Sur les décombres du mur de Berlin, le politologue américain Patrick Fukuyama a prédit la « fin de l’histoire » et la victoire définitive de la « démocratie libérale ». Depuis la chute du communisme, de l’eau a coulé sous les ponts. Les âpres aventures militaires en Afghanistan, en Irak et en Somalie ont montré les limites de la prétendue toute-puissance de l’Occident. De plus, même si le dollar domine le commerce mondial, d’autres puissances ont émergé et proposent un modèle différent. Schématiquement : la prédominance de l’impératif économique et militaire sur les droits de l’homme. La Chine et la Russie, respectivement le « C » et le « R » de l’acronyme BRICS, illustrent particulièrement cette doctrine. Avec le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud, ce club quelque peu hétéroclite se rassemble, malgré les divergences, sur une notion : celle d’un « Sud global » qui veut sa place à la table d’un monde dominé. par les États-Unis et, un peu plus, par l’Europe. Réunis à Kazan, en Russie, ces pays émergents accumulent une puissance économique et démographique colossale. Pékin se positionne clairement comme la figure de proue de ce « bloc » que Vladimir Poutine utilise également pour railler ceux qui lui imposent des sanctions. En fin de compte, Xi Jinping et Moscou rêvent d’un basculement global entre un Occident en décélération et un « Sud » en plein essor. Un nouveau mur idéologique.
Pour autant, les autres membres des BRICS ont-ils intérêt à échanger une domination contre une autre ? Rien n’est moins sûr. Les héritiers des « non-alignés » des années 1960, qui répugnaient à choisir entre capitalisme et communisme, adoptent désormais une attitude pragmatique. Celui d’un multi-alignement – un mouvement vers l’Ouest, un mouvement vers le Sud – que la Turquie, l’Inde ou le Brésil utilisent comme assurance-vie. Un « placement » judicieux dans un monde soumis aux aléas d’une recomposition brutale.