« Le naufrage du français, le triomphe de l’anglais » : la langue à la dérive

« Le naufrage du français, le triomphe de l’anglais » : la langue à la dérive
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Il y a bien sûr des raisons de s’inquiéter de l’avenir du français au Québec, estime Lionel Meney. Le linguiste vient de publier une enquête intitulée Le naufrage du français, le triomphe de l’anglais. «Ce n’est pas normal qu’on en soit à ce point-là à Montréal», dit-il en entrevue. « Hé, l’autre jour à l’aéroport : ma femme avait besoin d’aide. La personne qui s’est présentée ne parlait pas un mot de français. Juste l’anglais. Disons que cela pose problème dans une ville comme Montréal. »

En même temps, s’empresse-t-il d’ajouter, pour comprendre la dimension du problème auquel est confronté le français, il ne faut surtout pas rester collé au cas du Québec. Le linguiste déplore également le mépris des responsabilités assumées par les États, à commencer par la France. « Si la bataille du français est perdue en France, que restera-t-il au Québec, en Amérique du Nord ? Ça va être difficile…”

Dans le monde francophone, la France compte la plus grande population française. Son économie est la plus forte. Or, la France est plongée dans une mondialisation dont la dimension l’invite à ignorer les Français, regrette Lionel Meney.

Le problème de la langue française peut désormais paraître mineur. Peut-être l’est-il en fait, concède Lionel Meney, face aux défis posés par le réchauffement climatique, les nouvelles épidémies, la politique agressive de la Russie, la crise au Moyen-Orient, le terrorisme islamiste, l’immigration incontrôlée, l’insécurité, la désindustrialisation, l’explosion de la dette publique… « Cependant, cela met en jeu l’identité nationale et la cohésion sociale. » Ce qui n’est pas rien non plus, affirme-t-il.

L’état des choses

« Je consacre une bonne partie de mon livre à la question des chiffres rocambolesques que nous propose chaque année l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). J’ai longtemps remis en question ces chiffres repris par les médias, selon moi sans un esprit critique suffisant. »

Selon l’OIF, il y aurait aujourd’hui 321 millions de francophones dans le monde. Les projections suggèrent que ce chiffre atteindra 767 millions d’individus d’ici 2065. L’OIF représente 88 pays, soit 16 % de la richesse mondiale. Le français continuerait ainsi à briller considérablement. Mais ces données semblent dynamisées, critique Lionel Meney.

Le linguiste et lexicographe touche 84 millions de francophones dans le monde. Il ne faut pas raconter d’histoires, dit-il. « En Afrique, le français n’est parlé que par une très petite minorité », liée aux effets de la colonisation. « La grande majorité des gens parlent leur langue nationale. Ce qui est tout à fait normal. »

Nous perdons de vue que « la langue exprime le pouvoir de ceux qui la parlent réellement ». Or, le français ne représente que 2% des textes rédigés à l’ONU et 2% de ceux rédigés au Secrétariat du Conseil de l’Union européenne.

Chemin faisant, observe le linguiste, la langue anglaise est elle-même devenue un business. L’enseignement des langues constitue un marché riche. En 2020, le British Council estimait que deux milliards de personnes étudiaient l’anglais. Certaines entreprises en tirent une fortune. Le New Oriental Education & Technology Group, une entreprise chinoise avec une capitalisation boursière de 14 milliards de dollars, enseigne par exemple l’anglais via 771 » centres d’apprentissage », constate Lionel Meney. « L’anglais n’appartient plus aux Anglais. Même la Chine s’en charge. La langue anglaise est devenue un produit. Et nous voulons le produit. »

Partout, note-t-il, la réalité est que le français a perdu du terrain face à l’anglais. En France pour commencer, regrette-t-il.

Qu’on le veuille ou non, l’anglais est devenu une langue mondiale. Le moment est venu de reconnaître que l’anglais doit occuper une place dans l’espace français, « à moins qu’il ne se ghettoïse », argumente Lionel Meney. Il précise d’emblée que cela doit se faire dans le cadre d’une législation scrupuleusement respectée. “Si l’expansion du domaine de l’anglais semble inévitable, au moins pour sauver ce qui peut encore l’être, il faut organiser la cohabitation des deux langues”, notamment côté français. Cependant, la loi européenne joue contre les Français, affirme-t-il.

En regardant le Nouveau français

Une partie du travail de Lionel Meney consiste à examiner ce qu’il appelle le Nouveau français. « En 1964, l’écrivain Étiemble parlait du « franglais ». Je vois que les choses ont évolué vers le pire. On est passé du « Franglais » à Nouveau français. »

Le langage des grands patrons de la finance mondialisée pénètre de plus en plus dans notre mode d’expression. Elle importe des milliers de mots, sigles et sigles, modifie le sens des mots français, introduit des préfixes, des suffixes et des couches dans la grammaire, des images dans la phraséologie. Le linguiste estime qu’on ne comprend pas encore assez à quel point la langue française est soumise à l’anglais, tant dans son lexique et sa grammaire que dans son usage. Comment expliquer l’utilisation de mots tels que vérifier, froideur, conduire, fausses nouvelles, disciple, fantôme, comme, sortie, personnes, podcast, client, streaming ? Une quantité d’anglicismes sont ratifiés chaque année par les lexicographes, regrette-t-il.

L’anglais exerce une double pression sur le français. Une pression non seulement sur le corpus de la langue, avec son lot d’anglicismes, mais aussi et surtout sur son statut, sur sa situation en termes d’influence dans le monde et dans les sociétés francophones.

Des milliers de langues concurrentes

Les langues, au nombre de 5 000 à 6 000 dans le monde, sont en compétition, explique Lionel Meney. Ils forment un tout structuré que l’anglais semble désormais dominer. L’anglais arrive en première position, avec au moins 1,3 milliard de locuteurs. Elle est suivie d’une douzaine de langues centrales et majeures : allemand, arabe, chinois, espagnol, français, malais, portugais, russe, swahili et turc.

Nous nous retrouvons alors à un autre étage du bâtiment linguistique. On y trouve l’italien, le néerlandais, le polonais et plusieurs autres langues. Finalement, on retrouve un bloc qui comprend 98% des langues du monde. Or, ces langues ne sont parlées que par 10 % de la population.

« Je suis relativement pessimiste. Je ne vois pas comment on pourrait rétablir la situation du français», déplore le linguiste. Dans le monde scientifique, il est indéniable que tout se joue désormais en anglais. «Auparavant, nous considérions le français, l’anglais et l’allemand comme les principales langues scientifiques. La France a perdu des territoires intellectuels. » Aujourd’hui, la part du français dans les publications scientifiques s’est effondrée : alors que celle des publications en anglais dépasse 90 %, celle du français ne dépasse pas 1 %, sauf dans les sciences sociales et humaines, où elle atteint 7 %.

« Je pense que nous pouvons au moins stabiliser les choses, en ce qui concerne nos vies. J’ai écrit ce livre pour sensibiliser. « Le Québec n’est pas hors du monde, dit-il. « Je voulais qu’on arrête de se nourrir d’illusions. Il est peut-être plus important que jamais de montrer ce qui se passe ailleurs. »

Face au naufrage français, Lionel Meney estime qu’il faut travailler pour ramer.

Le naufrage du français, le triomphe de l’anglais. Enquête

Lionel Meney, Presses de l’Université Laval, Québec, 2024, 266 pages

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