Le jour où tout peut arriver

Le jour où tout peut arriver
Le jour où tout peut arriver

C’est peu probable. Mais ce n’est pas totalement impossible.

Cela signifierait que les sondages des dernières semaines – disons même des derniers mois – auraient été erronés. Les sondeurs nous donnent Donald Trump et Kamala Harris à égalité au niveau national et presque au coude à coude dans les fameux États clés, ceux qui seront à surveiller mardi soir lors du dépouillement des bulletins de vote.

Car il ne faut pas s’y tromper : ce n’est pas dans le Wyoming ou le Connecticut que se jouera l’élection présidentielle. On nous dit depuis des semaines qu’elle se jouera essentiellement dans sept États : Pennsylvanie, Michigan, Wisconsin, Caroline du Nord, Géorgie, Arizona et Nevada. Dans tous ces États, il existe des marges d’erreur et personne ne peut prédire qui les remportera.

Sans entrer dans les détails du collège électoral qui confirmera la victoire de Kamala Harris ou de Donald Trump, disons simplement que chaque État dispose d’un certain nombre d’électeurs, essentiellement en fonction de leur poids démographique. La Pennsylvanie, avec ses 19 grands électeurs, apparaît comme une clé qui pourrait ouvrir les portes de la Maison Blanche à l’un ou l’autre des aspirants.

Il est donc impossible de se limiter aux sondages dans ces États clés, car ils sont eux-mêmes encore plus serrés que ceux du pays dans son ensemble. Parfois Trump est en avance d’un point ou deux, parfois c’est Harris.

Mais se pourrait-il que les sondages soient sur le terrain et sous-estiment le vote réel pour l’un ou l’autre candidat, aboutissant ainsi à une nette victoire ?

«Ce n’est pas impossible», explique Francis Langlois, professeur d’histoire au Cégep de Trois-Rivières et chercheur associé à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand (UQAM).

«On a souvent dit que le vote de Trump était sous-évalué, mais il est possible qu’un revirement se produise. Nous avons assisté ces derniers jours à un changement de tendance et le comportement erratique de Donald Trump n’a certainement pas aidé.»

— Francis Langlois, chercheur associé à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand

Et puis il y a ce sondage dont tout le monde parle depuis le week-end, dans l’Iowa. Jusqu’à ce sondage, mené par un cabinet dirigé par l’un des sondeurs les plus crédibles, tout le monde n’osait pas placer l’Iowa – avec seulement six électeurs – sur un champ de bataille âprement disputé. Trump bénéficiait d’une avance de sept ou huit points de pourcentage dans les intentions de vote.

Mais l’enquête Selzer & Co. menée pour le Des Moines Registerdonne à Kamala Harris une avance de trois points. C’est choquant. C’est surprenant. Nous recherchons les causes de cette surprise. Le vote des femmes ? Le vote des ménages blancs de classe moyenne ? Le vote rationnel des électeurs indépendants ?

Les experts s’accordent à dire, compte tenu de la fiabilité quasi légendaire des sondages d’Ann Selzer, que ce sondage pourrait laisser présager de meilleurs résultats pour la candidate démocrate dans les États du Midwest et de l’Est. Ceinture rouille.

La surprise n’est donc pas impossible. Mais le problème, c’est que cela peut aller dans un sens ou dans l’autre. Le vote pro-Trump est peut-être sous-estimé ; il exprime sa colère et sa désillusion à l’égard des politiciens dits traditionnels et des institutions en général.

Francis Langlois est membre de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire de recherche Raoul-Dandurand et professeur au Cégep de Trois-Rivières. (STÉPHANE LESSARD/STÉPHANE LESSARD)

«Cette frustration au sein de la population n’est pas sans rappeler celle qu’on observait aussi à la fin des années 1920», explique Francis Langlois. Les électeurs en colère voulaient quelque chose de radicalement différent, et ils le recherchaient aux extrêmes du spectre politique.

Alors s’il y a encore aujourd’hui, chez nos voisins du sud, des électeurs frustrés, en colère, déçus, désenchantés ou désillusionnés, cela ne veut pas dire qu’ils trouveront tous refuge dans l’extrême que propose et incarne Donald Trump. .

« C’est surréaliste, ce qu’il incarne. Je ne connais pas un seul moment dans l’histoire américaine où un candidat à la présidentielle ait clairement indiqué qu’il allait être un dictateur pendant quelques jours, a laissé entendre qu’il s’en prendrait à certains de ses opposants, a indiqué que ce ne serait pas le cas. Ce serait grave si des journalistes se faisaient tirer dessus, disaient des émeutes de Charlottesville qu’il y avait des gens bien des deux côtés, tentaient de déclencher un coup d’État… Je pourrais continuer encore longtemps », remarque Francis Langlois.

Ce qui risque de faire la différence mardi soir, c’est le vote des électeurs indépendants, celui des républicains soft ou anti-Trump, et plus encore celui des femmes. Si la question de l’avortement se matérialise sous la forme d’une question dans les urnes comme ce fut le cas lors des élections de mi-mandat en 2022, Trump pourrait bien se trouver dans une position pire que ne le suggèrent les sondages.

Francis Langlois souligne qu’on ne connaît pas le pourcentage d’électeurs indépendants qui pencheront pour Kamala Harris. Nous ne savons pas non plus quelle proportion de républicains qui ne veulent pas voir Trump comme président se pencheront réellement du côté démocrate et se boucheront le nez.

« Il faut savoir qu’on associe toujours les démocrates à la gauche, mais je dis souvent que Kamala Harris est aussi de gauche que peut l’être François Legault. Économiquement, elle est plus à droite que de nombreux élus démocrates au Sénat ou à la Chambre des représentants», note le chercheur. Cela pourrait plaire à certains républicains qui ne sont pas des partisans inconditionnels de Donald Trump.

Aussi, il sera intéressant de voir comment les équipes des deux protagonistes parviendront à faire sortir le vote. Sur le terrain, la mobilisation des démocrates semble plus organisée, plus enthousiaste.

Et il y a la question de l’argent. Entre janvier 2023 et le 16 octobre, le comité de campagne de Joe Biden, puis de Kamala Harris, a récolté plus de 990 millions de dollars, tandis que la campagne de Donald Trump a récolté au total 388 millions de dollars. Ce n’est pas anodin quand vient notamment le temps d’acheter du temps d’antenne pour des publicités coûteuses dans les Etats où tout sera en jeu.

« Il ne faut pas oublier que Trump a externalisé son financement. Il a peut-être moins de volontaires, mais plus de mercenaires», illustre Francis Langlois, faisant évidemment référence à Elon Musk et à d’autres grands donateurs du même acabit.

Et supposons enfin que le cauchemar qu’on nous prédit depuis des mois se réalise, que l’élection se joue dans une poignée d’États clés et que les protestations et recomptages se multiplient, faut-il craindre le pire ?

« Il y a un risque que cela dégénère. Peut-être pas comme on l’a vu dans le film Guerre civilerendu public plus tôt cette année, mais ce n’est certainement pas pour rien que nous nous préparons à intervenir dans certains États si les choses s’échauffent », remarque Francis Langlois. Si Kamala Haris gagne, il y aura sans doute des électeurs à casquette rouge qui contesteront la validité de l’élection comme leur gourou. Des violences pourraient éclater et cela pourrait avoir des impacts sur l’économie et la cohésion sociale aux États-Unis.

De toute évidence, si nous pensions pouvoir mettre fin à un cauchemar, nous pourrions nous préparer à en vivre un autre. De loin, heureusement.

 
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