150 ans après sa mort, que reste-t-il du père du « roman national » français ? – .

150 ans après sa mort, que reste-t-il du père du « roman national » français ? – .
150 ans après sa mort, que reste-t-il du père du « roman national » français ? – .

Cent cinquante ans après sa mort, le célèbre historien Jules Michelet continue de fasciner et de susciter l’enthousiasme. Assimilée, aujourd’hui encore, au « père du roman national », son œuvre dépasse néanmoins cette simple étiquette.

Histoire de France17 tomes. Histoire de la Révolution française, 7 tomes. Deux monuments qui ont survécu plus d’un siècle et demi. Et nourri, jusqu’à aujourd’hui, des générations entières d’historiens et de lecteurs ordinaires avides d’explorer l’épopée de ce pays. Deux textes emblématiques de Jules Michelet – même si son art ne se réduit pas à ces deux chefs-d’œuvre.

L’histoire de France reste cependant le genre qui l’a élevée au rang de rempart et l’a rendue célèbre. Gloire posthume. Mort en 1874, il y a 150 ans, son heure de gloire n’est venue que lorsque les pères fondateurs de la Troisième République ont jeté leur dévolu sur cet historien légendaire, surnommé par les étudiants du Quartier Latin « Monsieur Symbole », pour doter le pays de un récit national unificateur.

Fraîchement installé, encore hésitant et convalescent de la chute du Second Empire napoléonien, déchiré par la sanglante guerre civile de la Commune, humilié par l’occupation prussienne, sous la pression d’une nuée de parlementaires monarchistes qui maîtrisaient, avant l’heure, les codes de « buzz » et de « clash », cette Troisième République, encore en quête d’elle-même, avait impérativement besoin d’une grande histoire fondatrice-unificatrice. Michelet fut convoqué en urgence.

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Michelet a participé à la construction d’un grand récit national, subjectif et enthousiastecommence par préciser Marianne Hervé Leuwers, spécialiste de l’histoire de la Révolution française. La Troisième République l’a porté aux nues – notamment en finançant la réédition posthume de son Histoire de la Révolution françaiseà l’occasion du centenaire de l’événement – ​​certains voyaient en lui l’un des pères d’un « roman national » », poursuit-il en soulignant les guillemets.

Biographe et spécialiste de référence de Michelet, Paule Petitier corrobore dans un premier temps ce constat : « Certes, les fondateurs de la Troisième République se sont largement appuyés sur l’histoire de Michelet, à travers des pièces choisies, pour le faire apparaître comme le chantre de la France et l’inspirateur d’une relation charnelle avec la patrie. » Et de nuancer : « Mais évidemment, on ne peut pas réduire Michelet à l’usage idéologique qui a été fait de lui. En 1882, Jules Vallès proteste contre l’hommage avec lequel Ferry avait, dit-il, « soufflé Michelet ». Il y en a effectivement pour ceux qui prennent le temps de lire l’Histoire de la Révolutionun Michelet d’une toute autre encre qui surgit, un Michelet à l’écoute des protestations sociales qui grondaient à partir de 1793 et ​​annonçaient les insurrections du peuple au XIXème siècle, un Michelet qui sait aussi dénoncer les moments où la nation ne se relève pas jusqu’au niveau de lui-même, où la conscience collective se défait, où le roman national s’enfonce en quelque sorte dans la boue du césarisme. »

Anachronisme

L’expression volontairement romantique et lyrique de « roman national » n’apparaît nulle part sous la Troisième République. Ce serait de création récente. Qualifier ainsi l’œuvre de Michelet serait pour le moins anachronique, indiquent unanimement les historiens consultés par Marianne. Plus précisément, la formule vient de l’historien Pierre Nora, coordinateur du célèbre Lieux de mémoire
.Le concept de « roman national » doit être considéré de manière critique et prudente. précise l’historienne néerlandaise Camille Creyghton, auteur de Résurrections de Michelet : Politique et historiographie en France depuis 1870 (Éditions de l’EHESS).

Faisant le tour des débats en France, l’historien néerlandais pose un regard neuf sur les enjeux qui animent l’histoire de France. Elle poursuit : « Dans de nombreux pays, dont le mien, les Pays-Bas, nous n’utilisons pas cette formule. En effet, la formule « roman national » est une invention de l’historien Pierre Nora, qui a voulu décrire avec elle une histoire nostalgique et désormais impossible dont Michelet était la personnification. Puis, et en partie grâce à Nora lui-même, qui est plus ou moins revenu à son entreprise initialement déconstructrice pour la transformer en quête d’une nouvelle histoire nationale, la formule a perdu ses connotations critiques. Le « roman national » est une histoire écrite sous la forme d’un roman de formation, avec un protagoniste (la nation) qui vit et se développe à travers les siècles. En ce sens, oui, l’œuvre de Michelet est le modèle idéal pour y parvenir. »

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En effet, lorsque, au cours du XIXe siècle, l’histoire s’est imposée comme discipline universitaire et scientifique dans différents pays européens, le besoin s’est fait sentir non seulement de la doter d’une méthode et d’institutions, mais aussi d’une généalogie des « pères » et des « fils ». , qui permet la formation d’une identité et d’un esprit de corps disciplinaire dans lesquels les novices (étudiants, jeunes historiens) peuvent s’insérer. ” Pour diverses raisons, dont l’une des principales reste l’amitié de l’historien Gabriel Monod, fondateur de la Revue historiquepour Jules Michelet, c’est ce dernier qui a été retenu pour ce poste en France », explique le jeune historien.

Indépendamment de ces questions idéologiques, il existe un consensus sur une chose : avec Histoire de la Révolution française, a sans doute eu lieu la révolution la plus féconde dans le domaine historique. Michelet bouscule les canons de la discipline, renverse la perspective historique, contourne les sentiers laissés par ses pairs et prédécesseurs. Le héros et personnage principal de son Histoire n’est ni Saint-Just ni Robespierre. Encore moins Danton et Marat.

Les gens !

Son héros, son véritable et unique héros, c’est le peuple. ” Michelet hérite des débuts de la révolution historique de la Restauration, et de la vision d’une histoire faite collectivement et d’en bas (et pas seulement par les puissants de ce monde) et la donne par la puissance de son style mais aussi par sa capacité à rassembler différents domaines (économiques, politiques, sociaux, religieux, artistiques, etc.) une force d’évocation sans égal », insiste Paule Petitier, éditrice des deux tomes duHistoire de la Révolution dans la collection La Pléiade.

Michelet n’est pas tant le père de l’histoire de France que celui d’une histoire du « peuple » françaisrésume Hervé Leuwers. Sa modernité réside aussi dans l’originalité de ses questions scientifiques, comme l’attention portée à ceux qui ont longtemps été négligés par l’histoire, les gens ordinaires et les femmes. Il formule également de nouvelles questions, toujours d’actualité : sur le corps, la nature, l’imaginaire, les émotions. »

En effet, l’œuvre de Michelet se réduit souvent à son Histoire de la Révolution française. Mais son héritage va bien au-delà de ce classique. Prolifique et kaléidoscopique, l’œuvre de Michelet embrasse des thèmes très équivoques comme l’histoire naturelle, la sorcellerie, l’histoire universelle ou celle de Jeanne d’Arc. ” Il invente des sujets, il a l’audace de les confronter, il sent qu’il y a là quelque chose d’important (j’allais dire de brûlant), et il fonce. Il ouvre les portes. Qui d’autre que lui, par exemple, je veux dire quel autre auteur reconnu, aurait entrepris en son temps une histoire de la sorcellerie ? », s’enthousiasme son biographe de référence.

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Un siècle et demi après sa mort, que nous apprend encore cet historien passionné et passionnant ? Comment son œuvre résonne-t-elle à notre époque et fait-elle écho à nos préoccupations du 21e siècle ? « L’œuvre de Michelet est susceptible de nous toucher à bien des égards. Je viens de terminer un livre dans lequel je montre que Michelet a joué un rôle déterminant dans la création de mythe moderne de la sorcière dont nous savons qu’il réussit aujourd’hui dans les luttes féministes.
En revanche, Michelet continuera encore longtemps à nous toucher car il a contribué de manière majeure à faire de l’histoire la tradition des opprimés, et quelle que soit la volonté d’objectivité de ses successeurs, quelle que soit même leur coloration politique, ce puissant affect qu’il a su placer à la Source de la curiosité historique continue de motiver les recherches », poursuit Paule Petitier.

De son côté, Camille Creyghton recommande volontiers « ceux qui, aujourd’hui, veulent lire un peu plus de Michelet en dehors des fragments le plus souvent réédités, son Introduction à l’histoire universelle de 1831. C’est un petit livre très important aux yeux de Michelet lui-même » où il développe son interprétation de l’histoire humaine et française comme une lutte vieille de plusieurs siècles pour se libérer du destin naturel, qui culminera avec la Révolution française. Autant d’aspects à partir desquels le lecteur contemporain pourra, avec quelques transpositions adéquates, apporter un éclairage saisissant sur notre actualité politique agitée et incertaine.

 
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