Pourquoi il n’est pas si simple de dire que les règlements de comptes deviennent de plus en plus violents

Pourquoi il n’est pas si simple de dire que les règlements de comptes deviennent de plus en plus violents
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Les assassinats, tentatives d’assassinat entre malfaiteurs et règlements de compte en France ont augmenté de 38 % en 2023 par rapport à 2022. Mais comment interpréter cette hausse ? Franceinfo a interrogé trois sociologues spécialisés sur la question.

En 2023, 418 personnes ont subi des assassinats entre casseurs, des tentatives d’assassinats entre malfaiteurs et des règlements de comptes, contre 303 en 2022, selon la police judiciaire. La PJ fait aussi volontairement une distinction entre ces différents actes de violence. Le terme « règlement de compte » est un terme policier qui renvoie à une définition assez précise.

Il désigne un assassinat entre groupes criminels bien identifiés, au mode opératoire professionnel, dans le but d’affaiblir l’adversaire. Ces règlements de compte à proprement parler ont également augmenté. Pour l’année dernière, ils étaient 85 contre 67 en 2022, soit 20 % de plus. Si Marseille en compte à elle seule 49, elle n’est pas la seule ville concernée : Nantes, Grenoble, Amiens, Dijon, Valence, Besançon ou encore Lyon en comptent également.

Par exemple, en avril et mai derniers, quatre personnes ont été tuées lors d’affrontements entre groupes criminels à Valence dans la Drôme. La ville de Dijon est également touchée avec deux meurtres en quatre jours cette semaine. « Ces villes moyennes voient arriver des équipes marseillaises pour monter un marché, et faire en sorte que ce marché soit le plus prolifique possible », explique le premier secrétaire général adjoint du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI). Il souligne en outre que « nous avons affaire à une délinquance de plus en plus violente ».

Selon les forces de l’ordre, les délinquants n’hésitent plus à tirer pour tuer voire terroriser le camp adverse. L’usage des armes, de plus en plus souvent en temps de guerre, serait également débridé«parfois avec des utilisateurs de plus en plus jeunes», observe Didier Rendu. L’année dernière, parmi les 8 000 armes saisies dans toute la France par la police, près de 300 étaient des armes de guerre. « On tire pour un oui ou un non, avec des armes de guerre »déplore le syndicaliste qui regrette aussi de voir « des gens qui n’ont plus vraiment aucune notion de la vie humaine ».

Alors comment comprendre ces chiffres ? Sociologue Anne Kletzlen, chercheuse associée à Mesopholis et auteur de l’ouvrage Bandits contre bandits. Les règlements de compte à Marseille dans les années 2000publié en 2020, admet qu’il y a “actuellement une explosion de cette violence”. Mais elle se souvient que “ce n’est pas nouveau” : « le banditisme a des sommets », elle explique.

« Dans les années 1980, lorsque Gaston Deferre était maire de Marseille et ministre de l’Intérieur, on a aussi connu beaucoup de règlements de compte. »

Anne Kletzlen, sociologue

sur franceinfo

C’est ce que confirme Claire Duport, sociologue et chargée de recherche à Transverscité, à Marseille. « Jusqu’en 2023, il y a eu moins de règlements de compte qu’en 1986, où à l’époque il y avait beaucoup moins de points de deal »affirme-t-elle, s’appuyant notamment sur les travaux menés par le chercheur Laurent Mucchielli. « Ce qui n’enlève évidemment rien à la violence de ces assassinats »précise-t-elle.

Alors, peut-on dire que le curseur de la violence s’est déplacé ? Ces délinquants repoussent-ils toujours plus loin les limites de la violence ? « La différence avec les décennies précédentes est que, notamment dans le Sud, il y a un usage banalisé des armes de guerre »» précise Anne Kletzlen, confirmant ce que constate également la police. “L’utilisation d’armes lourdes signifie que nous “pulvérisons”. On va à un point de deal et on tire dans la pile”acquiesce Claire Duport, rappelant également que certaines personnes tuées à Marseille n’avaient absolument rien à voir avec le trafic de drogue, mais étaient « mauvais endroit, mauvais moment ».

Anne Kletzlen n’hésite pas à parler d’un rajeunissement des délinquants impliqués dans les trafics. « Aujourd’hui, il y a une explosion de jeunes. A l’époque, quand on s’est lancé dans le trafic de drogue on est arrivé beaucoup plus tard, on a commencé par des petits larcins… Aujourd’hui, c’est plus simple d’entrer, on va même les chercher : les réseaux recrutent via les réseaux sociaux, et pour Marseille, on recrute même à l’extérieur la ville”souligne-t-elle. « De nombreux mineurs se lancent dans le trafic, parfois d’abord pour payer leur propre consommation »ajoute-t-elle en évoquant “une forme d’addiction” à la violence. «Ceux qui l’ont vu depuis l’enfance, c’est plus facile pour eux de s’y mettre. Pour eux, la délinquance, c’est même une forme de reconnaissance, c’est un peu comme la famille.» dit Anne Kletzlen.

Des propos que Claire Duport tempère. « Les mineurs ne sont pas du tout majoritaires, mais c’est vrai que dans les années sanglantes à Marseille, on voyait des gens dans la trentaine et plus. Aujourd’hui, nous voyons des plus jeunes. Mais les témoignages recueillis lors des travaux menés sur l’histoire des trafics nous montrent bien qu’il y a toujours eu des jeunes qui jouent aux petites mains.. S’ils ne sont pas du tout majoritaires, “ils sont plus visibles”note le chercheur : «Ils sont dans la rue, ce sont eux qui se font prendre.».

Il est cependant clair que « ce ne sont plus les mêmes mondes : jeJusque dans les années 1990, on assistait à une forme de basculement du banditisme, avec par exemple d’anciens braqueurs passant de cette activité au trafic de drogue. drogues», explique Claire Duport. Et de rappeler que la consommation de drogue, en 20 ans, a elle aussi explosé.

“Aujourd’hui, la circulation est devenue beaucoup plus accessible.”

Claire Duport, sociologue

sur franceinfo

Sur la question de l’implication des jeunes dans le trafic de drogue et de leur rapport à la violence, il est encore difficile de distinguer entre impression et réalité. Le rajeunissement des acteurs du trafic peut-il expliquer l’augmentation du nombre de décès ? C’est l’une des questions que se pose Marwan Mohammed, chercheur au CNRS. “Ça a l’air beaucoup plus amateur, plus jeune, moins encadré”note-t-il, évoquant l’hypothèse d’un «Ubérisation des règlements de comptes» avec « des personnes moins formées qui causeraient plus de morts ».

Le sociologue note que « les cibles sont beaucoup moins centrales, on tue les guetteurs plutôt que d’attaquer les responsables ». Mais Marwan Mohammed reste “très attentionné”prévoyant de revenir prochainement sur le terrain pour se confronter à cette hypothèse.

 
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