienne qui contrôle les territoires occupés.
La fin des opérations de l’agence onusienne, très active à Gaza, notamment en termes de vaccination contre la poliomyélite (polio) et de coordination de l’aide arrivant au compte-goutte, aurait des conséquences dramatiques. Surtout dans cette enclave assiégée où la situation sanitaire et humanitaire, après 13 mois de conflit, est qualifiée de « catastrophique » par l’Organisation mondiale de la santé. Rappelons que dès janvier 2024, une ordonnance de la Cour internationale de Justice (CIJ) évoquait à ce propos le « risque de génocide ».
Le désir de démanteler l’UNRWA n’est pas nouveau. La décision du 28 octobre marque l’aboutissement d’un processus lancé par Tel-Aviv il y a des années pour se débarrasser de cette agence qui, en 75 ans d’existence, n’a cessé de rappeler à Israël ses responsabilités dans la création du problème des réfugiés ainsi que dans ses violations. du droit international lié à sa politique expansionniste.
Interventions humanitaires essentielles et rôle politique
L’UNRWA a été créé en 1949 pour fournir une aide d’urgence à près de 800 000 réfugiés palestiniens. Son mandat initial vise à améliorer leurs conditions de vie, jusqu’à un règlement juste de leur situation, fondé sur la résolution 194 (III) du 11 décembre 1948 qui consacre leur droit au retour et à une indemnisation. Soumis à un renouvellement de trois ans, ce mandat s’est pérennisé faute de résolution du problème.
Dans ses cinq zones d’intervention (Jordanie, Liban, Syrie, Gaza et Cisjordanie), l’UNRWA est devenu, pour quelque 6 millions de personnes, un fournisseur majeur de services essentiels (éducation, santé, logement). Elle entretient les infrastructures de 58 camps où elle gère 706 écoles accueillant un demi-million d’élèves, 140 dispensaires médicaux de base et 113 centres communautaires, et soutient également 475 projets de microfinance.
L’UNRWA est également, après les services publics des pays d’accueil, le premier employeur de la région avec près de 30 000 salariés, en majorité palestiniens. Elle possède également des millions de documents d’archives (à Gaza et Amman) qui constituent une Source historique exceptionnelle, notamment sur la question des réfugiés.
Si au moment de sa création, l’action de l’agence avait été conçue comme neutre et apolitique, elle s’est inévitablement politisée.
Trouver une solution politique pour mettre fin au conflit israélo-palestinien relevait de la responsabilité de la Commission de conciliation des Nations Unies pour la Palestine (UNCCP), qui a achevé ses travaux à la fin des années 1950. Depuis lors, l’UNRWA est devenu le seul organisme de l’ONU à fournir aux Palestiniens des services quasi étatiques, mais il ne leur accorde pas de protection politique internationale. En effet, les Palestiniens sont exclus du système de protection instauré par la Convention de Genève relative au statut des réfugiés de 1951.
Le caractère politique de l’UNRWA tient au fait qu’il matérialise la responsabilité de la communauté internationale envers les réfugiés palestiniens, qui la considèrent comme le garant de leur droit au retour. Théoriquement, son mandat aurait pu se terminer par une résolution politique, telle que celle attendue des accords d’Oslo de 1993.
Après l’échec du processus d’Oslo, un retour au droit international ?
Durant la période de négociations ouverte par la Déclaration de principes sur les arrangements intérimaires d’autonomie (Oslo I), plusieurs questions épineuses – dont celle des réfugiés palestiniens – ont été reportées à la phase dite du « statut final », apparemment pour éviter tout compromis. toutes les discussions.
Pour les Palestiniens, l’horizon d’attente ouvert par cette question ne concernait pas seulement le retour des réfugiés, mais aussi la création d’un État palestinien aux côtés d’un État israélien dans les frontières de 1967. Après la création d’un tel État, l’État palestinien L’Autorité palestinienne (AP) aurait repris les responsabilités de l’UNRWA dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Un plan de transfert de services a ainsi été prévu par le « Programme de mise en œuvre de la paix » afin d’améliorer les conditions de vie dans les camps de réfugiés et d’assurer le développement économique des territoires palestiniens.
Cependant, l’échec du processus d’Oslo (résultant en grande partie de la poursuite de la colonisation illégale des territoires palestiniens par Israël) se traduit par le retour de la prééminence du cadre juridique établi par les résolutions de l’ONU, comme l’a récemment rappelé la Cour internationale de Justice (CIJ). dans l’une de ses décisions.
Selon cette dernière, le droit international prime sur les négociations dont celles d’Oslo, et l’occupation israélienne des territoires occupés en 1967, déclarée illégale, doit prendre fin dans les 12 mois suivant la résolution du 18 septembre 2024 de l’Assemblée générale des Nations Unies. Nations.
L’UNRWA constitue donc, par sa simple existence et son action constante, un rappel permanent du droit international auquel Israël doit se conformer. Son élimination permettrait donc à Tel-Aviv de mettre en échec le problème du droit au retour des réfugiés, absolument tabou du côté israélien.
Toutefois, les conséquences socio-économiques et politiques qui résulteraient de la disparition de l’agence onusienne sont particulièrement préoccupantes.
Quelles sont les perspectives post-UNRWA ?
Suite à l’occupation des territoires palestiniens en 1967, Israël a demandé à l’UNRWA de poursuivre ses services qu’il s’est engagé à faciliter conformément à un échange de lettres daté du 14 juin 1967.
Les relations entre Israël et l’agence se dégradent ensuite à partir des années 1970. Tel Aviv a accusé l’UNRWA de participer à la radicalisation idéologique des Palestiniens à travers ses écoles et d’être une arène d’action pour les acteurs du Mouvement national palestinien.
Les tensions se sont aggravées après les attaques du Hamas du 7 octobre 2023, après lesquelles 19 des 13 000 employés de l’UNRWA à Gaza ont été accusés par Israël d’avoir participé aux attaques. En réaction et sans attendre un [enquête] est lancée, les États-Unis et plusieurs pays de l’Union européenne, dont l’Allemagne, la France et l’Italie, ont suspendu le versement de leurs financements à l’agence en janvier 2024. Après une enquête de l’ancienne ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna, seuls les États-Unis et La Suisse a continué à geler les fonds.
Au cours des 13 derniers mois, les bureaux de l’UNRWA à Gaza ont été visés par des frappes israéliennes, au détriment du droit international humanitaire : 190 écoles, centres de santé et de distribution ont été bombardés, et 563 personnes déplacées ont également été hébergées dans ses écoles. que 226 employés de l’agence ont été tués.
Les camps de réfugiés de la bande de Gaza et de Cisjordanie ont été la cible de multiples attaques. En mai dernier, le siège de l’UNRWA à Jérusalem-Est a été contraint de fermer ses portes après une tentative d’incendie. En octobre, des terres situées dans le quartier de Sheikh Jarrah, où se trouve le siège social, ont été confisquées, dans le cadre de l’expansion d’une colonie israélienne.
Dans la continuité de ces attaques, les dernières lois adoptées par la Knesset pour interdire les actions de l’UNRWA violent le droit international, sans offrir d’alternative pour aider les réfugiés palestiniens. Israël affirme simplement qu’il espère que d’autres agences des Nations Unies et organisations internationales « non politisées et plus efficaces » prendront le relais.
Tel-Aviv recommande également l’intervention d’organisations privées, non conformes aux principes de neutralité et d’indépendance, dans le cadre de « bulles humanitaires » gérées par des entreprises privées ou de « gated community » qui s’apparentent en réalité à des camps d’internement. .
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L’interdiction imposée par Israël à l’UNRWA poursuit une politique de politisation de l’aide aux réfugiés palestiniens – et met des millions de vies en danger
Ces derniers mois, les discours de nombreux gouvernements occidentaux sur les réfugiés palestiniens n’ont fait que renforcer l’attribution exclusivement humanitaire des problèmes politiques qui caractérisent leur situation.
Alors que la « crise humanitaire » est devenue une expression consensuelle pour décrire la situation catastrophique qui frappe la bande de Gaza, les deux lois votées par la Knesset visent à éradiquer le principal acteur capable de prendre en charge la réponse humanitaire.
Après la marginalisation de la question politique des droits des réfugiés palestiniens, on assiste donc à une dégradation programmée de leurs conditions de vie avec le risque, à terme, d’anéantir leur existence même.