A tout juste 27 ans, le caïd Dave Turmel mène une improbable rébellion contre les Hells Angels. Celui surnommé « Pic » a rallié derrière lui une bande de trafiquants indépendants ou issus de gangs de rue, qui refuser de payer des frais aux motocyclistes, comme c’est la règle sur le marché du médicament au Québec depuis dix ans. Le conflit a provoqué une explosion de violence dans la région de la capitale depuis le printemps 2023 et met les redoutables Hells sur la défensive.
Notre Bureau d’Enquête dresse le portrait de ce gangster téméraire.
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Dave « Pic » Turmel n’inspire pas seulement la peur parmi les Hells Angels. Même ses proches ont peur de parler du patron de 27 ans.
«Nous nous soucions de nos vies», a plaidé l’une des personnes de son entourage contactées par notre Bureau d’enquête.
Sous couvert d’anonymat, certains nous l’ont pourtant décrit comme un gars « de bonne famille » mais qui n’était « pas timide ».
Dave Turmel a posté cette photo de lui en 2019.
Photo prise depuis Facebook
“C’est une personne intelligente qui avait l’intelligence nécessaire pour aller à l’université”, a déclaré l’un d’eux. Mais il a choisi une autre voie… »
Soirée d’anniversaire dramatique
Enfant unique, Turmel est né en 1996, l’année où le célèbre tueur à gages Gérald Gallant, à la solde de la Rock Machine, a criblé de balles les Hells Angels Bruno « Cowboy » Van Lerberghe, après avoir mangé des spaghettis dans un restaurant québécois. La guerre des motards, qui a fait 165 morts, faisait alors rage dans la province.
Hells Angels Bruno « Cowboy » Van Lerberghe, après avoir mangé des spaghettis dans un restaurant québécois, le 17 décembre 1996.
Photo d’archive Léopold Rousseau / Le Journal de Québec
« Malgré le soutien de parents adéquats, il a montré des problèmes relationnels dès son plus jeune âge. Il a été expulsé de la maternelle pour non-respect des règles», a même raconté la juge Johanne Roy en lui imposant sa première peine d’incarcération.
- Écoutez l’entrevue d’Éric Thibault, journaliste au bureau d’enquête, via QUB :
Turmel a pris « l’autre chemin » le soir de sa majorité, le 3 mai 2014. Il a d’abord célébré ses 18 ans en allant voir un spectacle de hip-hop dans une salle communautaire de Lévis. A la sortie, les esprits s’échauffent et la soirée prend une tournure dramatique.
« Il y avait près de 300 jeunes [dehors]. Un groupe a voulu venir au bar vers 2 heures du matin. Les jeunes avaient bu, dont un qui buvait à la bouteille. Il était impoli », rapportait alors le journal. Revue Québec Nathalie Sirois, qui dirigeait le bar Le Xanthie.
Le bar Xanthie, à Charny, sur la Rive-Sud de Québec.
Photo DIDIER DEBUSSCÈRE/JOURNAL DE QUÉBEC
Le gars « grossier » avec la bouteille d’alcool était Dave Turmel.
Dave Turmel a publié cette photo sur son profil Facebook à l’été 2015.
Photo prise depuis Facebook
« Nous ne les avons pas laissés entrer », a ajouté Mme Sirois. “Quelqu’un a eu la brillante idée de sortir un couteau.”
Lors d’une mêlée qui a éclaté sur le parking du bar, Turmel a poignardé un jeune homme d’une vingtaine d’années aux côtes et à la hanche, ainsi qu’un garçon de 16 ans qui a subi une perforation du poumon. Heureusement, une infirmière cliente du bar a rapidement prodigué les premiers soins aux blessés les plus blessés avant l’arrivée des ambulanciers.
Ne pas suivre les règles
Turmel a été accusé de deux tentatives de meurtre et est resté en détention en attendant son procès. En prison, le coupable a été attrapé avec une pioche artisanale qu’il avait fabriquée lui-même.
Il a plaidé coupable à des accusations réduites de voies de fait graves à l’automne 2015. La juge Johanne Roy l’a condamné à 22 mois d’emprisonnement supplémentaires à la détention provisoire déjà purgée, estimant que le risque de récidive était « pupillaire ».
L’agente de probation Marie-Ève Migneault avait également informé le juge que Turmel devrait « travailler [sur] ses problèmes de violence et de consommation », ainsi que ses « difficultés à respecter les règles ». Dix ans plus tard, ce sont les règles imposées par les Hells Angels auxquelles Turmel refuse de se soumettre.
“Il joue au mafieux”
Son ascension dans le crime organisé a commencé après avoir purgé sa peine, lorsque « Pic » a commencé à vendre des stupéfiants et à développer son propre réseau de trafic.
Dès 2016, la police avait obtenu des informations selon lesquelles Turmel et ses vendeurs s’approvisionnaient auprès de Mathieu Pelletier, dont le père, Marc, faisait partie des Hells Angels qui ont fondé le chapitre du gang de motards à Québec en 1988.
Mathieu Pelletier, membre en règle des Hells Angels
Photo gracieuseté
Comme les Hells du temps de leur ancien chef Maurice « Maman » Boucher, Turmel « n’hésite pas à intimider ses concurrents afin de prendre plus de place » sur le marché de la drogue à Lévis, peut-on lire dans des documents policiers que notre Bureau de Enquête consultée.
Marc Pelletier, membre en règle des Hells Angels de la section québécoise et père de Mathieu Pelletier, photographié lors des funérailles des Hells André Sauvageau en juin 2019, à Montréal.
AGENCE Photo QMI, MAXIME DELAND
En plus du trafic de drogue, Turmel est impliqué dans le proxénétisme. Les jeunes femmes employées par son réseau auraient travaillé aussi loin qu’Ottawa, Toronto et Winnipeg, selon les rapports de police.
Une de ses ex-prostituées nous l’a décrit comme « agressif » qui « joue au mafieux ».
Près d’un gang violent de Montréal
En mars 2019, Turmel est retourné en prison après avoir été arrêté à Montréal avec un pistolet semi-automatique chargé de calibre .45.
Libéré au terme d’une peine « bonus » de 12 mois, Turmel a pris la tête d’un groupe criminel appelé Blood Family Mafia, que les autorités policières hésitent à qualifier de gang de rue. Cela n’empêche pas Turmel et sa bande d’avoir noué des liens forts avec l’un des gangs de rue les plus violents du secteur nord de Montréal, les Profit Boys.
Dave Turmel a posté cette photo sur son Facebook en juin 2016.
Photo prise depuis Facebook
Ce gang lié aux Rouges a joué un rôle majeur dans la recrudescence des fusillades qui secoue la métropole depuis 2019, selon nos rapports de police.
« Il y a certainement des liens, car nous arrêtons beaucoup de [membres de gangs] de Montréal dans la région», a reconnu le chef de la police du Québec, Denis Turcotte, en entrevue réalisée pour l’émission je.
Rébellion
Dave Turmel est désormais répertorié comme le chef d’un des 80 groupes criminels les plus actifs et les plus dangereux au Québec, selon les documents policiers que nous avons consultés.
« Son organisation présente un risque important » pour la sécurité publique, selon ces rapports qui mentionnent que le gang Turmel prône l’usage des armes à feu pour arriver à ses fins.
Début 2023, Turmel a découvert une balise GPS sous son véhicule, ce qui lui aurait fait craindre pour sa sécurité. Soupçonnant son ex-fournisseur Mathieu Pelletier d’être à l’origine de cette affaire, il tourne le dos aux Hells Angels et commence à bafouer les règles du marché de la drogue, établies par les motards.
Le 7 mars 2023, la résidence de Mathieu Pelletier a été la cible de coups de feu, quelques mois avant qu’il n’obtienne ses écussons de membre des Hells du chapitre québécois.
Plusieurs dizaines d’actes de violence liés à l’affrontement du gang du « Pic » Turmel avec les Hells ont été enregistrés par la police au cours de la dernière année, dont le meurtre de Michel Guérin, un ancien espoir des Hells, abattu le 27 novembre à Québec. Les motards avaient chargé Doune Guérin de régler le différend sur le paiement de la « taxe » qu’ils réclament aux trafiquants, une redevance représentant 10 % de leurs ventes.
Des méthodes terrifiantes
Selon nos sources, le gang « Pic » utilise également pour arriver à ses fins des méthodes d’intimidation inspirées des gangs de rue et des impitoyables cartels de la drogue mexicains. Des individus ont ainsi été victimes de violences et de tortures, nos sources policières faisant état de doigts et d’oreilles coupés. D’ailleurs, ces gestes auraient été filmés et diffusés.
De plus, il semblerait que Turmel sache recruter des soldats qui en voudraient aux Enfers.
Le 6 décembre, la Sûreté du Québec a arrêté trois hommes lourdement armés en Beauce, car les policiers détenaient des informations faisant craindre que le trio allait commettre un meurtre aux dépens des motards.
L’un des membres de ce trio est Vince Bergeron, 26 ans.
Vincent Bergeron
Photo gracieuseté
Son père, Mario Bergeron, a été assassiné en 2008 alors qu’il était porte-couleur des Hells dans la section québécoise. La police pense qu’il a été victime d’une purge interne car les motards le soupçonnaient d’avoir volé de la drogue à l’organisation pour financer sa consommation personnelle, a rapporté Le journal en 2016 après avoir eu accès aux confidences de l’ex-Hells Dayle Fredette, devenu informateur dans l’opération SharQc.
Hells Mario Bergeron, en pantalon camouflage gris, en République Dominicaine en 2008, quelques mois avant d’être victime d’une purge interne.
Photo gracieuseté
En négociation
La police confirme que les Hells tentent de négocier avec les trafiquants récalcitrants pour sortir de cette impasse, sans déclencher une nouvelle guerre sanglante comme celle qu’ils ont menée contre les Rock Machine.
Dave Turmel, recherché par la police depuis plus de six mois pour des délits liés à la drogue et à la violence, aurait fui le pays et continue de diriger sa rébellion à distance. Selon nos sources, il se cache en Europe.
Dave Turmel, à droite, 27 ans, et Roobens Denis, 31 ans, sur une photo non datée publiée par la Sûreté du Québec en juillet dernier, alors qu’ils recherchaient les deux individus pour une affaire de drogue.
Photo fournie par le SPVQ
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