La planète tennis va retrouver son facteur X. Son bouchon ne tourne pas en rond. Blessé de longue durée au genou puis au poignet, ce qui l’a privé des deux dernières saisons, Nick Kyrgios, 29 ans, va enfin retrouver la raquette sur le circuit ATP près de Brisbane pour lancer l’année 2025. Et pour le coup À cette occasion, le public australien aura droit à une double ration de son enfant terrible puisqu’en plus du tournoi en simple, il fera équipe avec Novak Djokovic. Nul doute que les caméras seront braquées sur celui qui ne laisse personne indifférent. Et le jeu ne s’en plaindra pas. Voici pourquoi.
Parce qu’il est une assurance spectacle en lui-même
Il y a peu de joueurs dont les fans de tennis veulent regarder les matchs, quel que soit l’adversaire qu’ils affrontent. Ce fut le cas de Roger Federer en son temps, dans la mesure où le public savait qu’il aurait de toute façon droit à des flashs dont seuls les Suisses avaient le secret. C’était également le cas de Rafael Nadal, dont le coup droit au lasso inégalé et la soif constante de combat, comme un taureau dans l’arène, avaient quelque chose de magnétique. Mais à l’heure où il ne reste plus qu’un monstre du Big 3, Novak Djokovic, le circuit manque de profondeur.
Côté tennis, Carlos Alcaraz, dans sa dimension créative, se démarque certainement du lot. Mais on constate une tendance à l’uniformisation des styles avec le ralentissement général des surfaces et des balles dont le poids et la qualité sont régulièrement critiqués. Pourtant, Nick Kyrgios est un joueur différent, atypique, dont l’aisance technique est si exceptionnelle qu’il donne l’impression de jouer en marchant. Souvenez-vous : il s’est fait connaître du grand public à l’âge de 19 ans en battant Nadal en huitièmes de finale à Wimbledon 2014 lors d’un match où il a décoché de somptueux shoots dont un « tweener » gagnant contre le filet.
Kyrgios en Australie, le spectacle avant tout : son Top 5 points à Melbourne
Crédit vidéo : Eurosport
L’intéressé confiait récemment qu’il trouvait le monde du tennis ennuyeux. L’est-il vraiment ? “Cela dépend de ce que tu appelles ennuyeuxconfie Mats Wilander, consultant pour Eurosport. Si on parle de niveau pur, c’est tout sauf ennuyeux. Ces gars sont si bons ces jours-ci, si bien préparés, si forts, si rapides, ils frappent fort la balle, ils sont vraiment forts mentalement. Est-ce ennuyeux ? Peu de joueurs cassent leur raquette, il y a des préadolescents ici et là. Avant, c’était un divertissement, mais désormais, les préadolescents ne font plus que partie du jeu..» Les tirs entre les jambes sont en effet devenus plus populaires, tout comme les services à la cuillère. Mais sont-ils aussi efficaces que lorsque Kyrgios les exécute ? L’Australien se démarque indéniablement par sa capacité à surprendre et son toucher hors du commun.
Parce que c’est un agent corrosif dans un univers trop lisse
Si Kyrgios parle d’ennui, c’est aussi parce qu’il juge les personnalités en général trop douces. Et comment lui prouver qu’il a tort ? S’il est difficile et peut-être inapproprié de parler d’une affaire de dopage dont on ne connaît pas tous les tenants et les aboutissants, l’Australien a été l’une des seules grandes voix du circuit à briser le silence sur le cas Jannik Sinner. Et il ne s’agissait pas d’attaquer l’Italien pour le plaisir de l’attaquer, ni forcément de remettre en cause sa bonne foi, mais de souligner le manque de transparence du circuit en ces matières et surtout une disparité de traitement selon le degré de notoriété ou de réputation.
Kyrgios peut en faire trop, mais il n’a pas peur de dire ce qu’il pense et de susciter des débats, ce qui est de plus en plus rare dans un sport de haut niveau où la communication est verrouillée. Adepte de provocation ou de « trashtalking » sur le terrain, son comportement manque certes parfois de classe. Et durant la première partie de sa carrière, ses clowneries constantes – dénoncées par Federer lui-même lors de leur premier duel à Madrid en 2015 – et ses sorties ont largement dépassé les limites à certaines occasions. Stan Wawrinka l’a appris à ses dépens lors d’un épisode célèbre la même année à Montréal.
Mais l’Australien s’est (un peu) calmé), il s’est par exemple arrangé avec Djokovic ou encore Casper Ruud. Il l’a démontré lors de sa dernière saison sur le circuit. “Nick Kyrgios est très spécial lorsqu’il s’agit de divertir le public. C’est aussi un compétiteur très spécial. Quand des choses étranges se produisent lors de ses matchs, c’est aussi parce qu’il est plus compétitif qu’on ne le pense. Vous souvenez-vous du match contre Stefanos Tsitsipas à Wimbledon (3e tour en 2022, NDLR) ? Il lui a tout fait et c’est devenu un désastre. Et que s’est-il passé à la fin ? Il a gagné le match», observe encore Wilander. De très grande qualité tennistique, le duel avait aussi une dimension électrique qui rappelait celle des rivalités des années 1980 avec McEnroe, Connors et autres Nastase. À l’heure où les distinctions parfois hypocrites se multiplient après les matches, c’est surprenant.
Parce que son objectif est clair cette fois
Il le dit haut et fort depuis maintenant presque trois ans, Nick Kyrgios n’a qu’un seul objectif : remporter un Grand Chelem, histoire de faire taire les critiques. Est-ce faisable ? Beaucoup en doutent, à commencer par notre consultant Arnaud Clément qui s’est exprimé sur le sujet. Mais si l’Australien n’est jamais (encore) entré dans le Top 10 malgré la magie dont il est capable sur le court, c’est en partie parce qu’il s’est souvent demandé pourquoi il joue au tennis. Il est connu pour avoir jeté des allumettes et recevoir des amendes pour non-combativité. Il avait même été disqualifié à Rome en 2019 après être devenu incontrôlable.
Une démonstration de force et Kyrgios triomphe à Washington
Crédit vidéo : Eurosport
Patrick Mouratoglou, qui était cette année son invité sur le podcast « Good Trouble », a développé une théorie intéressante sur le sujet. “J’ai l’impression que vous souffrez de ce que j’appelle le syndrome du joueur talentueux. dit-il. Depuis que vous êtes enfant, tout le monde vous dit probablement que vous êtes très talentueux, donc cela fait partie de vous, de votre identité. Et la question qui se pose pour quelqu’un comme vous est : êtes-vous prêt à peut-être perdre une partie de votre identité pour être un champion tout en sachant que vous ne serez pas sûr d’y arriver ? Je pense que c’est votre lutte interne parce que vous devez vous dire : « Si j’essaie très fort et que je n’y arrive pas, peut-être que je ne suis pas si bon que ça ». Lorsque l’on ne fait pas tout pour réussir, il y a généralement une raison majeure : la peur de l’échec.“
Et en 2022, Kyrgios semblait l’avoir dépassé. Pour la première fois, il s’était véritablement donné les moyens d’atteindre son objectif en travaillant sérieusement, en s’investissant pleinement dans ce qu’il faisait. Résultat ? Une finale à Wimbledon alors qu’il n’avait jusqu’alors enregistré que deux quarts majeurs comme meilleures performances. Si son genou n’avait pas fait de mal en fin de saison, une première participation au Masters était envisageable. Avec la même motivation et un corps résistant au choc, il aura peut-être l’occasion occasionnelle de brouiller les cartes lors d’un Grand Chelem (Roland-Garros sauf compte tenu de son aversion pour l’ocre). Voilà qui pourrait bien pimenter une saison 2025 où Sinner et Alcaraz laisseront peut-être plus de miettes que l’ex-Big 3.