Il n’existe pas de dictionnaire universel pour interpréter les gestes comme ce qui est proposé dans des séries télévisées comme « Les Experts » ou « Le Mentaliste », rappelle Vincent Denault.
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Le professeur Vincent Denault montre que les juges australiens se sont appuyés, dans leurs décisions judiciaires, sur des mythes relatifs au « langage corporel » pour évaluer la crédibilité des témoins.
Le comportement non verbal des témoins dans les salles d’audience peut jouer un rôle important dans l’évaluation par les juges de leur crédibilité lorsqu’ils rendent leurs décisions. Mais cette pratique repose-t-elle sur des fondements scientifiques solides ?
C’est la question à laquelle répond un article scientifique publié fin septembre dans la revue Journal de recherche et de pratique en psychologie légale, sous la plume de Vincent Denault, professeur adjoint à l’École de criminologie de l’Université de Montréal, et de Danielle Bozin, de la faculté de droit de la Queensland University of Technologies, en Australie.
Les deux chercheurs ont examiné 602 affaires entendues entre 1986 et 2020 devant les tribunaux australiens et ont identifié 45 cas – 31 en première instance et 14 en cour d’appel – où les jugements rendus faisaient explicitement référence au comportement non verbal ou au « langage corporel » d’un individu. témoin pour évaluer sa crédibilité.
« Dans un tiers des cas, les tribunaux australiens font référence au langage corporel en termes généraux et souvent vagues », explique Vincent Denault. C’est comme une boîte noire dans laquelle se trouvent des observations potentiellement douteuses. Nous ne savons pas sur quoi le juge s’est basé pour cela. S’est-il appuyé, par exemple, sur le fait que le témoin s’est gratté le nez pour croire qu’il mentait ?
Pas de dictionnaire universel pour interpréter les gestes
Vincent Denault
Credit: Amélie Philibert, University of Montreal
Mais qu’entend-on exactement par « langage corporel » ?
« Le terme lui-même vient davantage de la culture populaire et véhicule l’idée erronée que les mouvements du corps et du visage pourraient être lus comme des mots », mentionne Vincent Denault. La réalité scientifique est plus nuancée : la communication non verbale, qui inclut les expressions faciales, la posture, l’habillement, la coiffure ou encore les caractéristiques vocales, fait l’objet de recherches sérieuses depuis des décennies.
Cependant, contrairement aux idées reçues, il n’existe pas de dictionnaire universel pour interpréter les gestes comme celui proposé dans des séries télévisées comme Les experts, Le mentaliste ou Mentez-moi : crimes et mensonges.
Selon Vincent Denault, cette confusion entre mythe et réalité peut avoir de graves conséquences dans un contexte juridique. “Ce qui est démontré, c’est que ces croyances peuvent influencer la perception de crédibilité des témoins et, dans certains cas, la crédibilité accordée à un témoignage peut déterminer l’issue du procès, rendant ainsi l’interprétation erronée d’un comportement non verbal potentiellement décisive”, a-t-il déclaré. ajoute.
L’impact de la culture populaire sur les tribunaux
L’étude révèle que les juges australiens attribuent parfois des émotions aux témoins en fonction de leur langage corporel. Par exemple, un témoin a été décrit comme « faisant preuve d’agitation en élevant la voix et dans son langage corporel ». Dans d’autres cas, des conclusions sur l’honnêteté ou la malhonnêteté des témoins ont été tirées de leur comportement non verbal.
Les chercheurs soulignent également le rôle des avocats dans la perpétuation ou la contestation de ces mythes. Dans certains cas, les avocats ont mis en évidence des indices de détection de mensonge non fondés et discrédités, tels que l’évitement visuel. À l’inverse, d’autres appellent à la prudence lors de l’évaluation du comportement des témoins, notamment lorsqu’il s’agit de témoins autochtones.
Les auteurs de l’étude estiment-ils que la référence au langage corporel dans les jugements des tribunaux soulève des questions sur les fondements mêmes des décisions judiciaires ?
«L’enjeu est de savoir par quoi les décideurs sont influencés», estime Vincent Denault. Et notre étude met en lumière une illustration révélatrice de l’impact de la culture populaire sur les tribunaux.
Difficile de justifier la perception d’un comportement non verbal
Le recours au comportement non verbal pour évaluer la crédibilité d’un témoin est problématique à la lumière des connaissances scientifiques actuelles, selon Vincent Denault et Danielle Bozin, pour qui « la relation entre les indices non verbaux et la tromperie est scientifiquement faible et peu fiable. « .
La situation est d’autant plus préoccupante que la Haute Cour d’Australie reconnaît elle-même la « faillibilité de l’évaluation judiciaire de la crédibilité fondée sur l’apparence et le comportement des témoins ».
Comment alors pourrait-on améliorer la situation ? « Les solutions ne sont pas évidentes car le non verbal nous influence constamment, sans même qu’on s’en rende compte », admet Vincent Denault. La solution n’est pas d’éliminer le non verbal, cela n’apporterait pas nécessairement plus d’objectivité. La façon dont les gens parlent et les mots qu’ils utilisent sont également sujets à des stéréotypes et des préjugés. »
Il suggère plutôt une approche basée sur la sensibilisation et l’éducation visant à informer les juges et les jurys sur l’existence des croyances populaires afin qu’ils évitent d’attribuer à tort une intention au comportement observé. Il recommande également d’essayer d’en restreindre la portée en mettant, lorsque cela est possible, d’autres éléments de preuve en perspective.
Pas seulement en Australie
Selon Vincent Denault, les implications de cette recherche dépassent le cadre du système judiciaire australien, puisque des études similaires menées au Canada – dont certaines lui-même ont réalisé au Québec – et aux États-Unis ont révélé des problèmes comparables, donnant à pensent que ce phénomène serait répandu dans différentes juridictions.
Selon lui, ces résultats ne sont probablement que la pointe de l’iceberg. Ils appellent à poursuivre les recherches dans ce domaine, notamment sur certains aspects du comportement des témoins, comme l’évitement du regard, le ton de la voix, l’hésitation et la spontanéité, qui font également l’objet de mythes persistants. .
« Malgré son aspiration à l’objectivité, la justice n’est pas imperméable aux influences de la culture populaire et notre étude montre l’importance cruciale de combler le fossé entre les connaissances scientifiques sur la communication non verbale et les pratiques judiciaires afin de garantir des procès équitables et des jugements fondés sur des bases solides. des preuves plutôt que sur des interprétations erronées des comportements non verbaux », conclut Vincent Denault.
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