Une équipe internationale a réalisé des forages records dans le manteau terrestre : une occasion unique de comprendre notre planète !
Quelque part au fond de l’Atlantique Nord, une « trappe » ouverte dans le fond de l’océan révèle l’intérieur de la Terre. C’est là qu’une équipe internationale a réalisé en 2023 le forage le plus profond jamais réalisé dans le manteau terrestre, cette couche profonde habituellement inaccessible. Les scientifiques ont extrait une carotte rocheuse presque continue, longue de 1 268 m, lors d’une expédition du Programme international de découverte des océans (IODP).
« Il s’agit d’une prouesse technique unique », se réjouit Marguerite Godard, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique en France, qui a participé à l’expédition. Le géochimiste a signé, aux côtés d’une vingtaine de confrères, l’article livrant les résultats des premières analyses, publié en août 2024 dans Science. Selon elle, ce noyau de 7 cm de diamètre est comparable à la pierre de Rosette, une stèle gravée qui permettait le déchiffrement des hiéroglyphes égyptiens au 19e siècle. Cet échantillonnage de roches promet d’aider à « décrypter » la dynamique interne de la planète, à mieux comprendre la formation du magma, celle de la croûte terrestre, et même, pourquoi pas, l’émergence de la vie.
D’une épaisseur de 2900 km, le manteau sépare la croûte terrestre, sur laquelle on marche, du noyau en fusion. Le sonder représente tout un défi : sur les continents, la croûte terrestre a une épaisseur de 30 km ! Si l’on veut atteindre les profondeurs du manteau, le mieux est de descendre jusqu’au niveau des dorsales, au milieu des océans. Le long de ces chaînes de montagnes sous-marines, les plaques tectoniques s’éloignent les unes des autres, révélant le manteau sous-jacent. C’est donc au niveau de la dorsale médio-atlantique qu’a eu lieu la mission, sur le massif de l’Atlantide.
Un forage complexe
Voir ce qui se cache dans les entrailles de la Terre est un rêve de longue date. Les expéditions se succèdent depuis les années 1960, sans grand succès. « Ce type de forage est particulièrement difficile, avec un bateau de recherche qui tangue en haute mer. Le fond océanique est dur, fracturé et chaud. Nous injectons des fluides pour évacuer les résidus de coupe, un processus qui induit lui-même une fracturation [et endommage donc la roche] », poursuit Marguerite Godard.
Les cinq forages précédents, réalisés en divers endroits, n’avaient atteint que 210 m au maximum, avec des carottes très fragmentées. À la surprise générale, l’expédition a cette fois permis de rapporter des carottes intactes à 71 % en moyenne, parfois à 100 %.
Bien sûr, on savait déjà que la couche supérieure du manteau était en partie composée de péridotites, car ces roches vertes s’élèvent parfois dans les volcans. Ils affleurent également dans les montagnes formées par le soulèvement de plaques tectoniques, composées de croûte et d’une partie du manteau. Mais pouvoir analyser le manteau « intact » est une aubaine, notamment pour connaître sa composition en carbone et en eau, et mieux comprendre les cycles de ces éléments.
“Ces travaux permettront également de faire la lumière sur les modèles de la Terre primitive et sur l’habitabilité des exoplanètes”, précise le scientifique. Parce que c’est justement à proximité des backbones que s’effectuent les échanges [d’eau, de gaz, de matière] entre la Terre profonde et les couches superficielles. Des échanges qui jouent un rôle dans « le développement des micro-organismes dans des conditions extrêmes, et probablement dans l’origine de la vie », conclut-elle.