« On sait depuis le procès d’Aix que « Monsieur Tout-le- » peut devenir un violeur. »

« On sait depuis le procès d’Aix que « Monsieur Tout-le- » peut devenir un violeur. »
« On sait depuis le procès d’Aix que « Monsieur Tout-le-Monde » peut devenir un violeur. »

Publié le 25 septembre 2024 à 08h33mis à jour le 25 septembre 2024 à 09:57

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Temps de lecture : 4 min.

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En 1978, Gisèle Halimi fait du procès d’Aix un événement politique. Le viol est pour la première fois dénoncé publiquement comme un crime majeur. Mais depuis, le nombre de viols n’a pas diminué. A quand des engagements concrets ?

Cet article est un éditorial, rédigé par un auteur extérieur au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.

Le 3 mai 1978, le verdict tombe : Serge Petrilli, Albert Mouglalis et Guy Roger sont condamnés respectivement à six et quatre ans de prison pour avoir violé quatre ans plus tôt deux jeunes filles, Anne Tonglet et Aracelli Castellano, qui campaient dans les criques de Morgiou. Une nuit d’horreur pour ces deux jeunes filles, qui ont subi pendant des heures tous les sévices sexuels possibles.

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Alors qu’aujourd’hui ce procès enflamme la presse et l’opinion publique : prise de conscience du viol comme crime, réflexion sur la notion de consentement, analyse des profils des violeurs, les deux jours d’audience sont scrutés par la presse, qui rapporte en détail les interrogatoires de chaque partie, dénonce l’horreur des faits, et témoigne de l’écho qu’a eu alors cette affaire dans l’opinion publique.

Il est donc tentant de voir dans le procès d’Aix un précurseur de l’actuel procès Mazan, et de se féliciter du progrès qui fut à l’époque rendu possible par sa médiatisation.

Une plateforme politique

Rappelons que dans les années 1970, le viol n’était pas encore perçu comme un crime par la société française : très peu de victimes portaient plainte, la plupart des affaires de viol étaient réduites à des affaires de « coups et blessures » et jugées en justice correctionnelle avec des peines qui restaient légères. Les débats lors des audiences de ces procès, que l’on peut lire dans la presse de l’époque, montrent à quel point les femmes étaient en fait la plupart du temps considérées comme en partie responsables d’avoir été violées, par leur attitude (avoir fait de l’auto-stop, avoir accepté d’accompagner des amies dans leur voiture, s’être retrouvées dans la rue le soir, etc.). Leur consentement était supposé acquis puisqu’elles n’avaient pas lutté farouchement contre leur violeur. Le choc traumatique, l’effet de sidération, et le fait de laisser faire simplement pour éviter d’être tuées n’étaient pas pris en compte.

Mais le procès d’Aix va marquer un tournant majeur dans la prise de conscience de la société sur ce qu’est le viol. La stratégie de Gisèle Halimi, qui défend les deux jeunes femmes, est en fait de faire de ce procès une tribune politique. Refusant la tenue d’une audience à huis clos, elle souhaite convoquer des personnalités de premier plan au tribunal pour que ce procès permette de réfléchir à l’ampleur du viol dans la société et d’en analyser les causes afin de pouvoir lutter contre ce fléau. Grâce à cette stratégie, le viol est pour la première fois dénoncé publiquement comme un crime majeur qui touche des dizaines de milliers de femmes chaque année.

Conscience

Cette prise de conscience s’appuie également sur la mobilisation massive des mouvements féministes qui, tout au long des années 1970, se sont battus sans relâche pour faire comprendre que les violeurs n’étaient pas des monstres ou des déviants, mais des hommes tout à fait ordinaires. Et pour démontrer que le viol n’était pas un simple fait divers, mais un élément profondément ancré dans notre société patriarcale, et un instrument de domination pour maintenir les femmes dans la peur et la soumission.

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Plusieurs personnalités politiques se sont alors emparées de ce procès et ont proposé de durcir la peine pour le viol : en 1980, une nouvelle loi a requalifié le viol en « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature que ce soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte ou surprise », crime passible de poursuites devant la cour d’assises. Les peines sont désormais échelonnées de cinq à dix ans de réclusion criminelle, et jusqu’à vingt ans en cas de circonstances aggravantes (si la victime est une personne vulnérable ou un mineur de moins de 15 ans, et en cas de viol collectif).

Et pourtant… une affaire vite tombée dans l’oubli… une histoire des luttes féministes contre le viol aujourd’hui totalement ignorée… et un durcissement de la loi qui n’a en rien fait diminuer le nombre de viols… (83 000 viols et tentatives de viol ont encore lieu chaque année, soit un viol toutes les 7 minutes). Notre société semble redécouvrir, cinquante ans plus tard, avec le procès Mazan, tout ce que ce procès d’Aix avait déjà remué.

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Quels engagements concrets ?

Alors ? La prise de conscience de la société actuelle nous permettra-t-elle cette fois-ci de dépasser véritablement la peur et l’indignation et de mettre en œuvre, non pas une énième nouvelle loi, mais des politiques fondamentales pour lutter contre les viols de masse ? Pour que les femmes puissent tout simplement avoir le droit élémentaire d’être en sécurité dans notre société ? Rappelons aussi que, sur les 160 000 enfants violés ou tentés de viol chaque année, les trois quarts sont des filles. Que ces crimes sont le plus souvent perpétrés par leur père, leur frère, leur cousin, et que notre volonté de ne pas voir, notre déni collectif face à ces situations d’inceste, est aussi largement questionnable.

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Alors s’indigner oui, écouter les femmes oui, faire émerger la notion de consentement oui, c’est un réel progrès, et on ne peut que mesurer un certain chemin parcouru. Mais au-delà de ces proclamations, à quels engagements concrets sommes-nous prêts ? À quels engagements financiers pour mettre en place des structures judiciaires capables de permettre aux femmes d’obtenir toujours justice et pas seulement lorsque leur viol est filmé ? À quelles politiques d’éducation de nos garçons dans nos familles et dans nos écoles ? À quelle remise en cause de nos valeurs ?

Car la pensée impulsée par les féministes dans les années 1970 prend enfin racine aujourd’hui : il est admis que le viol n’est pas une déviance sexuelle, mais qu’il s’agit d’une excitation liée au plaisir de dominer que peut ressentir « Monsieur Tout-le- », et que le viol perdurera donc tant que, dans notre société, la domination sera plus valorisée que le respect d’autrui. Tant que la violence et la dévalorisation d’autrui apparaîtront dans tant de films, de jeux vidéo, de scènes pornographiques, et dans tant d’imaginaires collectifs, comme des comportements mis en avant et présentés comme désirables.

Le procès d’Aix en 1978 nous apprend que la lutte contre le viol tombe toujours dans l’oubli lorsque ces questions ne sont pas réellement posées et traitées. Une nouvelle et formidable opportunité s’offre à nous aujourd’hui de construire une autre perspective. Comment nos politiques y répondent-ils ?

BIO EXPRESS

Marie Godo est professeure agrégée d’histoire. Ses recherches portent sur l’occupation de la rue par les mouvements féministes dans les années 1970 et sur l’histoire de la lutte contre le viol. Elle est l’auteure d’une thèse intitulée « Combattre le viol en reprenant la rue : les marches féministes nocturnes dans la seconde moitié des années 1970 ».

 
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