« Nous ne pouvons changer l’agriculture que collectivement »

Cet article sur le projet de fonds social à Saint-Étienne est le premier d’une série en trois parties sur la sécurité alimentaire sociale. Les deux autres parties paraîtront demain.

« Imaginez : on pourrait manger mieux sans être dépendant des supermarchés ! » Farid vit à Saint-Étienne (Loire) et participe avec bonheur à la construction d’un fonds alimentaire social. Une quarantaine de personnes étaient réunies ce soir-là, avec l’envie d’en faire l’expérience dès le second semestre 2024. [voir notre boîte noire].

Dans le cadre de cette réunion qui se tient tous les deux mois, les participants ont relu ensemble la charte des valeurs du fonds sur laquelle ils ont travaillé ces dernières semaines. « Pouvoir se nourrir devient une préoccupation angoissante pour de plus en plus de familles en et dans le bassin stéphanois »mentionne le document.

A Saint-Étienne, près d’un quart des ménages vivent sous le seuil de pauvreté, soit 40 000 ménages. « Cette progression de la précarité, comme l’insatisfaction alimentaire, est liée au déclin de l’agriculture paysanne et à la précarité des paysans »précise cette même charte.

« Les obstacles à l’alimentation pour des raisons financières sont très fortsobserve Thomas Benoit, de la Fabrique de la transition, un regroupement d’associations et de coopératives du bassin stéphanois. Beaucoup de gens veulent manger mieux, mais n’en ont pas les moyens.»souligne celui qui co-anime l’assemblée.

Josiane Reymond, fondatrice de l’association Terrain d’Entente, constate également une explosion des problèmes de surendettement et un recours accru à l’aide alimentaire : « Cela génère une insatisfaction entre la nécessité de se justifier et l’insuffisance en qualité et en quantité. »

Un autre modèle agricole

Cette assemblée est à l’initiative du collectif Loire Food Solidarity, qui regroupe différentes associations locales. Ce collectif a multiplié les expérimentations ces dernières années : paniers solidaires, points de distribution à prix coûtant, ou encore l’initiative « De la ferme aux quartiers », dont nous vous avons déjà parlé sur Basta ! « Il y a de beaux projets alimentaires à Saint-Étienne depuis dix ans, mais toutes ces alternatives ne sont pas subversives pour le système agro-industriel »note Florent Truchet de La Fourmilière, supermarché coopératif de Saint-Etienne.

« Toutes nos alternatives sont en grande difficultédéplore à ses côtés George Günther, co-organisateur des Verts de terre, la foire de l’agriculture paysanne de Saint-Étienne. On est dans des niches et quand c’est plein on n’y arrive plus. Nous ne pouvons changer l’agriculture et l’alimentation que collectivement, et pas seulement à travers des pratiques individuelles, en établissant une démocratie alimentaire fondée sur les institutions. Il faut institutionnaliser un autre modèle agricole ! »

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Soirée publique sur le fonds social.

©Fonds Social Alimentaire de Saint-Etienne

Leur idée de fonds social s’inscrit dans un projet national : la Sécurité Alimentaire Sociale (SSA). Florent Truchet vient de rentrer, enthousiaste, des réunions du collectif national du SSA. « Il y a beaucoup de projets d’expérimentation avec des caisses comme la nôtre, partout en France »comme ceux de Montpellier (Hérault) et Cadenet (Vaucluse) [des reportages à leur sujet seront publiés demain]. « On se nourrit de ce qui s’y passe pour nos réflexions intérieures, et on invente quelque chose de propre à Saint-Étienne »il ajoute.

Inspirez-vous de la Sécurité Sociale de Santé

A l’assemblée, tout le monde n’est pas forcément très clair sur ce qu’on entend par « sécurité alimentaire sociale ». Florent Truchet rappelle les trois piliers de ce projet : « l’universalité » d’abord, au sens où tout humain y a droit. Vient ensuite « l’accord démocratiquement organisé ». « Concrètement, nous choisirons des agriculteurs, des commerçants, des Amap (associations pour le maintien de l’agriculture paysanne)… qui rejoindront le réseau, une fois que nous nous serons mis d’accord sur ce qu’est la qualité de l’alimentation. . Il s’agit bien d’une démocratie alimentaire, un droit retiré à la majorité de la population le reste du temps. »explique l’homme.

Le financement par cotisations constitue le troisième pilier. Ce mode de financement s’inspire de l’histoire de la Sécurité Sociale, rappelle l’un des participants, Vincent Bony, lors de cette assemblée. Pour qu’on le comprenne, il montre à chacun sa carte vitale qui donne droit aux soins. « Cette carte date d’après-guerre. A l’époque, un régime général fut créé. Au début, ce sont les travailleurs qui décidaient, au niveau national, du niveau des cotisations. » [1].

Le principe est le suivant : ceux qui travaillent contribuent selon leurs moyens, et chacun reçoit selon ses besoins. « L’idée ici, avec le fonds social, c’est de faire quelque chose de similaire en adaptant cette assiette de la Sécurité sociale à l’alimentation.souligne Vincent Bony. Ce n’est pas parce que nous sommes riches que nous avons plus le droit d’accéder à une alimentation de qualité. »

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Dans une serre, sur un site maraîcher géré par Coop’Sol42, dont une partie des bénéfices doit être reversée au fonds social.

©Fonds Social Alimentaire de Saint-Etienne

Georges Günther insiste : « Il est essentiel que le financement se fasse par les cotisations sociales et non par les impôts, pour des raisons d’indépendance et de pérennité. En retranchant sur la fiche de paie, on ne passe pas par le budget de l’Etat, quels que soient les changements politiques. »

Dans le cadre de ce fonds, chaque personne contribuerait au minimum 20 euros chaque mois qu’elle verserait au fonds. En échange, chaque contributeur bénéficierait d’un « droit à une alimentation sélectionnée », d’un montant minimum de 60 euros, avec lequel il pourrait acheter ses produits alimentaires dans un magasin agréé. « Nous contribuons ensemble, de chacun selon ses possibilités, à chacun selon ses besoins »résume Josiane Reymond.

Contributions en temps et en argent

Des questions se posent pour construire l’équilibre économique du fonds. A Saint-Étienne, le fonds social devrait être financé non seulement par les cotisations, mais aussi par les bénéfices d’une cantine solidaire, ainsi que par la vente de denrées alimentaires issues du maraîchage sur un terrain mis à disposition par un agriculteur et par un lycée agricole. .

Trois personnes animent ce projet maraîcher, destiné à un public précaire, avec l’association Coop’Sol42. Au total, 3000 mètres carrés de terres sont cultivées sur les communes limitrophes de Saint-Étienne. « Une cinquantaine de personnes sont venues au moins une fois, et certaines sont très impliquéesnote Philippe Pupier qui codirige les projets. 90% de la production est vendue dans les épiceries sociales. Nous avons fait deux marchés dans un quartier de Saint-Étienne et nous avons également fait un don à une cantine solidaire. »

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Les futurs contributeurs cueillent des pommes de terre.

©Fonds Social Alimentaire de Saint-Étienne

Josiane Reymond fait partie du collectif autogéré qui a lancé en janvier une cantine solidaire dans le quartier stéphanois de Beaubrun. « La première plantation de pommes de terre a eu lieu il y a deux ans »elle se souviens. « Nous avons récupéré 800 kilos ! Nous n’avions pas forcément l’idée au moment de lancer une cantine, mais l’opportunité d’un emplacement s’est présentée. L’idée est d’offrir un espace pour se retrouver, échanger, manger un vrai repas, le tout à prix libre. »

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Un homme âgé se sert un verre dans une chambre
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À la cantine solidaire du Terrain des Saveurs

©Fonds Social Alimentaire de Saint-Etienne

La cantine du Terrain des Saveurs, tenue par des femmes du quartier, se tient actuellement tous les mardis, avec des produits des récoltes et des invendus. « Avec les petits bénéfices que nous réalisons, l’objectif est double : des bons d’achat en gros sont remis chaque mois aux cuisiniers, et une partie de l’argent sera versée au fonds social »poursuit Josiane Reymond.

Des discussions sont en cours pour que ce volontariat soit valorisé dans le cadre du fonds social. Deux formes de contributions pourraient ainsi émerger : les contributions en temps et les contributions monétaires. « Lors d’une récente réunion, nous avons convenu que les contributeurs de temps devraient être reconnus dans leur production de valeur.précise Josiane. Ils contribueront à un niveau différent, mais cela reste à clarifier avec les personnes concernées. Il y a un véritable engouement : lors du dernier « café des femmes », une trentaine de personnes sont venues parler du fonds social. »

Mangez moins de produits transformés

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Femmes mangeant de la nourriture sur de grandes tables
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Les contributeurs ont cuisiné.

©Fonds Social Alimentaire de Saint-Etienne

Ce projet de fonds suscite l’enthousiasme des producteurs du secteur. « L’un des enjeux est de faire en sorte que la population consomme moins de produits transformés, conditionnés en petites quantités par l’industrie agroalimentaire.réagit Nicolas Clair, porte-parole de la Confédération paysanne de la Loire. Dans le cadre de l’accord à mettre en place, l’alimentation doit être réorientée vers les produits bruts. Cela implique par exemple que les consommateurs acceptent d’éplucher leurs légumes. Nous devons débattre et décider collectivement des aliments subventionnés. »et donc agréé dans le cadre de ce fonds social.

Le projet intéresse également Stéphane Rouvès, agriculteur-boulanger de la Loire : « Il est frustrant de nourrir uniquement ceux qui en ont les moyens financiers. Si je pouvais approvisionner toutes les catégories sociales en pain bio pour terminer ma carrière, je serais le plus heureux des agriculteurs. Cela pose également la question du statut des agriculteurs. Être entrepreneur semble intouchable. Mais pourquoi ne pas envisager l’emploi des agriculteurs dans le cadre de l’accord ? »

Jusqu’à la mise en œuvre du fonds cet automne, l’assemblée continuera de se réunir régulièrement. « L’expérience de chacun est nécessaire pour construire notre fonds »souligne Florent Truchet, avec cette envie que ce soit « ce sont vraiment les citoyens qui décident ». Au fil des échanges, les mots « espoir », « solidarité » et « démocratie » se conjuguent avec l’impatience que le projet se concrétise. L’arrivée d’un salarié en mai pour coordonner le fonds social devrait accélérer la dynamique. Ce qui ravit Josiane : « Il y a une vraie envie de vivre ça. »

Sophie Chapelle

Photo de Une : Contributeurs « Temps » au fonds social/© Caisse sociale de l’alimentation de Saint-Étienne

 
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