Critique Drame de Teddy Lussi-Modeste, avec François Civil, Shaïn Boumedine, Bakary Kebe (France, 1h32). En salles le 27 mars ★★★★☆
Par Xavier Leherpeur
Publié le 26 mars 2024 à 18h01
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Julien enseigne la littérature avec une passion qu’il espère transmettre. Mais l’étude d’un poème d’amour, un exemple maladroitement choisi pour illustrer une flatterie galante, un regard mal interprété, et tout s’écroule. Un de ses élèves porte plainte contre lui pour harcèlement. Le frère de ce dernier, petit tyran jouant la carte d’un patriarcat abusif avec des menaces répétées contre l’enseignante et sa sœur, veut répondre au délit reproché par la violence. Bizarrement, l’accusé refuse de révéler son homosexualité, ce qui pourrait (peut-être) l’exonérer. Quant au corps enseignant, ils se divisent et changent progressivement de camp pour finir par laisser tomber ce collègue gênant.
« Pas de vagues » pourrait être un réquisitoire contre l’inertie de l’Éducation nationale, qui abandonne à des destins parfois tragiques des enseignants qui viennent de faire leur métier de citoyens. Il pourrait aussi s’agir d’un portrait réducteur de banlieues périphériques où les replis identitaires sont exacerbés. Le troisième long métrage de Teddy Lussi-Modeste est bien plus subtil et intelligent que cela. Racontée de l’intérieur, le point de départ de cette histoire étant en partie autobiographique, elle évite tout jugement sommaire. Et s’attache à mesurer les différentes étapes d’étranglement dont sont victimes les protagonistes. Celle de Julien cachant son orientation sexuelle à un milieu social qui pourrait ne pas être ouvert à cette révélation. Celui de cette adolescente perdue et confuse, déjà victime désignée des discriminations et du regard oblique de ses pairs. Celui de son frère, un danger imminent et grandissant mais que la caméra refuse de stigmatiser.
Une autre idée pertinente ? Montrant les répercussions de ce drame latent dans la vie intime de son héros, mais aussi la manière dont l’angoisse de Julien se reflète sur le couple qu’il forme avec Walid et l’incompréhension impuissante de ce dernier. Les personnages ont tous une face cachée, qui évite au récit de tomber dans la schématisation et lui confère une complexité supplémentaire – une complexité sur laquelle se greffe intelligemment une mise en scène tranchante, tendue mais jamais mécanique, ainsi que l’interprétation d’une justesse impeccable de François Civil.
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