Oman – Laboratoire post-taxe pétrolière ?

Oman – Laboratoire post-taxe pétrolière ?
Oman – Laboratoire post-taxe pétrolière ?

Oman est en passe de devenir le premier pays du Golfe à introduire un impôt sur le revenu des particuliers. Le projet de loi, déjà adopté par le Parlement, a été transmis pour validation définitive au Conseil d’Etat fin juin. Le long processus, entamé en 2020 et figuré dans le projet fiscal à moyen terme 2020-2024, semble toucher à sa fin et suggère une introduction de l’impôt en 2025. Il semblerait que le texte prévoie une fiscalité différenciée. entre nationaux et expatriés : un taux forfaitaire de 5 % du revenu net global au-dessus du seuil d’un million de dollars pour les nationaux ; un taux compris entre 5 et 9 % pour les expatriés s’appliquerait à un seuil, encore élevé mais néanmoins bien inférieur, de cent mille dollars.

Dans son dernier rapport de notation, Fitch estime que cette nouvelle taxe pourrait apporter l’équivalent de 0,2% du PIB de recettes supplémentaires à l’État en 2025. Un impact limité sur le budget omanais, mais une symbolique importante pour le Golfe. C’est aussi et surtout un nouvel outil dans l’arsenal fiscal d’Oman pour diversifier les revenus de l’État, alors que le sultanat accélère ses réformes pour réduire sa dépendance aux revenus pétroliers. Sa mise en œuvre et ses effets seront certainement observés de près par les autres États du Golfe qui, pour la plupart, ont instauré la TVA mais n’ont pas encore abordé l’épineuse question de l’impôt sur les revenus des particuliers fortunés qu’ils cherchent à attirer. Alors pourquoi et comment le sultanat se retrouve-t-il à l’avant-garde des mesures de transition du modèle de taxe sur les loyers dans le Golfe ?

Un premier élément de réponse réside dans la répartition des ressources entre les États de la région. En effet, Oman possède l’un des niveaux de réserves prouvées de pétrole et de gaz les plus faibles de la péninsule arabique.

Cela a une double conséquence : d’une part, Oman atteint plus rapidement les limites de son modèle rentier lorsque les prix du pétrole baissent ; alors, la réalité d’une rente qui ne sera pas éternelle est bien plus imminente. Selon les données 2023 publiées par l’OPEP, Oman épuiserait ses réserves prouvées d’énergie fossile d’ici une quinzaine d’années, au rythme de production actuel.

Bien entendu, ce calcul est très théorique et, de plus, les investissements dans l’exploration pétrolière et dans l’optimisation des méthodes d’extraction ont permis à Oman de pratiquement compenser sa production sans altérer significativement ses réserves pétrolières sur la période de vingt ans. cinq dernières années. On peut donc supposer, sans trop de risques, que la production pourrait continuer à être tirée au-delà de la limite des réserves prouvées actuelles. Cependant, cette logique se heurte à la réalité d’un coût marginal d’extraction croissant. La situation est un peu différente pour le gaz, dont Oman a pu augmenter sa production (de 0,6 million de barils/j en 2014 à 0,89 en 2023). Mais le gaz rapporte à l’État moins de la moitié des revenus pétroliers.

La pérennité des réserves souterraines d’Oman nécessite donc une production d’hydrocarbures relativement faible par rapport à l’ampleur de ses besoins pour maintenir le modèle fiscal traditionnel de rente des États du Golfe. Cette dernière implique une quasi-absence d’impôts, d’emploi de la population nationale dans le secteur public, de subventions aux produits de base et de couverture sociale. Le niveau de production par habitant, qui, pour Oman, est l’un des plus bas du Golfe (1), donne une intuition de la limite de l’adéquation entre le niveau de la rente et ce modèle. Mais cela est devenu particulièrement évident à partir de 2014, lorsque les prix du pétrole se sont effondrés. Cela révèle alors la rigidité de la structure budgétaire omanaise, fondamentalement liée à un modèle rentier établi. La dette publique a ainsi considérablement augmenté sur la période 2014-2020, accompagnée d’une forte dégradation de la note souveraine par les agences (de A en 2014 à B+ en 2020, chez S&P). Cela reflète également, en partie, une évaluation défavorable de la capacité institutionnelle du pays. L’agence Moody’s note notamment la lenteur de la réponse des politiques publiques aux chocs et de la mise en œuvre des réformes structurelles.

Cependant, 2020 a marqué un tournant important dans la dynamique de réformes du pays. 2020 coïncide en effet avec l’arrivée au pouvoir du sultan Haithman bin Tariq, qui a donné un nouvel élan au potentiel de réforme du pays. Surmonter les nombreux problèmes structurels du pays (déficits jumeaux élevés (2), croissance atone et taux de chômage élevé, notamment chez les jeunes (3)) implique de déconstruire courageusement les acquis, face à un modèle qui atteint ses limites. Plus précisément, cela comprend l’introduction de la TVA en 2021, la réduction progressive des subventions à l’électricité et à l’eau, les réformes de l’emploi dans le secteur public et un contrôle strict des dépenses et des investissements publics. Et bientôt, le nouvel impôt sur le revenu viendra compléter l’arsenal.

Il est également à noter que la forte hausse des prix du pétrole depuis 2022 n’a pas ralenti Oman dans ses réformes. Ceci à l’exception d’une adaptation du calendrier de suppression totale des subventions à l’électricité (étalée sur dix ans au lieu de cinq), pour en réduire l’impact sur la population. Résultat, le budget continue de se consolider : le solde primaire hors pétrole et gaz (mesure plus structurelle du budget, la volatilité des recettes des hydrocarbures étant exclue) s’est consolidé, le déficit passant de 40% du hors PIB pétrolier en 2014. à 22 % en 2023. Et, depuis la hausse des prix du pétrole, les excédents du solde budgétaire total qui en résultent ont largement permis de rembourser la dette publique. Celle-ci est passée de 68% en 2020 à 36% en 2023, et la dette des entreprises publiques de 41% en 2021 à 30% en 2022. Quant à elle, la note des agences remonte, à un niveau seulement du très recherché- après le statut qualité d’investissement.

Enfin, un autre volet des réformes marque un tournant institutionnel notable. Il s’agit de la délégation d’une partie du pouvoir exécutif du sultan à des ministères ou à d’autres institutions publiques (comme la banque centrale, ou le conseil des ministres). Il s’agit d’une tentative de découpler progressivement « l’identité » de l’État et du sultan, une évolution institutionnelle importante dans le contexte d’une monarchie du Golfe. Ces mesures s’accompagnent de la création d’une structure, Développement énergétique Oman (EDO), à laquelle ont été transférées les parts de l’État dans la société nationale pétrolière et gazière. Cela permet d’institutionnaliser plus clairement les transferts entre l’État et la compagnie pétrolière. Enfin, l’OIA (Autorité d’investissement d’Oman) a été créée pour consolider et gérer tous les actifs souverains, ainsi que les entreprises publiques (à l’exception d’EDO). L’institution est désormais chargée de la restructuration des entreprises publiques, voire de leurs privatisations.

Bien entendu, ces réformes, largement plébiscitées par les agences de notation et les marchés, nécessitent une certaine habileté dans la gestion de la transition. Comme Oman les a démarrés assez tard, il faudra procéder à un ajustement plus brutal. Premièrement, cela se reflète dans la croissance, qui a considérablement ralenti, tombant à 2,2 % en moyenne sur la période 2014-2023, contre 4,9 % au cours des dix années précédentes. Et depuis 2021, point d’inflexion des réformes, la croissance hors pétrole, essentielle à l’emploi, souffre d’une transition brutale dans la structure de la demande interne. En effet, les impératifs de consolidation budgétaire ont entraîné une baisse de la demande publique, et notamment un effondrement du secteur de la construction, qui peine à se relever. Ensuite, bien que le contrat social omanais – pensé comme la relation de l’État avec sa population nationale – ne repose pas uniquement sur le modèle rentier (puisqu’il préexistait au pétrole), il est évident que cela a fortement influencé son évolution moderne. La fiscalité, en particulier, pose donc la question de son acceptation politique et doit être abordée avec prudence. C’est clairement ce qui sous-tend la structure du nouvel impôt, qui, nous le comprenons, sera différencié entre nationaux et expatriés.

Notre avis – Depuis 2020 et l’arrivée au pouvoir du sultan Haithman bin Tariq, Oman est un bon élève du Golfe en matière fiscale. C’est même un renforcement institutionnel global qui est à l’œuvre, c’est-à-dire un socle pour renforcer la confiance des marchés dans la capacité des politiques publiques à transformer l’économie et à répondre aux chocs.
La forte réduction de la dette publique observée récemment n’est pas seulement un tournant cyclique lié à la hausse des prix du pétrole, elle correspond aussi à une consolidation budgétaire structurelle, qui nécessite de repenser un modèle budgétaire qui défait le modèle rentier traditionnel. C’est pourquoi l’instauration d’un impôt sur le revenu des personnes physiques, une première dans le Golfe, sans être une révolution institutionnelle, n’a rien d’anecdotique. C’est un symptôme de transition.
Oman pourrait donc devenir un laboratoire intéressant pour les pétromonarchies, pour la plupart moins pressées par l’épuisement des rentes. Malgré tout, une période de baisse durable des prix du pétrole, entre 2014 et 2020, et l’incertitude qui plane sur le rythme et le scénario de la transition mondiale vers l’après-pétrole renforcent la nécessité de réfléchir, en amont, à la dépendance à l’annuité.

Article paru le 4 octobre 2024 dans notre hebdomadaire Le Monde – Actualité de la semaine

(1) La population omanaise atteint 5,2 millions d’habitants en juin 2024, supérieure à celle de Bahreïn (1,5 Mo), du Qatar (3 Mo) ou du Koweït (4,3 Mo). La population est plus importante aux Émirats arabes unis (11 Mo), mais on estime qu’environ 10 % seulement sont des nationaux (contre 58 % à Oman). L’Arabie Saoudite a la plus grande population (37,5 millions) mais dispose de revenus plus importants.
(2) Un déficit budgétaire de 14% du PIB en moyenne sur 2014-2020, et un déficit courant de 9% du PIB en moyenne sur la même période.
(3) Le taux de jeunes inactifs en 2023 était de 15% selon la Banque mondiale.

 
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