« L’anti-intellectualisme attaque l’université comme un contre-pouvoir »

« L’anti-intellectualisme attaque l’université comme un contre-pouvoir »
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Anti-intellectualisme d’État et politique du genre et de la race : la France illibérale et au-delàÉric Fassin, CEUPress, 192 pages, 21,95 euros.

Dans son dernier ouvrage intitulé Anti-intellectualisme d’État et politique du genre et de la race : la France illibérale et au-delà, le sociologue Éric Fassin s’intéresse à la montée de l’anti-intellectualisme. Pour lui, cette tendance, qui se reflète dans les récentes attaques des politiques contre le domaine universitaire, est le marqueur d’un régime antilibéral.

Pourquoi y a-t-il aujourd’hui un anti-intellectualisme ambiant en Europe ?

L’anti-intellectualisme dont je parle n’est pas un trait culturel, lié par exemple à l’histoire des États-Unis, qui compte des intellectuels moins valorisés. C’est de l’anti-intellectualisme d’État. Il s’agit donc d’une logique politique soutenue par le pouvoir. On l’a vu avec les attaques contre la – supposée – « théorie du genre » : ce sont les études de genre qui sont visées, depuis le début des années 2010, en France, mais aussi plus largement en Europe, et en Amérique latine. .




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Quelques années plus tard, aux États-Unis, les Républicains s’en sont pris aux études critiques sur la race ; en France, le président dénonce l’intersectionnalité. Il ne s’agit donc pas seulement de la France ; mais la France, malgré sa tradition intellectuelle, ne fait pas exception non plus. Il y a donc une continuité entre la « démocratie illibérale » du Hongrois Viktor Orbán et ce que j’appelle la « France illibérale ». Au-delà des différences nationales, il s’agit d’une tendance mondiale, du Brésil de Bolsonaro à l’Argentine de Milei, des États-Unis de Trump à la Russie de Poutine.

Ce sont donc des attaques politiques contre la pensée ?

Oui, et qui se jouent notamment contre les universités et les universitaires. Les libertés académiques sont aujourd’hui menacées dans de nombreux pays. En France, le Premier ministre force la porte du conseil d’administration de Sciences Po, qu’il menace de rachat. Mais c’est l’école du pouvoir qui forme les élites ; mais on comprend aujourd’hui que ceux qui sont au pouvoir considèrent cette école comme leur truc.




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Ce problème de l’anti-intellectualisme crée-t-il aujourd’hui les conditions de l’illibéralisme en France ?

Ne croyons pas que l’anti-intellectualisme soit l’œuvre de personnes peu instruites : il est aussi porté par des intellectuels. N’imaginons pas non plus qu’elle ne concerne qu’une seule catégorie sociale, les professions intellectuelles. C’est la liberté académique qui est la cible des régimes autoritaires. À l’heure où l’indépendance des médias et de l’édition est fortement menacée, l’université reste un espace où le discours critique peut continuer d’exister : elle est un contre-pouvoir. Je suis fonctionnaire, mais l’État ne peut pas m’imposer ce que je dois dire dans mes cours, ni écrire dans mes textes.

Cette liberté est d’autant plus importante, et inquiétante pour certains, que l’université n’est plus réservée à une élite ; c’est une institution culturelle de masse. Pourquoi ces attaques contre les études de genre et les études critiques sur la race ? Parce que les nouvelles générations peuvent l’utiliser pour réfléchir aux questions qui les concernent, qu’il s’agisse de liberté, d’égalité ou d’identité. En d’autres termes, des choses se passent dans la société et en même temps à l’université : l’une nourrit l’autre et vice versa.

À l’ère du populisme démagogique, l’université conserve une ambition démocratique.

Il s’agit cependant d’un mouvement contraire à la dérive politique actuelle. En effet, la légitimité des universitaires repose sur l’obligation de tenter de ne rien dire, sous peine de discrédit auprès de leurs collègues. D’un autre côté, les politiques se permettent de plus en plus de dire n’importe quoi, pas seulement des mensonges, mais des choses qui n’ont aucun sens, sans aucun lien avec la réalité. Trump peut dire et faire n’importe quoi sans perdre de voix. À l’ère du populisme démagogique, l’université conserve une ambition démocratique.

Faut-il ramener la scientificité du monde académique dans l’espace public, pour trouver un cadre plus propice à l’instauration d’une démocratie libérale ?

Ce n’est pas à la science de nous dire ce que nous devons faire. La démocratie est basée sur des valeurs et non sur des vérités. D’un autre côté, la connaissance critique nous donne des outils pour penser par nous-mêmes. C’est précisément pour cela qu’ils sont attaqués : ils remettent en question l’ordre mondial. Ainsi en est-il du genre : en principe, nos sociétés exigent l’égalité entre les sexes ; Mais l’inégalité est la règle. Le concept de genre nous donne un outil pour comprendre que cela se produit à travers les normes sociales. Cela brise la fausse évidence du mot « sexe », qui donne l’illusion de savoir de quoi on parle.




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Toutefois, l’engagement en faveur de la démocratie n’est pas la seule responsabilité des universitaires. La préoccupation démocratique traverse toute la société, dans la politique ou le journalisme, l’édition ou le syndicalisme, etc. L’anti-intellectualisme d’État n’est donc pas seulement l’affaire des universitaires ou des « intellectuels ». Nous vivons une époque en France où le ministre de l’Intérieur se présente comme le ministre de la Police : ainsi, Gérald Darmanin les défend coûte que coûte.

L’anti-intellectualisme signale une menace anti-démocratique.

En revanche, les ministres de l’Éducation nationale, de Jean-Michel Blanquer à Amélie Oudéa-Castéra, ou de l’Enseignement supérieur, comme Frédérique Vidal, sont volontiers contre les enseignants. Ce contraste est un symptôme des régimes autoritaires : l’anti-intellectualisme signale une menace anti-démocratique.

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