un récit historique de Julie Peyrard

un récit historique de Julie Peyrard
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Un petit contexte historique : On estime qu’en 60 ans de guerre, il y a eu 50 000 enlèvements tous belligérants confondus. Et il s’agit d’environ 21 000 concernant les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie, fondées en 1964). Aujourd’hui, 10 % des captifs ne sont jamais rentrés chez eux. Reprenant les paroles d’hommes politiques de premier plan : du président français Nicolas Sarkozy aux présidents colombiens Andres Pastrana et Alvaro Uribe, le film de Julie Peyrard traite davantage du passé que de l’avenir du pays. Mais une pointe de silence est proposée à la fin du récit pour montrer qu’il est encore difficile de rendre justice aux personnes qui ont perdu des membres de leur famille.

Quelle était votre connaissance du sujet et de la médiatisation des otages avant votre documentaire ?
Je suis franco-colombienne. Je suis né en Colombie en 1984 et j’y ai passé les cinq premières années de ma vie. Aujourd’hui encore, le côté maternel de la famille vit là-bas. Ce documentaire avait donc un aspect familial. L’enquêteur est mon cousin. C’est un jeune Colombien brillant qui possède des réseaux dans de nombreux secteurs liés à la justice et à la politique. Il nous a ensuite aidé à obtenir des noms de victimes, des contacts importants, comme l’armée qui nous a ouvert les portes de sa base. D’un point de vue personnel, ayant grandi en Colombie, les otages faisaient partie d’une grande histoire du pays que je voulais raconter. Je connais intimement ce thème de la violence colombienne, des attaques contre les personnes qui ont existé pendant les années les plus dures.

Politique Ingrid Betancourt revient sur son enlèvement par les FARC, entre 2002 et 2008, largement médiatisé en France. © CAPA

Au-delà de votre histoire personnelle avec la Colombie, la genèse de ce documentaire est-elle due au fait que les enlèvements continuent encore aujourd’hui ?
La Colombie a connu un sort étrange ces dernières années. C’est devenu très à la mode en termes de tourisme, ce qui nous rend très fiers, nous, Colombiens. Pourtant, depuis 5 ans, nous sentons que les violences commencent à reprendre. Mais ce n’est pas là la genèse du documentaire puisque le nombre de kidnappings n’est pas du tout comparable. En 2023, il y a eu 200 à 300 enlèvements alors que dans les années les plus sombres, il y a eu 1 000 enlèvements par an. Nous savons néanmoins que les factions qui n’ont pas signé l’accord de paix menacent ce processus de paix colombien. Nous avons voulu montrer que tant que les racines étaient présentes, c’est-à-dire les inégalités sociales et le trafic de drogue – les deux cancers colombiens – il fallait rester très vigilant même si la Colombie est encore dans une période d’espoir.

La cohabitation entre anciens membres des FARC et otages est-elle possible dans la durée ?
Il s’agit d’une question très polarisante. Il y a des gens qui pensent que ce n’est pas possible, qui ne veulent pas aller au supermarché avec d’anciens miliciens et anciens guérilleros qui ont signé l’accord en toute liberté, c’est viscéral. Et puis il y a les Colombiens qui sont prêts à s’entendre avec les FARC. Dans le documentaire, c’est le cas de Daniela Arandia, fille d’un géologue disparu. Malgré cela, depuis 2016, elle participe à toutes les marches pour la paix, elle s’adresse au public avec des paroles très tendres pour les FARC. Elle est évidemment déçue car elle aurait aimé en savoir plus sur la disparition de son père mais elle estime que vivre ensemble est possible. L’ancien chef des FARC a déclaré que « si d’autres pays ont réussi à sortir d’une guerre civile fratricide et extrêmement longue, nous ne pouvons pas être les seuls à ne pas réussir ».

Il ne s’agit pas simplement de leur réinsertion ou du droit au pardon, mais d’offrir aux FARC des mandats politiques, une véritable place active dans la société colombienne ?
Oui et c’est la base des accords. Les FARC n’auraient pas signé sans ces garanties. Nous n’avons pas pu tout mettre dans le documentaire mais c’est ce qu’ils nous ont répété à plusieurs reprises. Si aujourd’hui, ils comprennent qu’il peut paraître choquant pour certaines victimes d’avoir droit à une justice réparatrice et à des accords politiques, ils rappellent aussi qu’il s’agit d’une guerre politique. Les FARC n’auraient jamais rendu les armes s’il n’y avait pas eu une forme d’amnistie et la possibilité de transformer une lutte armée en lutte politique. Sans cela, ils n’auraient jamais choisi de mettre fin à la guerre.

Ex-combattante des FARC, Vanessa Garcia témoigne de son recrutement lorsqu’elle était adolescente. © CAPA

La qualité des intervenants dans ce documentaire est exceptionnelle. Comment les différentes approches ont-elles été possibles, notamment celle d’Ingrid Betancourt, un coup de projecteur sur les symptômes politiques et sociétaux d’une démocratie en difficulté ?
C’est un travail d’équipe et notamment la présence de Colombiens au sein de l’enquête. Ensuite, nous n’avions aucune contrainte de temps. Ce documentaire a commencé il y a trois ans. Nous avons par exemple pu rencontrer Ingrid Betancourt alors qu’elle était en campagne pour l’élection présidentielle colombienne de 2022. Elle était disponible pour évoquer les conditions de sa captivité et des éléments fondamentaux comme sa participation à la justice et son rapport à la douleur. Et c’est un peu la même chose pour toutes nos parties prenantes. Nous sommes dans une période très longue, sans stress et avec trois voyages à la campagne. Et, en effet, à partir du moment où les gens ont vu les acteurs qui avaient déjà pris la parole dans notre documentaire, ils ont été rassurés de se présenter devant notre caméra. Ce fut le cas de la magistrate chargée de la Juridiction pour la Paix Julieta Lemaitre Ripoll, qui est une personnalité importante et connue en Colombie.

Pour finir, pouvez-vous revenir sur l’une des images marquantes de la fin de votre documentaire : celles des archives commentées de la libération d’un groupe d’otages, dont fait partie Ingrid Betancourt ?
En effet, ces images de l’opération « Checkmate » sont emblématiques. Il n’y a aucun sous-texte à ce moment dans notre production mais nous sentons qu’il s’agit d’un tournant dans l’histoire. Ce succès militaire constitue une défaite médiatique majeure pour les FARC et constitue sans doute l’un des éléments qui composent le processus de paix. Ils assument ce revers qui, selon leurs mots, a été « joué avec brio ». Cela conduit 10 ans plus tard à la signature des accords. Pour nous qui sommes attachés à toutes les personnes rencontrées, c’est une scène tellement belle et symbolique. Mais aussi, ce qui était important c’était de ne pas se retrouver avec cette gifle des FARC. C’est là que Daniela Arandia est essentielle et est la clé du documentaire en me parlant des victimes qui ne sont pas revenues de leur enlèvement. Il y a toute une partie du pays à la recherche de ses morts. Certes, la signature des accords est une victoire mais aujourd’hui, il s’agit de rappeler que c’est une guerre qui fait de nombreux disparus.»

Le documentaire « Colombie : paix confisquée, paroles d’otages » est à retrouver en streaming après sa diffusion sur france.tv le 14 avril 2024, dans la rubrique Le monde face.

 
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