« Comment le boson de Higgs éclaire l’énigme de la masse », par Étienne Klein

« Comment le boson de Higgs éclaire l’énigme de la masse », par Étienne Klein
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Le physicien Peter Higgs est mort. Lauréat du prix Nobel en 2013, il a donné son nom au « boson de Higgs », une particule élémentaire dont l’existence avait été prédite dans les années 1960 et finalement attestée en 2012. Étienne Kleinun physicien et philosophe qui a consacré plusieurs écrits à ce sujet, nous explique les origines de cette découverte majeure.


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Peter Higgs est décédé le 8 avril 2024 à Édimbourg, en Écosse, à l’âge de 94 ans. Ce théoricien pur a reçu le prix Nobel de physique en 2013, conjointement avec François Englert, pour une idée qu’ils ont eu tous deux, séparément, en 1964 et à laquelle est associée une particule élémentaire qui porte depuis son nom : le boson de Higgs. L’homme, d’une modestie et d’une discrétion légendaires, avait compris mieux que personne le sens de cette phrase de Gaston Bachelard : « L’imagination doit prendre trop de temps pour que la pensée en ait assez. » La sienne, rigoureusement couplée à une grande maîtrise des mathématiques, l’amène à s’intéresser à la question de l’origine de la masse.

« La particule divine »

Comment se fait-il qu’on ait une messe ? Du fait que nous sommes constitués d’une matière elle-même massive, nous répondons spontanément, surpris même de pouvoir poser une telle question. En effet, dans notre esprit, les notions de masse et de matière semblent intriquées : nous sommes incapables de concevoir une chose matérielle qui serait sans masse, ni d’imaginer une masse qui ne serait pas incarnée d’une manière ou d’une autre. matière. Bref, la masse semble être une propriété à la fois évidente et obligatoire des choses matérielles.

Certes, mais tout cela ne nous dit pas d’où vient notre masse. Quelle est sa véritable origine ? Qui, la masse ou la matière, a fait office de poule, et qui a fait office d’œuf ? Notre corps étant constitué d’atomes, eux-mêmes constitués de particules élémentaires, cette question se transmue en cette autre : à quelle raison les briques élémentaires de la matière doivent-elles leur masse non nulle ?

Il se trouve que la bonne réponse à cette question, connue depuis peu, renvoie tous nos préjugés aux vestiaires. Car ce que les physiciens des particules ont découvert, c’est qu’au lieu d’être une propriété primitive des particules élémentaires, une caractéristique qu’elles portent « par elles-mêmes », qu’elles possèdent du seul fait qu’elles sont des particules de matière, leur masse apparaît plutôt comme n’étant qu’une masse. propriété secondaire et indirecte résultant de leur interaction avec le vide… qui n’est pas vide !

Tout cela, j’en suis conscient, nécessite quelques explications.

Polo quantique

Selon la physique quantique, pour que deux particules interagissent, elles doivent échanger « quelque chose », et ce quelque chose est une particule caractéristique de l’interaction impliquée. Par exemple, lorsque deux électrons se repoussent à cause de la force électrique qui tend à les éloigner l’un de l’autre, il faut imaginer qu’en réalité ils échangent des grains de lumière, c’est-à-dire des photons.

Une analogie nous aidera à mieux comprendre ici. Imaginons deux bateaux sur un étang dont chacun des occupants est privé de toute sorte d’objet pouvant l’aider à diriger son bateau. Il n’a ni rames, ni pagaies, ni perches. Supposons que les deux bateaux se dirigent l’un vers l’autre de telle manière que la collision semble inévitable.

Inévitable ? Pas assez. Car si l’un des occupants possède un objet massif, par exemple une balle, et le lance avec force au passager de l’autre bateau, qui le rejettera en arrière et ainsi de suite, les deux bateaux s’écarteront très peu. peu éloignés les uns des autres. Par l’intermédiaire d’un médiateur spatial, en l’occurrence le ballon, la succession des lancers va créer une force répulsive capable de modifier les trajectoires.

Cette image nous aide à comprendre une chose importante : puisqu’une balle très massive est condamnée à n’effectuer que des passes courtes, la portée d’une interaction (c’est-à-dire son rayon d’action) sera d’autant plus faible que la masse de ses particules médiatrices sera plus élevée. Par exemple, dans le cas de l’électromagnétisme, la masse des photons (qui sont ses « balles ») étant nulle, la portée est infinie.

Rapport de force(s)

Quatre interactions fondamentales ont été identifiés à ce jour par les physiciens : la gravitation, l’interaction électromagnétique et les deux interactions nucléaires, l’une dite « faible », l’autre dite « forte ». Au cours des années 1970, les physiciens ont pu démontrer que la force électromagnétique et l’interaction nucléaire faible n’étaient pas indépendantes l’une de l’autre, bien qu’elles soient phénoménologiquement très différentes : dans le passé très lointain de l’univers, elles n’étaient en réalité qu’une seule et même chose. la force, dite « électrofaible », qui dissocie ensuite : d’une part l’interaction électromagnétique, dotée d’une portée infinie ; de l’autre, l’interaction nucléaire faible telle que nous la connaissons, avec une portée très courte (moins de 10-15 mètres). Ils ont ensuite pu étendre ce type de considération à l’interaction nucléaire forte.

Le résultat de leur travail constitue le « modèle standard ” la physique des particules, dont les prédictions ont pu être testées très minutieusement grâce à de nombreuses expériences menées dans des accélérateurs ou des collisionneurs de particules. Dans la profondeur de ses axiomes, ce modèle standard s’appuie intelligemment sur la notion de symétrie. Une chose est dite symétrique si, après avoir subi une certaine transformation, son apparence n’est pas modifiée. Par exemple, si une boule parfaitement sphérique tourne sous n’importe quel angle autour d’un axe passant par son centre, cela ne change ni sa forme ni sa position. Dans le monde des particules élémentaires, des symétries intéressantes opèrent non pas dans l’espace ordinaire, comme dans l’exemple que je viens de citer, mais au sein de structures mathématiques plus abstraites. Ils semblent directement liés au comportement des systèmes physiques sous l’effet d’une force, et c’est pourquoi il peut s’avérer très fécond d’identifier les symétries qui régissent telle ou telle catégorie de phénomènes.

C’est ce qu’ont fait les physiciens, qui ont ensuite radicalisé cette approche : à chacune des interactions fondamentales, ils correspondaient à un groupe de symétrie spécifique, c’est-à-dire un groupe de transformations dont l’action n’a aucun effet sur la dynamique des phénomènes concernés, et ils ont pu établir que la structure de ce groupe, comme pour peu qu’il soit bien choisi, suffit à déterminer toutes les modalités de l’interaction en question.

La clé du terrain

Mais cette correspondance formelle, presque magique, entre symétries et interactions a fini par générer un problème irritant : les symétries ainsi mises en avant impliquaient que les particules médiatrices de toutes les interactions (les boules) devaient avoir… une masse strictement égale à zéro ! C’est bien le cas du photon, médiateur de l’interaction électromagnétique dont la portée – comme nous l’avons dit – est infinie, mais pas du tout celle des balles qui médiatisent l’interaction nucléaire faible, puisque celle-ci est de très courte portée : leur la masse est environ cent fois celle d’un proton !

Ainsi est apparu un désaccord flagrant entre la théorie (les calculs) et l’expérience (les mesures).. Cela posait un problème récurrent dans l’histoire de la physique : que faire lorsque les faits contredisent les prédictions d’une théorie par ailleurs solidement prouvée ? A chaque fois, deux hypothèses peuvent être envisagées. La première, dite « législative », consiste à considérer que les lois physiques sur lesquelles reposaient les prédictions théoriques ne sont pas aussi précises qu’on le croyait. Dans ce cas, ils doivent être corrigés. La seconde, dite « législative », consiste à continuer de faire confiance aux lois physiques, mais à modifier, à partir d’elles, l’interprétation du phénomène qui est venu les remettre en question. Par exemple, supposer qu’il existe « quelque chose », que l’on n’a pas encore identifié, qui, par sa présence, explique le désaccord observé.

La solution au « problème de masse » au sein du modèle standard est fascinante d’un point de vue épistémologique dans la mesure où elle mélange les deux options : il change la loi tout en complétant le mobilier ontologique de l’Univers. En effet, durant l’été 1964, François Englert et Robert Brout (décédé en 2011), de l’Université libre de Bruxelles, puis, indépendamment, Peter Higgs, de l’Université d’Edimbourg, a le premier postulé l’existence d’un champ quantique remplissant tout l’espace, a en revanche décrit comment les particules élémentaires, en réalité sans masse , interagissent plus ou moins fortement avec ce champ, ce qui a pour effet de ralentir leurs mouvements de la même manière que s’ils avaient de la masse !

Dans la soupe quantique

Bref, la masse ne serait qu’une propriété secondaire des particules, résultant du fait qu’ils « se frottent » contre le vide, plus précisément avec le champ qu’il est censé contenir, appelé « champ scalaire de Higgs ». Nous utiliserons ici une deuxième analogie : tout se passe comme si les particules élémentaires étaient des objets sans masse, comme l’indiquent les équations du modèle standard, mais équipés de skis et se déplaçant sur un champ de neige qui serait l’équivalent du scalaire de Higgs. champ; les particules aux skis parfaitement « fartés » se déplacent sans frottement, donc à la vitesse de la lumière, et leur masse apparente est nulle ; ceux dont les skis sont mal fartés glissent mal sur la neige, leur vitesse est inférieure à celle de la lumière et leur masse apparaît non nulle. La masse correspond alors à une mesure de la mauvaise qualité du fartage particulaire des skis…

C’est cette idée qui, après avoir été dûment mathématisée, s’est brillamment confirmée, après plusieurs décennies de traque, par la découverte en 2012, grâce au LHC, du boson de Higgs, la particule associée au champ éponyme. Le 4 juillet de la même année, Peter Higgs et François Englert, qui ne s’étaient jamais rencontrés auparavant, écoutaient, tranquillement assis dans le grand amphithéâtre du Cern, les présentations des expérimentateurs détaillant les résultats qu’ils avaient obtenus. En fin de matinée, les deux octogénaires comprirent que l’Univers ne soutenait plus les idées qu’ils avaient eues quarante-huit ans plus tôt.

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