Il reste 97 personnes détenues dans la bande de Gaza par le Hamas, dont 63 présumées vivantes. Un an exactement après l’attentat perpétré par l’organisation terroriste en Israël, ont-ils encore une chance d’être libérés ? Elena Aoun, professeur de relations internationales à l’UCL, explique pourquoi le sort des otages n’est pas la priorité du gouvernement israélien.
Il s’appelle Idan Shtivi, il a 28 ans et fait partie des 97 otages toujours détenus dans la bande de Gaza par le Hamas. Un an jour pour jour après la violente attaque du 7 octobre 2023 menée par l’organisation terroriste sur le territoire israélien, le forum Familles d’otages annonce sa mort dans un communiqué. « Le Forum des familles d’otages pleure le meurtre d’Idan Shtivi » dont « le corps se trouve toujours à Gaza ».
Idan Shtivi a été enlevé sur les lieux du festival Nova, théâtre de l’opération Al-Aqsa Flood, orchestrée par le Hamas palestinien contre l’État juif. Il n’est pas le seul, puisqu’au total 251 otages ont été capturés par le Hamas : 218 civils et militaires vivants – 90 femmes, 128 hommes, dont 35 mineurs – et 33 corps. Depuis, plus de 117 personnes vivantes ont été libérées, la majorité lors de la brève trêve conclue entre Israël et le Hamas entre le 24 et le 30 novembre 2023, d’autres lors d’opérations militaires de Tsahal.
Trente-huit corps ont également été restitués sans vie à Israël. Cinq d’entre eux – Alon Shamriz, Yotam Haim, Elia Toledano, Nik Beizer et Ron Sherman – ont été tué par erreur par l’armée israélienne lors d’une intervention à Gaza.
Mais la situation dérape. A ce jour, il reste 97 personnes toujours prisonnières, dont 34 morts, selon l’armée israélienne. Les corps de 18 hommes et d’une femme tués le 7 octobre, ainsi que ceux de 12 hommes et 2 femmes morts en captivité. 63 sont donc présumés vivants : 56 sont Israéliens, dont au moins 20 binationaux, six sont Thaïlandais et un Népalais. 52 hommes et 10 femmes, dont cinq femmes soldats et onze militaires. Parmi les 35 mineurs capturés il y a un an, restent deux enfants, les frères Kfir et Ariel, âgés de huit mois à quatre ans au moment de leur enlèvement, ainsi que leurs parents Shiri et Yarden Bibas. La dernière personne libérée par Tsahal le 27 août était Kaid Farhan Alkadi, un Bédouin de 52 ans.
Ces personnes ont-elles encore la possibilité d’être libérées à l’avenir ? Selon Elena Aoun, professeur de relations internationales à l’Université catholique de Louvain, il y aura « une impasse totale pour les otages tant qu’il n’y aura pas de changement de politique de la part du gouvernement israélien ». Le spécialiste des conflits au Moyen-Orient explique la situation.
« Je pense qu’il est totalement hors de question que le Hamas les libère simplement par grandeur, sachant que rien n’a changé pour les Palestiniens. »
«Je pense qu’il est totalement exclu que le Hamas les libère simplement par grandeur d’âmesachant que rien n’a changé pour les Palestiniens, si ce n’est une dégradation abyssale de leur condition. Depuis un an, Israël persiste à s’appuyer sur la force militaire. Une méthode impuissante dans la libération des otages car elle ne laisse aucune place à la négociation. « On ne peut donc pas exclure que ces otages aient très peu de chances de retourner vivants dans leur famille. »
Le meilleur moyen de libérer les otages serait une trêve, ce que « le gouvernement israélien ne semble absolument pas vouloir », argumente le professeur. « À plusieurs reprises, nous avons été proches d’un accord mais nous voyons clairement que l’acteur qui ne veut pas de négociations est le gouvernement israélien. La trêve de novembre aurait pu être renouvelée mais le gouvernement israélien n’a jamais arrêté ses opérations en Cisjordanie. En mai dernier, le plan négocié par le Qatar, l’Egypte et les Etats-Unis a été accepté par le Hamas mais le gouvernement israélien a préféré étendre son offensive au sud de Gaza. La résolution du Conseil de sécurité de l’ONU adoptée le 10 juin 2024 pour un cessez-le-feu a été ignorée par Israël. Les dirigeants politiques ont directement pointé la responsabilité de Netanyahu dans ces refus », explique-t-elle.
Mais comment expliquer que le sort des otages semble n’intéresser pas le gouvernement israélien ? « L’objectif premier du gouvernement ce n’est pas la sécurité ou le retour des otages. Le gouvernement israélien est un gouvernement d’extrême droite, dont certains membres sont des suprémacistes, des colons, qui ne s’en cachent pas et qui voudrait absorber ce qui reste de la Palestine historique », rappelle Elena Aoun. « Au nom du projet messianique d’un grand Israël, ils sont prêts à sacrifier des vies israéliennes, en plus du prix incommensurable pour les sociétés palestinienne et libanaise. C’est le prix à payer tant que les colonies continueront à s’étendre. »
Pourtant, lors des commémorations du massacre du 7 octobre, le Premier ministre israélien a déclaré « qu’Israël était obligé de ramener les otages ». De la démagogieestime l’expert. « C’est extrêmement triste pour les otages et leurs familles, les soldats, les Palestiniens et les Libanais. C’est une malhonnêteté intellectuelle et politique. Il place sa vision d’Israël et de ses intérêts au-dessus de toute autre considération. Les analystes israéliens affirment qu’il manipule son peuple pour sauver sa peau de ses affaires de corruption et qu’il est soutenu dans ses efforts par la frange la plus dure du gouvernement. »
Le salut des otages pourrait-il venir de la pression des citoyens israéliens, qui se révolteraient contre la politique extrémiste de leur régime ? » Difficile à dire, selon le professeur de l’UCLouvain. « La population israélienne est devenue de droite au cours des dernières décennies. Cela n’exclut pas une grande diversité au sein de cette population mais comme un certain nombre d’Etats européens et comme les Etats-Unis depuis Trump, nous avons un virage à droite de la société israélienne. De plus, le 7 octobre a enfermé la population israélienne dans une bulle de victime. Il ne s’agit pas de minimiser l’ampleur du traumatisme et de la violence de l’attaque du 7 octobre, mais il est présenté à la grande majorité de la population que cette attaque vient de nulle part. Alors que cela s’inscrit dans une histoire centenaire de dépossession des Palestiniens, qui ont perdu 78 % de leurs terres natales en 1948. »
Elena Aoun accuse également la communauté internationale, qui n’est pas à la hauteur du défi.
Camille Calvier