Le producteur américain à qui l’on doit « Thriller » de Michael Jackson est passé du jazz au hip-hop, toujours avec succès. Un parcours exceptionnel qui a durablement défini les canons musicaux dominant le marché. Quincy Jones est décédé ce dimanche 3 novembre à l’âge de 91 ans.
À propos de Éric Delhaye
Publié le 4 novembre 2024 à 9h09
Mis à jour le 4 novembre 2024 à 11h45
ÔOn se souvient de lui s’être assoupi, sous le charme d’un vin de Vevey, dans les coulisses d’une soirée spéciale dance music au festival de Montreux 2012. De Nile Rodgers à Mark Ronson et de Grace Jones à Cerrone, tout le monde l’a salué avec révérence en quittant la scène. Quincy Jones devait ce respect en grande partie à un record qui n’avait jamais été battu : Thriller, L’album de Michael Jackson, dont il était le producteur, s’est vendu à 65 millions d’exemplaires depuis sa sortie en 1982.
Mais Quincy Jones n’était pas seulement l’homme du jackpot. Nominé soixante-dix-neuf fois aux Grammy Awards, il en a remporté vingt-sept. Il a même adapté la première musique jouée sur la Lune, Envole-moi vers la Lune, chanté par Frank Sinatra, un ami cher dont il portait la bague. Du jazz au hip-hop, son génie a couvert toute l’évolution moderne de la musique afro-américaine, en même temps qu’il militait sans relâche pour défendre les droits de sa communauté.
A 13 ans, il joue avec Ray Charles
Dans le grand livre du rêve américain, un long chapitre devrait être consacré à Quincy Jones, qui est parti de très bas pour atteindre le plus haut. Sa vie est un scénario – on attend le biopic – qui commence à Chicago dans les années 30. Enfant, il a eu affaire à un père membre des Jones Boys, gangsters noirs et adversaires ultraviolents d’Al Capone ; une mère qu’on met sous ses yeux une camisole de force, et qui est emmenée dans un asile pour démence ; des proxénètes qui lui glissent quelques dollars pour surveiller les filles ; la litanie des règlements de comptes et autres exécutions sommaires ; sa propre main clouée à un poteau par un cran d’arrêt – il avait 7 ans et était marqué à vie.
A lire aussi :
Quincy Jones, légende de la musique noire, en cinq albums définitifs
Quincy avait 11 ans lorsque son père a déménagé à Seattle pour échapper à la pègre. Parfois cireur de chaussures, le gamin reproduit la tradition familiale en procédant à une série de cambriolages. Jusqu’au jour où, occupé à braquer une épicerie avec son frère, il tombe sur un piano dans l’arrière-boutique. “Quand je l’ai touché, chaque cellule de mon corps m’a dit que c’était ce que je ferais pour le reste de ma vie.” il a dit un jour Journaliste hollywoodien. Au Tuteuril confie : « C’est à ce moment-là que j’ai choisi la musique comme mère. Et la musique ne m’a jamais laissé tomber. »
Il choisit d’abord le trombone, pour se rapprocher le plus possible des majorettes des fanfares. Puis la trompette, qui lui est enseignée par Clark Terry, futur pilier des orchestres de Count Basie et Duke Ellington, qui deviendra son mentor et ami. A 13 ans, Quincy, en compagnie d’un certain Ray Charles, dansait déjà cinq soirs par semaine dans les clubs de la ville. A tel point qu’il ne se présente jamais à l’école avant 11 heures du matin. Mais son professeur, plutôt que de punir le cancre, encourage le musicien : “C’est ce que Dieu veut que vous fassiez, et c’est ce que vous devriez faire.” »
A lire aussi :
Montreux : joyeux anniversaire monsieur Quincy Jones
Quincy Jones a fait ce que Dieu voulait qu’il fasse et ce que Dieu n’imaginait même pas qu’il ferait. Une bourse lui permet d’intégrer le prestigieux Berklee College of Music de Boston à l’âge de 18 ans, pour parfaire ses connaissances en autodidacte. Engagé dans l’orchestre de Lionel Hampton, Quincy exploite alors ses qualités de trompettiste-compositeur-arrangeur-producteur auprès notamment de Duke Ellington, Sarah Vaughan et Dinah Washington.
A Paris, où il étudie auprès de Nadia Boulanger, Eddie Barclay en fait son directeur artistique à la fin des années 1950. Un poste qu’il a également occupé chez Mercury Records, devenant ainsi l’un des premiers Afro-Américains à assumer de telles responsabilités dans l’industrie musicale. Alors qu’il remporte son premier Grammy grâce à un arrangement pour Count Basie (Je ne peux pas arrêter de t’aimer), sa musique de Prêteur, film de Sidney Lumet, le propulse comme compositeur de bandes sonores, Embuscade, par Sam Peckinpah, La couleur violette, par Steven Spielberg. Dans les années 1970, le CV de Quincy Jones, qui publiait régulièrement des albums de jazz sous son nom, était déjà impressionnant.
Quincy a rencontré Aretha Franklin quand elle avait 12 ans, Stevie Wonder quand il avait 12 ans, Michael Jackson quand il avait 12 ans aussi. Mais il ne l’a vraiment connue que sept ans plus tard. Quincy supervise alors la musique de Le magicien, le film de Sidney Lumet qui réunit Diana Ross et Michael Jackson, qui cherche un producteur pour booster sa carrière solo.
On connaît la suite : l’association des deux génies donne naissance àHors du mur (1979), Thriller (1982) et Mauvais (1987). La trilogie couronne le « King of pop », tandis que la production de Quincy Jones définit des canons musicaux qui dominent encore le marché, dépassant la distinction raciale – pop ou R&B – dans les charts américains. Sur le toit du monde, « Q » réunit en 1985 un line-up de stars d’une densité inégalée, pour chanter Nous sommes le monde contre la famine en Ethiopie, précisant dans sa lettre d’invitation : « Laissez votre ego à la porte du studio. »
Une carrière pleine de dix
Quincy Jones était capable d’un album aussi flamboyant que De retour sur le bloc (1989), dont le casting comprend Miles Davis, Barry White, Ray Charles, Ella Fitzgerald et le rappeur Ice-T. Malgré ses infidélités, les jazzmen lui ont toujours témoigné un grand respect : il a dirigé le dernier concert de Miles à Montreux en 1991. En France, on se souviendra qu’une tournée symphonique s’est arrêtée à l’AccorHotels Arena de Paris en 2019. Assis sur un trône, Quincy Jones regardé les stars défiler en reprenant les tubes de Michael Jackson, dix ans presque jour pour jour après la mort du chanteur, avant de se lever et de diriger l’orchestre, baguette à la main, sur Laissez les bons moments roulerchanté par Véronique Sanson. En quittant la scène, il dit : « Paris je t’aime » et “Laissons les bons moments rouler”. Une carrière riche en dix, ici passée en revue, à laquelle s’ajoutent son activisme auprès de Martin Luther King dans les années 1960, ses initiatives en faveur des expressions afro-américaines, son soutien aux candidats et présidents démocrates, jusqu’à Barack Obama, à qui il succèdera. demander – en vain – la création d’un ministère de la Culture.
A lire aussi :
Quincy Jones : “Je voulais être un gangster, mais tout a changé d’un seul coup”
Quincy Jones a tout fait, il est même mort avant de mourir. C’était en 1974 : après une rupture d’anévrisme qui ne lui laissait que peu de chances de survie, ses proches organisent une cérémonie d’adieu à Los Angeles. Quincy Jones lui-même était présent, aux côtés de son neurologue, qui le gardait calme, tandis que Marvin Gaye et Sarah Vaughan chantaient ses louanges. Marvin et Sarah sont finalement partis bien avant lui. « Q » vient tout juste de les rejoindre.