Le bronzage est-il devenu obsolète ? Ce philosophe explique ce que cette addiction dit de nous – Édition du soir Ouest-

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A travers une enquête philosophique doublée d’un récit autobiographique, l’auteure Margaux Cassan vise à démontrer en quoi le bronzage est un marqueur social, un temps associé à la réussite ou à la bonne santé, mais qui est aujourd’hui plus que critiqué.

Et si l’obsession d’une peau dorée, voire bronzée, n’était pas qu’une quête esthétique ? C’est ce que dit Margaux Cassan, philosophe, dans son livre Ultra-violets, publié aux Éditions Grasset le 9 octobre 2024. Dans cet ouvrage mêlant récit personnel et enquête philosophique, l’auteur souhaite définir le bronzage comme un « fait de société ». Entretien.

Margaux Cassan, auteur du livre « Ultra violet ». (Photo : JF PAGA.)

Margaux Cassan, pourquoi écrire sur le bronzage quand on est philosophe ?

J’étais assez frustré du mépris des philosophes sur la question du corps, et j’ai donc voulu faire un récit philosophique contemporain qui embrasse complètement les questions du corps, car lorsque celles-ci sont traitées dans la presse, le corps est considéré sous deux prismes. seulement : la sexualité et la nourriture. J’ai donc pensé que la philosophie pouvait fournir d’autres méthodes répondant à la question « qu’est-ce que l’Homme ? « .

D’un point de vue personnel, la nouvelle du cancer de la peau de ma mère m’a donné envie d’écrire ce livre. Je me souviens de mon incompréhension lorsque la première chose qu’elle a faite, après l’opération, a été de retourner au soleil. J’ai donc voulu interroger intimement et philosophiquement notre rapport aux risques.

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Quand avez-vous réalisé que le bronzage n’était pas qu’une préoccupation esthétique ?

Pour ma mère, le bronzage est plus qu’une activité, c’est véritablement une identité. Elle a utilisé le bronzage comme une identité sociale, voire socio-économique. Selon elle, avoir la peau bronzée était un signe de réussite sociale. Ma mère a grandi en banlieue parisienne, elle a donc traversé le périphérique et pour elle, montrer sa peau bronzée était censé envoyer un signal. C’était comme si maîtriser son corps à la perfection équivalait à maîtriser sa carrière.

Sur le plan historique, vous revenez sur la période des congés payés en 1936 et comment cette révolution sociale a modifié le rapport au bronzage…

Entre 1935 et 1985, il y a eu une forme de révolution culturelle où le bronzage, initialement associé au travail acharné et donc aux travailleurs, est devenu un droit et une acquis social. Des gens s’étant battus pour obtenir des congés payés, le bronzage, en 1936, était la preuve qu’ils l’avaient obtenu et qu’ils pouvaient partir en vacances. Cette association positive du bronzage comme un acquis, un droit à la paresse, a perduré jusque dans les années 1980, lorsque les dangers du soleil ont été mis en lumière.

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Après 1936, le bronzage devient le remède à tous les maux…

Même le corps médical croyait que le soleil était bactéricide, que les rayons étaient si chauds que les bactéries étaient brûlées. Alors que les sociétés européennes étaient plongées dans la guerre et que les épidémies se poursuivaient, le soleil est devenu un moyen de guérison. Les hôpitaux ont été construits avec une exposition sud et une architecture particulière : le système de tribunes en terrasses, qui permettaient aux malades d’être placés sur une civière, en sous-vêtements, exposés au soleil toute la journée. Et comme le soleil libère des endorphines, les gens avaient vraiment l’impression d’aller mieux.

Le sanatorium Kerpape, à Ploemeur, dans le Morbihan, où des cures solaires étaient prescrites aux patients, notamment tuberculeux. (Photo : Valton Karine)

Comment expliquez-vous la mode des teints hâlés, en hiver comme en été, dans les années 80 ?

La guerre était finie, nous avions donc à l’époque affaire à une génération de passionnés. C’est aussi une génération de sociétés post-chrétiennes, où le rapport à l’autorité s’est complètement effondré. Dans les générations précédentes, les gens vivaient dans la peur de la guerre et des autorités successives : l’autorité de Dieu, l’autorité de l’Église et l’autorité de l’État. Lorsque le capitalisme, associé à la démocratie, a développé davantage de sociétés de consommation, il y a eu une sorte d’adolescence aiguë des individus, avec l’impression que toutes les autorités étaient tombées. Cela donnait une confiance en sa propre vie, en sa propre carrière, un sentiment d’absence d’obstacles, qui justifiait qu’on puisse faire de son corps une performance. Le bronzage est devenu une envie de signature, de renforcement de son individualité.

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Vous utilisez la figure de Rastignac, le célèbre héros de Balzac, pour parler du « Rastignac du soleil ». Qui sont-ils ?

C’est la figure du parvenu qu’Honoré de Balzac utilise dans ses livres. C’est un type particulier de parvenu qui a utilisé la peau pour réussir, et qui a aujourd’hui entre 55 et 80 ans. Je pense à Jacques Séguéla, Jack Lang, et même Donald Trump !

Qu’est-ce que la société d’aujourd’hui a à voir avec le bronzage ?

Ce n’est pas vraiment démodé, mais c’est une relation plus paradoxale par rapport aux années 1980. Aujourd’hui, le bronzage est définitivement associé au cancer de la peau et donc à la mort. Nos générations associent le soleil à une menace, en raison du réchauffement climatique et des vagues de chaleur. Mais d’un autre côté, on considère toujours que la marque de maillot de bain est sexy, que le plus chic c’est d’avoir le « ski tan » avec juste le visage bronzé, avec la marque de lunettes.

Alors le bronzage est-il devenu obsolète ?

Ce qui est dépassé dans le bronzage, c’est cette forme particulière de bronzage que possèdent les « Rastignac du soleil », c’est-à-dire bronzer toute l’année, coûte que coûte. Nous pouvons également le constater dans le déclin des lits de bronzage.

Ce marqueur de réussite, très en vogue dans les années 1980, est méprisé depuis une vingtaine d’années. Aujourd’hui, être bronzé toute l’année est associé aux nouveaux riches. Nous sommes aujourd’hui dans une société protectrice où le danger et la prise de risque ne sont pas valorisés, contrairement aux années 1980, où existait une forme d’insouciance encourageant la prise de risque à tous les niveaux.

 
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