Depuis lundi, le gouvernement français plaide auprès de Bruxelles pour qu’il assoupisse sur l’un des éléments emblématiques du Green Deal européen : les objectifs de réduction des émissions de CO.2 du secteur automobile. Le ministre de l’Économie Antoine Armand et son homologue de l’Industrie Marc Ferracci demandent à la Commission européenne de ne pas appliquer les amendes prévues aux constructeurs qui ne seraient pas en bonne voie en 2025. Le règlement européen dit CAFE (Corporate Average Fuel Economy) impose une réduction de les émissions des voitures neuves de 15 % l’année prochaine par rapport au niveau de 2021. Puis, ce texte voté en 2019 fixe de nouveaux paliers, de plus en plus ambitieux pour chaque année à venir, jusqu’à la fameuse interdiction de vente des modèles essence en 2035.
La France l’assure : elle ne souhaite pas briser cette trajectoire, mais Paris souhaiterait exceptionnellement en 2025, que l’UE fasse preuve de clémence envers les mauvais élèves. Selon le règlement, ces derniers devraient autrement payer des amendes par gramme de CO2 excédentaire, parfois plusieurs centaines de millions d’euros.
“Il était temps d’anticiper”
En réalité, le gouvernement cède principalement à la pression de Renault, dont le patron, Luca de Meo, réclame un tel sursis depuis le milieu de l’été. Le groupe affirme que les constructeurs du Vieux Continent devront verser, au total, 15 milliards d’euros à l’Europe. Un chiffre toutefois contredit par d’autres estimations : HSBC estime la note à environ 5,1 milliards d’euros, et à plusieurs centaines de millions pour la seule enseigne française. Renault laisse également entendre que tous les groupes européens sont dans le même sac. Cependant, par exemple côté français, Stellantis, qui s’est bien préparé à l’objectif fixé par Bruxelles, souhaite maintenir les règles.
« Presque tous les constructeurs sont prêts pour 2025, que ce soit Peugeot, BMW, Citroën, Mercedes, Fiat, Opel, DS… Et cette échéance est connue depuis six ans, on a eu le temps d’anticiper, souligne Aurélien Bigo, chercheur associé à l’Energie. et chaise Prospérité. En fait, seules Renault et Volkswagen seraient en difficulté. »
Avec le soutien probable de Berlin, qui défend Volkswagen, la France gagnera-t-elle sa cause à Bruxelles ? Lundi, un porte-parole de la Commission européenne a jugé la demande française « prématurée ». Par définition, on ne connaît pas encore les chiffres de ventes pour 2025 et d’éventuelles amendes ne doivent être imposées par l’exécutif de l’Union européenne qu’en 2026.
Une menace pour l’électricité ?
Parmi les défenseurs du pacte vert, on craint que l’initiative française conduise à rouvrir la loi dans son ensemble et à remettre en cause l’objectif 2035. C’est notamment une demande de l’Italie et de la droite allemande, qui devrait revenir au pouvoir dans moins d’un an.
“Je ne sais pas si Renault comprend la boîte de Pandore qu’on est en train d’ouvrir”, prévient l’eurodéputé Place Publique Thomas Pellerin-Carlin. Au Parlement européen, il existe une majorité mathématique entre la droite et l’extrême droite, ce qui pourrait menacer l’objectif général d’un virage vers l’électricité dans l’industrie automobile. »
Mais selon l’eurodéputé macroniste Pascal Canfin, l’offensive française ne menace en rien l’objectif 2035, « une étape essentielle » ; D’autant qu’aux yeux de cet ancien directeur général du WWF France, qui fut l’un des grands artisans du Green Deal, les revendications de la France ne passent pas forcément par une réouverture de la réglementation CAFE : « Il s’agit simplement d’être intelligent dans la mise en œuvre. pour 2025, en veillant à ne pas pénaliser les constructeurs qui investissent dans l’électrique, car objectivement, on ne peut pas dire que Renault ne joue pas le jeu. »
L’option de transition en douceur
Et concrètement ? “On pourrait imaginer qu’au lieu de compléter le budget européen comme c’est actuellement prévu, les sommes versées par les constructeurs iraient dans un fonds visant à accélérer la décarbonation du secteur automobile”, estime l’eurodéputé. Ou encore, on pourrait prendre comme indicateur les commandes de véhicules neufs passées en 2025 plutôt que les immatriculations, afin de donner trois ou quatre mois de flexibilité aux constructeurs. » Le gouvernement n’a pas évoqué ce type d’évolution : Paris semble surtout vouloir lever d’éventuelles sanctions l’année prochaine.
Pascal Canfin et Thomas Pellerin-Carlin sont d’accord sur au moins un point : la transition vers les voitures électriques en Europe se heurte à un problème de demande et non plus d’offre. Chacun de ces deux parlementaires recommande donc en « priorité » de se concentrer sur les mesures destinées à stimuler la consommation de ces modèles, comme le leasing social.